Le candidat Idrissa Seck ne m’inspire aucune confiance. Par Mody Niang

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En conclusion du premier jet de cette contribution publié dans quelques quotidiens de la place le lundi 19 septembre 2011, j’invitais les inconditionnels du candidat Idrissa Seck à garder leur calme et à attendre que j’en termine avec leur champion pour me brocarder à leur convenance. Ils n’ont malheureusement pas fait preuve de patience et ont commencé à me tirer copieusement dessus. Avec ce feu particulièrement nourri, ils croient peut-être m’ébranler et me faire renoncer au second jet que j’annonçais. L’un d’eux a d’ailleurs intitulé sa réaction particulièrement salée ainsi : « Il faut arrêter tout de suite cet individu payé à écrire contre Idrissa Seck ! » Pour un autre, « (Je suis) intellectuellement ce qu’Abdoulaye Wade est politiquement. » Ce dernier a vraiment frappé un grand coup. Il ne me reste alors plus qu’à me suicider et à aller sans escale en enfer si, dans quelque domaine que ce soit, je suis comparable à wax waxeet. De nombreux autres font état, dans des mails, de « la haine que je nourris à l’endroit d’Idrissa Seck ». Peine perdue que tout cela ! De telles réactions épidermiques n’ont jamais eu de prise sur ma liberté totale de m’exprimer sur la conduite des affaires publiques de mon pays.

Je continue donc tranquillement mes observations sur les réponses fallacieuses faites par le candidat Seck lors de ses différentes interventions aux radios, aux télévisions, aux quotidiens et autres hebdomadaires de la place. Ce n’est quand même pas là le plus gros des crimes !

Je commencerai par la justification fantaisiste de sa fameuse fortune. Rappelons quand même que c’est lui-même, alors Premier ministre qui, de Ziguinchor, déclarait sans sourcilier et devant un parterre de partenaires au développement certainement ébahis, qu’il est né pauvre mais qu’il est devenu riche. Cette déclaration surprenante a naturellement soulevé des vagues et les journalistes ne perdaient aucune occasion pour lui demander de s’expliquer sur l’origine de sa fortune subite. C’est ainsi que, acculé lors de l’émission « Grand Jury » de la radio Rfm du 29 octobre 2006 dont il était l’invité, il fit cette réponse renversante : « Je ne me suis pas enrichi à la faveur du pouvoir. Les seules ressources que mon passage au pouvoir a mises à ma disposition et qui renforcent mes moyens d’intervention politique et sociale, ce sont les fonds politiques que le président de la République lui-même m’a alloués de façon discrétionnaire.»

Arrêtons-nous un peu sur un détail important de cette fameuse déclaration qui est en réalité un aveu, un aveu de taille ! Les mots ont bien un sens en français, et dans toutes les langues d’ailleurs. Le président dela Républiquelui aurait donc  alloué de façon discrétionnaire les fonds politiques ! En termes clairs, cela veut dire que le président les lui a attribués, accordés. Ce serait étonnant de la part de ce président dont la première préoccupation était d’en finir définitivement avec ses soucis d’argent. En réalité, il lui avait confié la gestion des fameux fonds.

Nous sommes plus familiers avec le concept de « Fonds politiques ». Il s’agit, en réalité de « Fonds spéciaux » qui comprennent : les fonds politiques, les fonds secrets et le fonds d’aide à l’unité africaine. Ces fonds spéciaux sont certainement laissés à la discrétion du Président dela République, dans le cadre dans l’exercice de ses fonctions régaliennes. Ils ont quand même un esprit (républicain) et ne devraient pas servir à acheter de vulgaires transhumants ou des porteurs de voix potentiels, ou à enrichir les collaborateurs, même les plus proches du président.

Nombre de nos compatriotes se méprennent aussi sur le montant (légal) des fonds spéciaux : chaque année, à l’occasion du vote du Budget, une autorisation de l’Assemblée nationale alloue au Président de la Républiqueune somme qui se situait autour de 640-650 millions de francs Cfa[1]. Cette autorisation est annuelle. Ce sont ces fonds qui sont laissés à la discrétion du Président dela République, à sa discrétion républicaine. Ces fonds (légaux) n’ont rien à voir avec ceux sur la gestion desquels l’ancien Premier ministre Idrissa Seck a été interrogé le 11 novembre et le 23 décembre 2005 parla Commission d’Instruction dela Haute Cour de Justice.

M. Seck fera des révélations ahurissantes devant la Commissiond’Instruction de ladite Cour. Je renvoie le lecteur à deux quotidiens de la place qui ont largement relayé ces graves révélations, et pratiquement dans les mêmes termes. Il s’agit des journaux « Le Quotidien » du 17 janvier 2006 (page 5) et de « Walfadjri » du 20 janvier 2006 (page 3). Les deux journaux ne pouvaient rien inventer : ils ont rendu compte des révélations de l’ancien Premier ministre dans les mêmes termes, ont donné les mêmes chiffres et cité les mêmes noms de toutes les personnalités (publiques et privées) impliquées dans la gestion calamiteuse desdits fonds. L’ex-Premier ministre révélera que dans ce cadre, le président Wade, le fils biologique et lui-même ont eu à gérer des dizaines, voire des centaines de milliards, à travers des comptes ouverts notamment àla Cbao, àla Sgbs et en France.

