« Le décret de révocation du maire de Dakar est illégal pour au moins deux raisons » (Par Pr Abdoulaye Dièye)

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XALIMANEWS : La révocation de Khalifa Sall de la mairie de Mairie de Dakar continue de susciter moult débats dans le landerneau politico-juridique du pays. Ainsi, le professeur de droit à l’Ucad s’est penché sur le sujet en dénonçant la révocation du député ex maire de Dakar. Voici, in extenso, le contenu du message :

La légalité, c’est la qualité de ce qui est conforme à la loi. Notre conviction profonde : le décret 2018-1701 portant révocation du maire de Dakar en date du 31 aout 2018 est illégal pour au moins deux raisons :

La décision de révocation manque de base légale
Les éléments de la légalité interne d’une décision administrative (objet, but et motifs) peuvent être entachés des vices suivants : violation de la loi, détournement de pouvoir et irrégularité des motifs. Les motifs sont les raisons de fait et de droit qui ont justifié la décision. L’irrégularité des motifs peut consister en une erreur de droit. L’erreur de droit peut prendre la forme d’un défaut de base légale. Il en est ainsi lorsque l’autorité a fondé son acte sur une règle juridique inapplicable. La décision de révocation du Maire de Dakar est fondée sur la décision d’appel du 30 août 2018. Ceux qui convoquent le rapport de l’IGE n’ont peut-être pas lu le rapport de présentation du décret ou ses visas. Il n’est nullement fait mention d’une procédure disciplinaire qui aurait pu justifier une révocation sans attendre les décisions juridictionnelles. Nous savons très bien que la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale mais encore faut-il pouvoir démontrer qu’il y a bel et bien eu une procédure disciplinaire adéquate (avec le respect scrupuleux du principe du contradictoire). L’IGE est un corps de contrôle et non une structure disciplinaire. Elle fait des recommandations mais ne sanctionne pas.
En fondant la décision de révocation sur une procédure judiciaire qui en est à l’instance d’appel, le Président de la République a violé le principe de la présomption d’innocence, ce principe selon lequel toute personne, qui se voit reprocher une infraction, est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée à travers une décision de condamnation définitive. L’affaire du maire de la commune de Saint-Privat (Hérault) a été évoquée tout dernièrement par les avocats de l’Etat pour dire à juste raison que la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale. Ils savent cependant très bien que dans le Considérant 5 de son arrêt du 26 février 2014, le Conseil d’Etat français dit clairement «que la condamnation d’un maire en première instance, qui ne peut permettre de regarder comme établis les faits qui la motivent ni comme définitives les sanctions pénales qui les répriment, ne peut suffire à fonder légalement une décision de révocation prise…
Si le Conseil d’Etat n’a pas finalement retenu l’illégalité et a accepté le principe que l’administration puisse prononcer « une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué, c’est parce qu’il a estimé que deux procédures parallèles (disciplinaire et judiciaire) ont été engagées. Le décret de révocation mentionne bien les deux lettres prouvant qu’une procédure d’instruction a été régulièrement suivie, ce qui justifie la légalité de la sanction administrative que constitue la décision de révocation. L’instruction a révélé que les « agissements (du maire) dans le cadre de l’exercice de ses fonctions municipales le privent de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions de maire».
Comparaison n’est pas raison.
Autre argument entendu : les faits sont définitivement établis car la Cour d’appel est la dernière instance de fond ; la Cour de cassation ne se prononce que sur le droit. Cet argument manque de pertinence dans la mesure où la juridiction suprême peut casser la décision de la Cour d’appel, renvoyer devant une autre juridiction du même ordre ou même ne pas renvoyer. Ce faisant, la décision de la Cour d’appel est anéantie.
Le décret de révocation n’est pas motivé
Tout acte administratif a des motifs mais ils ne se retrouvent pas forcément dans le corps même de l’acte. Il ne doit en être ainsi que lorsque la loi l’exige et c’est justement le cas au niveau de l’article 135 du CGCT qui dispose clairement en son alinéa 4 que le décret de révocation doit être motivé. La motivation, c’est l’inscription des motifs dans la décision même : on dit d’un acte qu’il est motivé lorsque son instrumentum est revêtu des motifs qui le fondent. La motivation a pour but de garantir les droits des administrés et de les informer par rapport à une décision administrative. L’obligation à la charge de l’administration, pour motiver les décisions défavorables, de faire en sorte qu’« à la seule lecture de la décision », le destinataire puisse en connaître les motifs, cache une autre: celle de les faire figurer, sur la décision elle-même. Que ceux qui seront tentés de renvoyer aux raisons évoquées dans le rapport de présentation du décret sachent que la motivation pose le problème lié à l’expression des motifs sur la décision elle-même. Les motifs d’une décision sont les considérations de fait et de droit qui la justifient. Ils se rapportent au contenu d’un acte et relèvent, par conséquent, de la légalité interne. Ce n’est pas le cas de la motivation qui relève de la légalité externe. Il y a donc à distinguer clairement la valeur des motifs au fond et celle de leur expression écrite. C’est le fait de porter ces motifs à la connaissance des administrés par leur exposé dans le corps même de la décision que l’on appelle motivation.
Le juge, au Sénégal, a régulièrement sanctionné l’absence de motivation dans les cas où elle est exigée ne faisant aucune différence entre les décisions écrites et les décisions implicites. Dans l’affaire Cheikh Anta Diop (Trib. Dakar 7 avril 1981, M.P c/ Cheikh Anta Diop), le juge a rigoureusement appliqué le principe selon lequel une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée est illégale du seul fait que par nature, elle ne peut être assortie de cette motivation. Dans l’affaire I.B.M contre Etat du Sénégal (CS, 7 janvier 1987), l’inspecteur du travail croyait avoir motivé sa décision en affirmant, à travers les énonciations de la décision, “qu’aussi bien les éléments du dossier que les résultats de l’enquête confirment les griefs retenus contre (le requérant) “. Le juge l’a contesté en précisant que cela ne constitue pas une motivation. Le juge sénégalais a même, de son propre chef, élargi les cas de motivation obligatoire qui, jusqu’ici, étaient institués par les textes. Il en a été ainsi dans l’arrêt Ousmane Kamara (CE, 27 avril 1994). Il s’est montré dans certains cas, particulièrement exigeant sur la forme de la motivation alors pourtant qu’aucun texte ne le prévoyait. Ce fut le cas dans l’affaire Seydou Mamadou Diarra où il estime que l’administration s’est soustraite à l’obligation de motiver sa décision en se bornant à viser «les nécessités d’ordre public» sans qu’aucun élément contenu dans la décision elle-même ne renseigne sur lesdites nécessités”, le juge ne se satisfait plus des formules vagues et laconiques de motivation.
Que peut alors dire le juge, aujourd’hui, devant une décision qui n’est même pas motivée alors que nous sommes dans le champ de la motivation obligatoire ?
Par Abdoulaye Dieye
Enseignant au département de droit Faculté des sciences juridiques et politiques,

UCAD

2 Commentaires

  1. Merci Professeur ! Le texte est limpide comme l’eau de roche. Beaucoup de grains à mettre dans le moulin des avocats de Khalifa qui se sont pourvu en cassation. Espérant que, cette fois-ci, la Cour Suprême fera preuve de sagesse ! Macky est une calamité !

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