La mort musulmane en contexte d’immigration et d’islam minoritaire

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Notes de lecture sur La mort musulmane en contexte d’immigration et d’islam minoritaire. Enjeux religieux, culturels, identitaires et espaces de négociation (Khadiyatoulah Fall et Mamadou Ndongo Dimé (dir.). PUL : 2011, 228 pages)

MOUHAMED ABDALLAH LY, sociolinguiste, chercheur boursier post doctorant au Centre interuniversitaire et interdisciplinaire CELAT, Québec, Canada et assistant de recherche au laboratoire de linguistique de L’IFAN-CAD

 

Dans la bibliographie imposante qui traite du « passage à l’ouest de l’islam » (Olivier Roy : 2003) : l’islamisme, le terrorisme, les signes religieux ostentatoires dans les espaces publics,  la problématique de la mort musulmane, en dépit de quelques essais et monographies, se pose comme l’angle mort de ce renouvellement des terrains d’islam en Occident. Il y a là une curiosité scientifique d’autant plus remarquable qu’elle coexiste, dans ces pays, et particulièrement au Québec, avec une demande croissante de « carrés » et de cimetières par les communautés musulmanes établies. C’est ce défi que le colloque international et interdisciplinaire qui a eu lieu, les 07 et 08 octobre 2010, à l’université du Québec à Chicoutimi, a tenté de relever avec un succès médiatique et scientifique, prélude à l’ouvrage de synthèse qui vient d’en être tiré. Cette publication, sous la direction de nos collègues Khadiyatoulah Fall et Mamadou Dimé, est sans doute promise au même succès.

Khadiyatoulah Fall et Mamadou Ndongo Dimé mettent à la disposition de la communauté scientifique, mais aussi des décideurs et des acteurs de divers ordres (personnels hospitaliers, travailleurs sociaux, représentants des cultes, hommes politiques, etc.), un condensé de travaux au carrefour de l’anthropologie, de la sociologie, des sciences du langage, des sciences religieuses, des sciences de la communication, des sciences politiques, etc. sur la mort musulmane, en situation d’immigration et d’islam minoritaire. Par cette interdisciplinarité et complémentarité fécondes des approches, ils nous offrent un regard holistique, d’une remarquable pertinence, sur les enjeux politiques, culturels, religieux et identitaires que charrie la mort musulmane dans les pays « non-musulmans ». Tout au long des dix chapitres de l’ouvrage, les différents contributeurs dévoilent les tensions sociales, identitaires, cultuelles et culturelles mais aussi les adaptations, les négociations, les réappropriations qui résultent d’une telle situation.

Parlant du choix de l’objet de recherche, Khadiyatoulah Fall fait état d’une conjonction entre désir d’objectivation et engagement citoyen (p.13). La symbiose entre ces deux exigences semble d’autant plus atteinte que ce livre nous change du dialogue de sourds sur la demande des « carrés musulmans », et de la prise en charge de la mort en général, entre littéralistes, « laïcistes » et hommes politiques, quelques fois si prompts à jouer sur la méconnaissance de l’islam de certains de leurs concitoyens et la peur.

De pages en pages, les auteurs se confrontent, avec courage et intelligence, à des questions majeures qui se posent, de plus en plus, à des populations qui peuvent, de moins en moins, les éviter et qui, du reste, ont déjà décidé de les poser dans l’espace public. Quelques idées. De nombreux passages sont consacrés aux nouveaux défis (où vieillir ? où mourir ? où et comment être inhumé ? etc.) qui découlent de la transfiguration des liens avec les « pays d’origine » notamment du passage d’une immigration individuelle à une immigration familiale qui rend l’idée du « retour » plus mythique que réel, du moins chez les dernières générations de migrants musulmans (pp. 14-20). On le voit bien, ces questions ne sont pas seulement pratiques, elles sont aussi hautement théoriques et engagent la question de l’inversion de « l’ici » et de « l’ailleurs » dans un monde globalisé… Les auteurs abordent les questions sociales, rituelles et institutionnelles qui ressortent de ces mutations du projet d’immigration et du fléchissement du rapatriement ou de l’expédition des corps.

Avec  l’ouvrage dirigé par Fall et Dimé il n’est plus possible d’ignorer la mort musulmane en occident comme précieux critère de mesure de l’intégration des communautés musulmanes (p.122). Les contributions de Fall et de Lathion relient la mort musulmane aux défis de l’interculturalité et du vivre-ensemble, dans ces nations solidement sécularisées, et dont le corpus juridique sur le culte et la mort, n’a pas intégré les us et coutumes des migrants musulmans qui les ont tardivement rejoints. Des problèmes d’une brulante actualité et acuité tels que ceux du suicide, de l’euthanasie, de l’avortement, du don d’organe, de la crémation, etc. sont questionnés par les auteurs (pp.65-88).

Un livre, disions-nous, d’une haute portée pratique et théorique, mais aussi comment ne pas le souligner, d’une rigueur ethnographique et documentaire qui témoigne du sérieux des auteurs. Non seulement l’on trouve des informations précieuses sur les textes scripturaires relatifs à la mort en islam, notamment les rites funéraires (pp.23-63) mais également une analyse comparée des textes coraniques, mésopotamiens et hébraïques sur le rite de l’enterrement (pp. 91-113). Une bonne part de l’ouvrage concerne des études contextualisées. Les circulaires et les directives officielles, les attitudes des pouvoirs publics, la reconnaissance de la religion du défunt par les communautés musulmanes, les représentations de la mort et du mourir, les intrications entre le religieux et le culturel, les motivations religieuses et culturelles qui interviennent dans le rapatriement ou l’expédition post-mortem, les rites funéraires, les discours sur la mémoire des morts, les demandes d’accommodements funéraires etc. sont abordés dans un large étendu spatial et social avec des terrains aussi divers que le Canada, le Burkina Faso, la France, le Maroc, la Suisse… (pp. 118-170). Le tout, dans une démarche méthodologique rigoureuse où se succèdent : revue bibliographique, entretien, observation participante, exploitation de documents religieux et administratifs, etc.

Comme le disent si bien, Milot, Castel et Vendetti, « dans la mort comme dans la vie, on ne peut parler d’Un Islam » (p.168). Les auteurs ne tombent pas dans le piège si courant de l’homogénéisation. La complexité qui  ressort de la diversité des écoles, des communautés, des tendances de l’islam, (soufisme, wahhabisme, chiisme, sunnisme…) même en contexte minoritaire et d’immigration, même sur et dans la mort, trouve sa place dans les différents chapitres.

Nous regretterons néanmoins qu’une plus grande part de l’ouvrage n’ait été consacrée à l’analyse de récits malgré les fragments d’entretiens qui y sont présents. Un autre regret vient du fait que les passages si captivants de l’ouvrage qui traitent des manières de dire la mort, de l’annoncer, d’en perpétuer la mémoire, etc. nous plongent dans une curiosité inassouvie. Si la configuration des cimetières, « parle » des enjeux de la mort musulmane, dans les pays « non-musulmans », tel que nous le montre Lathion (pp.208-223) ou encore Aggoun (pp.177-199),  qui parle d’ « espace géo-sociologique », à coup sûr d’autres objets tels que la nécrologie, les épitaphes, les condoléances, etc. auraient pu nous « parler ». Des regrets somme toute dérisoires au vu de la richesse d’un ouvrage dont le destin semble être de compter parmi les références incontournables pour toute étude sérieuse dans le domaine.

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