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«L’ambition de la Chine c’est de faire du business en Afrique»

INTERVIEW François Lafargue, spécialiste de la Chine, professeur à l’école ESG et Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, en charge de l’Afrique, reviennent sur les conséquences de la présence chinoise en Afrique.

Par MÉLODY PIU

La Chine est devenue jeudi le premier investisseur dans le continent noir en doublant ses crédits, portés à 20 milliards de dollars (16,5 milliards d’euros). François Lafargue (photo DR), docteur en géopolitique spécialiste de la Chine, et Philippe Hugon (photo DR), directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) en charge de l’Afrique, estiment que la présence chinoise favorise la croissance de l’Afrique, mais aussi que les relations sino-africaines sont encore trop asymétriques. 

Pourquoi la Chine a-t-elle doublé récemment son «aide» (20 milliards de dollars) à l’Afrique ?

François Lafargue F.L. D’abord on ne sait pas ce que désigne ce terme de prêt car la Chine mélange un peu tout. Il faut différencier les prêts publics, les dons, et les prêts qui sont accordés par les entreprises publiques chinoises. Ces aides ne sont souvent que des investissements de la part des entreprises.

 

Philippe HugonP.H. Les 20 milliards de dollars sont des crédits, donc des prêts. Mais le problème, c’est que l’on ne connaît pas leur taux d’intérêts. La Chine a juste fait un effet d’annonce et ce qu’il faudrait savoir, c’est la nature exacte des contrats.

Quelles sont les motivations de la présence chinoise en Afrique ?

F.L. Elles sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, il y a une motivation énergétique : l’Afrique a 10% des réserves mondiales de pétrole. Etant donné que la Chine est très énergivore, elle entretient des relations étroites avec les pays pétroliers tels le Soudan ou la Libye. Il y a aussi une motivation minière : ce qui l’intéresse particulièrement, ce sont les minerais stratégiques (or, titane etc.) que l’on trouve notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud etc.). Le dernier facteur est d’ordre commercial car le continent africain, c’est un milliard de consommateurs ! Certes, c’est une population qui a encore un faible pouvoir d’achat, mais les entreprises chinoises connaissent très bien ce marché puisqu’il ressemble à celui de leur pays. Ainsi, ils savent qu’il faut des produits simples, faciles a réparer, sans forcément de haute technologie.

P.H. Pour maintenir sa croissance, la Chine à absolument besoin de ressources naturelles, et l’essentiel se trouve en Afrique. La deuxième raison, c’est que la Chine est une puissance émergente, et l’Afrique fait partie de sa «mondialisation». L’Afrique est aussi un déversoir de la population chinoise, qui vient migrer sur le continent [750 000 Chinois en 2007 contre moins de 100 000 Français, ndlr], ce qui permet aussi le développement de sa culture.

Quels sont les bénéfices pour l’Afrique ?

F.L. La Chine peut améliorer l’économie africaine. Quand on regarde les chiffres, la plupart des pays africains on vu leur PIB global augmenter, car le prix des matières premières augmente grâce aux investissements chinois. Le problème, c’est que les Chinois investissent très peu dans le développement. Ils ont ouvert quelques hôpitaux, mais cela reste très marginal.

P.H. Les Chinois dopent la croissance africaine, c’est incontestable. Cela permet donc à l’Afrique d’être plus insérée dans les relations internationales. Au niveau du développement, la Chine investit aussi dans l’éducation. Par exemple, 13 000 bourses vont être données à des Africains pour qu’ils puissent étudier en Chine (Institut Confucius). Par contre, il y a un certain nombre de manquements. L’Afrique reste essentiellement exportatrice de produits primaires, ce qui ne permet pas le développement de l’industrie. A cela s’ajoute le fait que les grands projets de constructions publiques (routes, chemins de fer etc.) se font essentiellement avec de la main d’œuvre chinoise. Ils ne créent donc pas d’emplois pour les Africains.

Un entrepreneur chinois marche sur une autoroute en construction  à Nairobi (Kenya).

Un entrepreneur chinois marche sur une autoroute en construction  à Nairobi (Kenya). Photo Reuters

Peut-on parler d’une relation équitable entre la Chine et l’Afrique ?

F.L. La relation est a priori déséquilibrée. La Chine achète surtout des matières premières, et elle réexporte des produits déjà transformés. Mais quand on regarde les chiffres, la Chine a souvent un déficit commercial avec l’Afrique. Ce sont les Africains qui gagnent le plus d’argent à la fin de l’année. Sauf pour 2011, car le prix du pétrole a beaucoup baissé. Le commerce est donc beaucoup plus équilibré qu’il n’y paraît.

P.H. Les relations sont asymétriques. Ceci étant, les relations avec les anciennes puissances coloniales l’étaient aussi. Il y a une forme de présence chinoise qui s’apparente au colonialisme.

