La pénible « réintégration » des immigrés sénégalais de retour au pays par Bosse Ndoye

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Après des années passées loin de chez eux, nombre d’immigrés rêvent d’un retour au bercail. Ce retour dépend généralement de la réalisation de tout ou partie des objectifs qu’ils s’étaient fixés au moment de leur départ. Autant il leur était généralement difficile, voire éprouvant de quitter leur terre natale, de laisser parfois derrière eux: parents et amis, autant il leur fait souvent plaisir de se retrouver parmi eux des années plus tard. Il faut toutefois signaler que tous ne retourneront pas chez eux pour diverses raisons: vie familiale stable dans le pays d’accueil, peur de retourner au pays d’origine, etc.
Après un long séjour dans un pays autre que le sien, le retour au bercail, pour un immigré, peut avoir l’air «d’une seconde immigration.» Ce qui ne facilite pas toujours sa « réintégration » dans sa société d’origine. Cette « réintégration » dépend souvent de son profil. Ainsi, l’immigré qui retourne définitivement à son pays pour y continuer ses activités professionnelles ou y passer sa retraite bien méritée est généralement bien accueilli et bien accepté par la société. Surtout, par divers moyens, s’il avait toujours maintenu et entretenu les relations avec ses parents et amis. Toutefois, en plus d’avoir à faire face aux changements sociétaux, culturels, politiques…qui ont pu se produire en son absence, il aura à réapprendre certaines habitudes qu’il avait peut-être perdues et à se départir d’autres qu’il avait apprises durant son long séjour à l’étranger. Pour les sans-papiers rapatriés sans-le-sou et ceux qui, bien qu’ayant été en situation régulière dans leur pays d’accueil, sont rentrés les mains vides, l’accueil qui leur sera réservé et leur réintégration seront plus difficiles et les jugements portés sur eux par la société plus sévères. Ces situations sont généralement très mal vécues par leur famille, puisque les espoirs placés en eux se sont dissipés et leur image peut en prendre un dur coup. C’est pourquoi les anciens immigrés, faisant partie de ce lot, auront besoin de beaucoup de courage et d’endurance pour se réintégrer dans la société. Car pour beaucoup de gens au Sénégal l’immigration est généralement synonyme de réussite. Par conséquent, il y est presque impardonnable que d’anciens immigrés retournent définitivement au bercail les mains vides; d’où les jugements sévères portés à leur encontre. Ces jugements sont souvent très subjectifs, étant donné que les gens qui les émettent ignorent souvent totalement les conditions dans lesquelles ces immigrés vivaient. Il est d’ailleurs fréquent de voir certains parmi ces immigrés préférer rester dans leur pays de résidence et y mourir dans l’anonymat plutôt que de retourner dans le leur pays d’origine.
Face à la complexité de la question de la « réintégration » des anciens immigrés dans la société sénégalaise, où la frontière entre l’espace public et la l’espace privé est très ténue, l’on est en droit de se demander si le fait de retourner à son pays natal sans argent, après des années d’immigration, constitue un échec. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de définir les mots échec et réussite, ce qui n’est pas une tâche facile, vu leur plurivocité et leur relativité. Par exemple : ce qui est une immigration réussie pour un étudiant, ne l’est pas forcément pour un refugié politique, encore moins pour quelqu’un qui a quitté son pays pour fuir la pauvreté. Joseph-Antoine Belle semble alors avoir raison d’affirmer que: « L’unité de valeur de la réussite, ce n’est ni le franc ni le dollar. C’est un rapport entre la satisfaction et le projet.» Néanmoins, on peut se demander si on peut considérer comme ayant échoué sa vie d’immigré quelqu’un, pas riche à son retour au bercail, mais qui s’est bonifié au cours des années passées à l’étranger, avec une grande expérience, beaucoup de sagesse et de meilleures compétences, un meilleur savoir-faire et savoir-être. Le fait d’avoir eu la chance de beaucoup voyager, de découvrir d’autres cultures, d’autres réalités, d’autres manières de penser, d’avoir côtoyé et échangé avec d’autres personnes lui ont permis de découvrir, de lire et de connaître d’autres pages du grand livre qu’est le monde, comme le soutenait Saint Augustin : « Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page.» Aussi, ne serait-il pas une erreur, voire une grande perte pour un pays, une ville, un quartier de se passer de l’expérience et des compétences d’un tel individu? D’autant que l’immigration, pour d’aucuns, n’est qu’un apprentissage de la vie. Mais le fait de ne considérer que le côté financier de la réussite est l’un des plus grands maux dont souffre actuellement la société sénégalaise. Il n’est alors pas étonnant de la voir « enjoindre » une sorte « d’obligation de réussite financière » aux immigrés. La pression qui découle de cette situation peut être positive dans le sens où elle peut être un facteur de motivation incitant les immigrés à fournir les efforts menant à la réussite. Mais elle est souvent négative. Elle pousse beaucoup de jeunes immigrés à penser que l’essentiel est de s’enrichir, peu importe la manière. Ce qui les mène sur des voies d’enrichissement illicite : drogue, prostitution et d’autres trafics de tous genres pour gagner de l’argent facilement et rentrer au pays la tête haute. Car ils savent souvent qu’ils seront jugés d’après l’étendue des leurs biens, rarement sur leur comportement ou personnalité. Ce qui fait l’injustice de cette pression sociale, c’est qu’il arrive qu’un honnête homme qui a passé toute sa vie à travailler dignement à l’étranger, et qui n’a pas eu la chance de gagner beaucoup d’argent, soit condamné et jugé injustement par une société matérialiste, alors qu’un autre qui s’est enrichi par des moyens illégaux, en peu de temps, soit porté au pinacle. Si ce n’est que le résultat qui est jugé, beaucoup de jeunes ne verraient pas l’intérêt d’être juste, si cette justesse ne peut pas les enrichir. L’ironie dans ces genres de situation est qu’il arrive que certains immigrés, à leur retour au bercail, soient critiqués et blâmés par certains membres de leur famille et amis avec qui ils partageaient néanmoins tout ce qu’ils avaient pendant qu’ils étaient à l’étranger et disposaient encore de beaucoup de moyens matériels et financiers. Ceux qui leur ont crevé les yeux pendant qu’ils étaient riches leur reprochent d’être aveugles pendant qu’ils le sont beaucoup moins pour paraphraser John Milton. Ayant vécu ces genres de situation, certains anciens immigrés ont parfois quitté le pays pour ne plus y revenir. Ils ont parfois même coupé les liens avec leur famille.
« L’obligation de réussite financière » enjointe aux immigrés comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus d’eux est un signe, parmi tant d’autre, de nos sociétés actuelles qui se vident de leur substance vertueuse pour se remplir que de la croyance au matériel, contrairement aux sociétés traditionnelles qui avaient une définition plus large de l’homme et de sa réussite.
L’attitude de l’immigré qui retourne définitivement au pays est très importante. S’il est en bon accord avec lui-même, avec ses principes, il doit pouvoir vivre tranquillement son retour, que son immigration ait été une réussite ou un échec. Cela peut toutefois ne pas être facile. Les anciens immigrés doivent savoir se mettre au-dessus de la mêlée sociale. Mieux, ils doivent essayer de changer certains aspects négatifs dans notre société en lui proposant leurs différentes expériences enrichissantes qu’ils engrangées au fil des années. Mais, comme dans une foire aux vanités, nombre d’entre eux l’enfoncent dans ses travers en faisant étalage de leurs richesses réelles ou subodorées. La question de la réintégration des anciens immigrés dans la société est importante, parce qu’un retour non réussi peut entrainer un nouveau départ.
Bosse Ndoye
[email protected]
Montréal

