Le 20 mars 2016, l’abstention est devenue le premier parti au Sénégal. Par Boucar Diouf

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Les lampions se sont éteints sur un référendum émaillé de péripéties à vous couper le souffle et au terme duquel, paradoxalement, les deux camps crient victoire. Il faut pourtant se rendre à l’évidence, le Président de la République a tenu son pari de faire triompher le oui. Et malgré les critiques de l’opposition quant à la légitimité de la réforme, il est évident que la légalité de cette dernière ne peut être raisonnablement contestée. Le nombre (le nombre de votes favorables) étant devenu, en démocratie, un outil de preuve argumentaire qui justifie pleinement de son applicabilité.
Il faut par contre tirer les leçons en analysant les indications que nous fournit cette consultation du peuple, dont nous doutions de l’opportunité dans un précédent article.
D’emblée, il est possible de constater que le Président mobilise plus que son parti ou sa coalition de partis, sinon pourquoi devant les risques de rejet du projet, aurait-t-il pris la sage, mais non moins surprenante décision, d’aller en campagne ?
En retour, l’opposition, opportuniste comme à son habitude, en a profité pour tenter de brouiller son image, se désintéressant complètement des différentes mesures portées par la réforme. Le camp du Président reste, nolens volens, la première force politique active nationale, n’en déplaise à ceux qui le combattent.
L’invité surprise aura par contre été, comme nous le subodorions, l’abstention qui s’est signalé avec un taux de 62 %, de loin supérieur à ceux que les différents référendums ont connu.
A vrai dire, c’est cette abstention qui est devenue le premier parti au Sénégal et ceci dans une consultation réservée à notre devenir commun.
L’exercice auquel nous allons nous prêter est de tenter de lire attentivement cet événement social inattendu, sans aller jusqu’à la prétention d’identifier correctement les composantes générationnelles ou sociales de cette défection des urnes qui, manifestement, interpelle toute la classe politique.
Dés la décision du Président de la République, une bonne lecture de la clameur sociale renseignait sur le fait que les réformes envisagées, à elles seules, ne ‘’brillaient’’ pas par leur évidence ou leur légitimité aux yeux de la plupart des sénégalais. Les objectifs affichés de modernisation de notre charte fondamentale peinaient visiblement à prendre le pas sur les autres besoins et ne parvenaient pas à convaincre les citoyens de leur place dans le champ des valeurs morales.
En effet, dans un pays, la pluralité et la prégnance des attentes des populations constituent une hiérarchie de besoins, qui, même s’ils ne sont pas exprimés ou le sont d’une manière marginale ou diffuse, sont toujours présents. La difficulté pour le Président de la République aura été de vouloir conceptualiser un devenir social, c’est dire ce que sera la société sénégalaise dans les années à venir, en intégrant des attentes et des craintes qui font référence au passé, à l’histoire.
La contrainte majeure pour lui étant qu’au Sénégal, seule une élite minoritaire est capable de conceptualiser, d’exprimer et d’expliquer sa vision de l’organisation sociale, donc de valider ainsi une hiérarchie des besoins généralement à l’opposé de celle du reste de la société. Cette élite qui confond le pouvoir et l’opposition est souvent la force de proposition d’un avenir qu’elle est seule à percevoir. D’où l’urgente nécessité qu’il y avait de vulgariser largement et d’expliquer la réforme en vue de construire de larges consensus.
Une démarche contraire nous a menés à ce taux d’abstention élevé, une vraie défaillance de la démocratie participative nationale qui traduit le regrettable constat d’un grand malentendu politique entre les acteurs et les citoyens. Ce résultat confirme nos craintes quant à l’organisation d’un référendum qui, au demeurant, a, en plus de cette tare, souffert d’une mauvaise qualité de la communication (l’exemple du foie est édifiant).
A notre sens, un referendum, pour réussir, doit d’abord être ancré dans l’imaginaire politique des votants, ce qui pose le problème de la communication publique. Le matraquage médiatique auquel nous avons été soumis, tel Big Brother dans « 1984 » de Georges Orwell est souvent à l’origine d’une overdose médiatique qui accouche de résultats aux antipodes des objectifs de départ. Certains citoyens se sont certainement dit que cette manière agressive de communiquer pour un simple référendum devait cacher quelque chose, et dans le doute, se sont abstenu.
D’autres ont manifestement refusé d’accorder un quelconque crédit à tous ces experts de la chose publique, qui passaient la nuit sur les plateaux de télévision et de radio, parlant de tout, sauf de la réforme.