Á la question des magistrats ébahis de savoir d’où provenaient ces milliards, notre ex-Premier ministre répondit sans fard : « Des fonds diplomatiques et autres aides budgétaires que Me Wade ramenait de ses nombreux voyages. » Il donnera même un exemple concret : « Un chèque d’un milliard 200 millions de francs Cfa offert par le Koweït au Sénégal, avait été directement remis au Président de la République qui l’aurait fondu dans ses fonds politiques », exactement dans les comptes hébergés parla Cbao.

En d’autres termes, les fonds spéciaux du président dela Républiqueétaient alimentés par de l’argent détourné de sa destination normale : le Trésor public. Des compatriotes triés sur le volet profitaient largement et indûment des ces fonds, de l’argent du contribuable. C’est à partir de ces fonds que l’ancien Premier ministre reconnaît avoir constitué sa fortune. Il nous a donc menti et nous en a administré lui-même la preuve. Ne proclamait-il pas, en effet, sur tous les toits, que jusqu’à l’extinction du soleil, c’est-à-dire dans huit milliards d’années, un seul franc non licite ne pouvait lui être imputé ? Nous n’avons pas attendu aussi longtemps pour découvrir, par ses soins, que c’est un vulgaire voleur et un sacré menteur.

Son explication de la transhumance dont il était incontestablement le théoricien et le praticien est aussi fallacieuse que ses autres réponses. Il y aurait eu recours pour combler la faiblesse du score du Pds à l’élection présidentielle de février 2000 (31,01%), élargir les bases du Parti, et donner à Me Wade une majorité confortable pour gouverner. D’abord, ce n’est pas le Pds qui était accrédité de ce score au premier tour du scrutin présidentiel de février 2000 : c’estla CoalitionAlternance2000 (Ca 2000) qui portait sa candidature, qui avait obtenu ce score. Idrissa Seck oublie à dessein qu’au second tour, le 19 mars 2000, le Front pour l’Alternance (Fal) composé dela Ca2000 et dela Coalitionde l’Espoir 2000 (Code 2000) autour de Moustapha Niasse obtenait triomphalement 58 % des suffrages exprimés. Le premier gouvernement constitué, était composé du Pds et de tous les ténors des deux coalitions. Me Wade disposait donc d’une majorité confortable et était entouré d’hommes et femmes qu’il fallait pour gouverner. Il lui suffisait alors de remettre le pays au travail en mettant en œuvre sans équivoque les engagements pour lesquels il était élu. Pour cela, il disposait d’atouts dont aucun de ses prédécesseurs n’a eu à bénéficier : tout le pays, même les vaincus, étaient prêts à le suivre. Dans ces conditions, sa réélection pour 2007 ne ferait pas l’ombre d’un doute. Il serait en posture plus confortable encore s’il avait laisséla Justicetraiter en toute indépendance les audits. De nombreux ténors socialistes y laisseraient la presque totalité de leurs plumes et leur Parti s’en relèverait difficilement.

Au lieu de cette saine solution, Me Wade et son bras droit d’alors choisirent le tortueux chemin de la détestable transhumance. Leur premier objectif était de se débarrasser, à la première opportunité, de leurs encombrants alliés. Ils renverront ainsi successivement Amath Dansokho, le Pr Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse et leurs compagnons. La voie était désormais libre pour aller collecter des suffrages jusqu’en Chine. Mais leur Chine était bien plus à portée de main que le grand continent asiatique : ils jetèrent leur dévolu sur le Parti socialiste et, en particulier, sur sa pègre, ses délinquants les plus lourdement épinglés par les audits, pour assouvir leur soif de suffrages. Tous ces individus ont été recyclés et se retrouvent aujourd’hui au niveau le plus élevé du Pds et de l’État libéral. Au grand dam du peuple du 19 mars 2000 qui avait porté avec enthousiasme Me Wade au pouvoir pour mieux gouverner le Sénégal.

Je ne pourrai malheureusement pas passer en revue toute la manière cavalière, politicienne et électoraliste dont ils ont traité les audits[2]. Je renvoie le lecteur au rapport particulièrement accablant qui a sanctionné la longue gestion de la Poste, alors dirigée par monsieur Ibrahima Sarr. Ce rapport a été établi par la Cour de Vérification et de Contrôle des Comptes des Entreprises publiques (Cvccep), après une mission qui a commencé en juillet 1999 et a duré une dizaine de mois, et portait sur les exercices 1996-1999. Le rapport n’étant pas accessible au grand nombre, le lecteur intéressé peut en lire de larges extraits dans de nombreux journaux de la place, notamment dans Walfadjri du mardi 9 avril 2002, page 3. Il tomberait à la renverse, face aux graves irrégularités qui ont lourdement grevé les finances de la Poste et finalement conduit à un lourd déficit de 25 milliards au Trésor public. Devant la gravité de telles irrégularités, les juges financiers de la Cvccep avaient fini de faire de la gestion de la Poste l’« exemple type de mauvaise gestion ».