7 Commentaires

  1. Vivre et travailler dans un pays développé, en particulier la France pendant au moins trente ans, sans pouvoir économiser au moins 250 euros chaque mois, dans une banque du pays ou même au Sénégal est presque une malédiction ! Il ne faut pas jouer au misérabilisme, en ce qui concerne les Sénégalais travailleurs et installés légalement dans ce beau pays, c’est une chance d’y travailler jusqu’à l’âge de la retraite pour avoir au bout au minimum 1200 euros/net chaque mois , sans compter la complémentaire ARCO ! Le Sénégalais aime bien pleurnicher sur son sort, qu’il soit envieux ou pas, alors que des centaines de millions d’autres êtres humains sont dans des situations pires que les leurs ! Si on a vécu en France pendant au moins quarante ans sans bénéficier d’une retraite qui ferait envie à ceux qui ont de bons salaires au Sénégal en trimant nuit et jour c’est parce qu’on ne travaillait pas !

  2. Bravo Mr Ndoye pour ces articles que vs publiez régulierement ! Tout ce qui est dit dedans est fort exact ..Une excellente analyse aussi des sujets qui y st traités..J aime les lire , voir les relire , et en discuter en famille ..
    Pas mal non plus cette contribution ci dessous .

  3. Selon des études très sérieuses la diaspora envoie des milliard et des milliards chq année, plus que le budget du Sénégal. Mais cette somme colossale n’est destinée ni l’investissement ni àl’épargne.La malédiction des immigrés c’c’est aussi cela:envoyer de l ’ argent de manière non soutenable.

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