Peut-on voir la Chine comme un «prédateur» économique ou un investisseur en Afrique ?

F.L. Elle est perçue comme un prédateur, ce qui à mon sens est largement excessif. L’augmentation du prix des matières premières (coton, bois, etc.) en Afrique se fait grâce au dynamisme de la Chine. Elle est perçue comme prédatrice car elle bouleverse certaines entreprises africaines qui font alors faillite, ou bien elle s’approprie parfois certaines côtes telles que les zones de pêche.

P.H. Je n’emploierais pas le terme de «prédateur». C’est un investisseur avant tout. Mais dans certains cas, minoritaires, son attitude peut s’apparenter à de la prédation. Par exemple, c’est le cas pour la république démocratique du Congo, où il y a des gaspillages et des pillages des richesses naturelles, notamment dans le cuivre et la forêt de l’Afrique centrale.

Est-ce une Afrique sans l’Europe qui est en train de se constuire ?

F.L. Il n’y a pas tellement de concurrence entre la Chine et l’Europe. A priori, la Chine nous porte préjudice car les Chinois sont dans le BTP, la téléphonie etc. Mais grâce à la Chine, il y a une augmentation du pouvoir d’achat local, ce qui permet le développement d’autres activités dans les services. Par exemple, AXA ou la grande distribution, comme Carrefour, sont très présents sur le continent africain. Et il faut préciser, que contrairement à ce que l’on pense, les Chinois ne sont pas très présents dans l’Afrique francophone car ce sont des pays peu peuplés, avec très peu de matières premières.

P.H. Actuellement, il y a plutôt un retrait relatif de l’Europe vis à vis de l’Afrique. C’est aussi une conséquence de la frilosité des entreprises françaises à s’y installer. Mais les groupes français ont tout à fait la possibilité de la reconquérir.

Par rapport à l’Europe, la Chine est-elle moins regardante concernant l’usage des crédits accordés ou les normes démocratiques ?

F.L. Déjà il faut éviter l’hypocrisie, l’Europe n’a pas aussi été très regardante quand on voit ce qu’il s’est passé avec la Libye. Mais ce qui est vrai c’est qu’il y a une différence dans l’usage des fonds accordés. L’Europe était plus exigeante et plus regardante que la Chine.

P.H. C’est sûr qu’elle est moins regardante des conditionnalités, elle pense par ailleurs que la démocratie n’est pas faite pour l’Afrique.

Et pour le marché des armes ?

F.L. La Chine en exporte très peu vers l’Afrique, même s’il y a quelques années elle en avait livrées au Zimbabwe et à l’Angola. Il faut surtout noter que la Chine ne veut pas apparaître comme un facteur de déstabilisation de la région. Son ambition est de faire du business en Afrique. Si elle vend des armes, c’est pour rendre service et garder une bonne relation. Il faut d’ailleurs noter que la plupart des armes vendues sont pour le maintien de l’ordre, tel du gaz lacrymogène.

P.H. La Chine a quand même beaucoup d’usines d’armement dans les pays amis, comme le Soudan par exemple. Elle est aussi liée sur le plan militaire avec le Zimbabwe. Elle participe donc comme les autres puissances à ce marché, d’autant plus qu’elle est un vendeur d’arme très important.

Que doivent exiger les pays africains de la Chine ?

F.L. D’avantages de créations d’emploi, et une plus grande ouverture du marché chinois aux produits africains. Mais sincèrement, on voit mal comment l’Afrique peut obtenir ce que nous, Européens, on ne parvient pas à avoir.

P.H. Le problème est uniquement d’ordre politique. Dès lors que vous êtes convoité, dès lors qu’il y a plusieurs partenaires possibles, il faut augmenter les enchères avec des contreparties comme un accès à la technologie ou des créneaux d’exportations sur le marché chinois. Les cartes sont dans les mains des Africains.

liberation.fr

1 COMMENTAIRE

  1. ca sent la haine dans l’analyse de ces soit disants expert. Ils forcent meme a etre indulgent mais en filigrane on voit qu’ils sont tres negatifs sur les relations chine-afrique. Desfois meme tres contradictoires. Ils presentent la chine comme predateur au meme moment; la presence de la chine a contribue a la croissance, les relations commerciales sont excedentaires pour l’afrique, la presence de l’afrique dans les relations commerciales internationales, la creation d’infrastructures etc…
    A plusieurs reprises les noms des pays comme le soudan, Zimbabwe, congo ; tout ceci pour dire que la chine est liee aux pays que eux les occidentaux considerent comme echec et paria de l’afrique.
    Pour la vente des armes ils jouent bien leur hypocrisie. 90% des armes qui circulent en afrique proviennent des pays occidentaux.
    La presence des occidentaux en afrique datent plusieurs siecles et cela n’a rien apporter a l’afrique. Mais cette presence chinoise de ces 20 ou 30 dernieres annees a rapporte mille fois plus que les leurs.

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