S’il est vrai qu’il n’est pas interdit de réaliser des profits importants ou d’adopter une ligne éditoriale proche des intérêts du régime, en revanche, cela ne doit pas nous pousser à forcer le trait jusqu’à la propagande et à la manipulation qui, en définitive, jettent le discrédit sur le système de communication. Après tout, il faut que le citoyen adhère au système de communication, il est donc logique qu’il en attende des informations exactes et utiles, collectées par des gens honnêtes et compétents. La communication publique doit donc, pour être efficace, faire appel à des professionnels qui attachent une grande importance à la confiance dont ils jouissent auprès du public.
Dans le cas contraire les informations auront tendance à être prises avec des pincettes même si elles sont vraies et la pluralité de sources aidant, le citoyen s’informe ailleurs.
Sur le même versant, durant la campagne, le discours du camp du oui était devenu la seule et unique langue de la quasi- totalité des média, commanditaires et communicants consacrant leur volonté manifeste d’enfermer les sénégalais dans un discours unique censé créer un ordre national.
Et dans le but de refouler les voix discordantes, les communicants gouvernementaux auront privilégié le storytelling, c’est à dire la mise en récit, qui leur permet de présenter les décisions du régime dans la cohérence et la continuité d’une histoire nationale à laquelle tous les citoyens étaient sommés de s’identifier. A rebrousse poils, les messages véhiculés s’adressaient plus à leurs commanditaires et à l’environnement institutionnel qu’aux citoyens.
Au total, en lieu et place d’un référendum, c’est un véritable plébiscite qui été organisé et nous amène ranger cette consultation dans le fétichisme constitutionnel sénégalais.
Les acteurs auront surtout oublié que tous les points de vue ont un sens et une légitimité aussi bien dans un référendum qu’en république et que le choc des perceptions est consubstantiel à la vie politique. D’une façon plus générale, il n’est pas inutile de rappeler que la démocratie, qui ne peut être exercée que par des démocrates, est d’abord et avant tout, un état d’esprit. Les aspects institutionnels sont secondaires et restent tributaires de cet esprit démocratique qui doit les inspirer et les animer.
C’est pourquoi, le Président a aujourd’hui l’obligation de tenir compte de ces voix discordantes et de faire parler les absents et les muets pour décrypter leur message. Il doit ensuite élaborer une politique publique adossée à des supports calibrés à leurs attentes, leur représentation, voire leur imaginaire.
En effet, quand l’abstention grandit dans une démocratie, cela signifie que cette dernière ne fonctionne plus correctement et la faute ne vient pas souvent d’un désintérêt des électeurs mais d’une classe politique qui les déçoit, à notre sens, par une double rupture de la médiation sociale et politique.
Et dans un article publié en 2009 intitulé ’’les partis politiques sénégalais en danger, chronique d’une mise à mort annoncée’’, je dénonçais déjà le phénomène en ces termes :
« L’impuissance » de la puissance publique à mettre en place un espace public constitutif de médiation entre sphères de la société a abouti à la création, par la société civile, d’espaces nouveaux de libres-débats, porteurs de dangers pour les partis politiques.
En effet, cette crise des médiations est imputable à l’ensemble de la classe politique, majorité et opposition confondues.
La multiplicité des partis politiques, l’absence de perspectives, l’arrogance des acteurs risque de conduire, dans un très court terme, à une désaffection totale de l’électorat.
Face à ce contexte d’une extrême gravité qui annonce à brève échéance la disparition des partis politiques dans leur forme actuelle, chaque formation cherche à tirer la couverture à elle-même aux dépens des autres, avec au total, une situation dégradée pour tous’’.
Le défi est aujourd’hui de remodeler le contenu de la vie publique et d’asseoir une communication ouverte qui pourra être le vecteur politique de la cohésion sociale et l’expression crédible d’une conscience républicaine.
Boucar DIOUF
Coordonnateur national de la CIAR (Convergence d’Idées Autour de la République)
[email protected]

3 Commentaires

  1. Rien de mieux que des preuves irréfutables pour mettre à nu ceux qui, pour des raisons inavouables, soutiennent le mensonge flagrant.
    Quelque chose de grave est entrain de se passer inaperçu, à la fin de ce référendum. Le ministre de l’intérieur annonce, avant référendum 12 381 bureaux de vote.
    La preuve ici:
    http://www.sencms.com/news/Politique/organisation-du-referendum-la-situation-_n_176303.html
    Pour proclamer les résultats, je juge Kandji déclare 13 594 bureaux de vote.
    La preuve ici:
    https://www.youtube.com/watch?v=t4WUK-_V3Ns&feature=youtu.be
    1 213 bureaux de vote de différence, c’est pas une petite affaire.

  2. Comme je l’ai indique dans mon feedback email de ce soir, et a l’instar de vos articles precedents (1.sur le Conseil Constitutionnel 2. sur Dansokho..)m cet), cet article egalement est d’une excellente qualite. L’analyse y est profonde et pertinente, et sans aucun doute..tres edifiante, « pour des gens qui reflechissent » Tous nos remerciements et encouragements.
    Votre cousin

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