Á la télévision nationale, le président dela République, le Premier ministre et le Ministre de l’Économie et des Finances d’alors, fustigeaient tous la gestion de M. Sarr et lui promettaient formellement la prison. Après quatre à cinq années de tergiversations et d’atermoiements, le juge chargé de l’affaire – c’en était vraiment une –  organise un point de presse pour déclarer, contre toute attente, qu’il n’a pas trouvé dans le dossier l’ombre d’un élément, qui pût justifier des poursuites judiciaires contre M. Sarr. Les inconditionnels d’Idrissa Seck me rétorqueront facilement, eux qui n’ont pas suivi ce dossier explosif et qui n’en connaissent pas toutes les péripéties, que le juge a décidé. Si Ibrahima Sarr et consorts – il n’était pas le seul concerné et cela, Idrissa Seck le sait – sont sortis indemnes de ce dossier, les bandes d’Ino et de Clédor Sène seraient fondées à prétendre au même traitement.

Le cas de l’ex-Directeur général de la Régiedes Chemins de Fer du Sénégal (Sncs) est aussi intéressant. Il a été inculpé et mis aux arrêts, « pour un détournement présumé de sept (7) milliards », le 26 mars 2001. Il bénéficiera d’une liberté provisoire le 4 novembre 2003, après avoir versé une caution de 112 000 000 de francs Cfa. Les observateurs avertis n’ont pas manqué d’identifier des signes évidents dans les dates d’incarcération et de mise en liberté provisoire de l’ex-Dg dela Sncs : le 26 mars 2001, nous étions à un peu plus d’un mois des élections législatives anticipées du 29 avril 2001 ; le 4 novembre 2003, c’est le jour de nomination de Idissa Seck comme Premier ministre, en remplacement de Mame Madior Boye. Quelles coïncidences troublantes ! L’ex-Dg transhumera finalement et bénéficiera d’un non-lieu total.

Si l’espace me le permettait, je donnerais nombre d’autres exemples aussi troublants que les deux précédents, où on sent la main lourde d’Idrissa Seck. On peut en trouver à foison dans le chapitre VI de mon livre «  Me Wade et l’Alternance : le rêve brisé du Sopi » (pp. 149-210), L’Harmattan, janvier 2005.

Malgré le manque d’espace, je me permettrai de signaler le communiqué où Idrissa Seck invite Wade père et Wade fils à « s’expliquer directement et publiquement » sur les accusations de Me Robert Bourgi. S’était-il expliqué quand son frère ennemi, Me Ousmane Ngom, l’a accablé d’accusations infamantes dans une interview à « L’Observateur » du 26 avril 2004 ? Avait-il seulement ouvert la bouche, quand le fringant Abdourahim Agne lui a jeté à la figure cette autre accusation : « Tais-toi ! Tout le monde peut parler de corruption au Sénégal sauf toi, Idrissa ! » ?

Les inconditionnels de cet homme sont libres de rouler pour lui et de me traiter de tous les noms d’oiseaux. L’une d’entre eux, Me Nafissatou Diop Cissé, me prête « une haine viscérale contre Idrissa Seck ». Ce qui retient en particulier mon attention dans sa réponse, c’est ceci : « Je sais que Mody Niang n’a pas de leçon d’éthique à donner à qui que ce soit et lui sait de quoi je parle. » Je ne sais strictement rien, vraiment rien du tout. Si elle me connaît un seul comportement ou un seul propos qui ne m’honorent pas et que j’ai dû oublier, qu’elle me rafraîchisse la mémoire en les étalant au grand jour, sur la place publique ! Elle rendrait ainsi un service inespéré à ses autres camarades de Parti.

En tout cas, j’observe attentivement la scène politique sénégalaise depuis de nombreuses années et j’ai beaucoup retenu de ce que les uns et les autres ont pu dire ou faire, surtout autour de ce fameux « Protocole de Reubeuss ». Idrissa Seck sollicite nos suffrages pour nous gouverner. Je ne crois pas du tout qu’il soit un bon choix pour le Sénégal, après Me Wade. Je ne le hais point. La haine n’a pas de place dans mon cœur. Pour des raisons objectives fondées sur des faits et propos que je lui connais, il ne m’inspire aucune confiance. Jusqu’à preuve du contraire.

 

 

Mody Niang, e-mail : [email protected]

 

 

 

 

 



[1]  Avec l’appétit d’ogre du président Wade, ce montant, qui ne lui suffisait même pas à se rincer la bouche, a fini par crever tous les plafonds. Pour ne donner qu’un exemple, les « fonds secrets » du président de la République sont passés de 9, 895 milliards à 16, 895 milliards, soit une hausse de 7 milliards. C’était lors d’un vote d’une loi rectificative en juin 2010 (voir L’AS du 4 juin 2010). Que fait-il de tous ces milliards, cet individu ?

[2]  Je remercie au passage les quotidiens qui ont intégralement publié le premier jet de ce texte, malgré sa longueur. Je suis obligé donc de passer sur des informations pourtant déterminantes pour la compréhension du lecteur.

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