Le développement est-il compatible avec l’exode des cerveaux? Par Lamine Niang

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Dans mon dernier article dans lequel je dénonçais le projet du gouvernement sénégalais d’envoyer des travailleurs qualifiés au Qatar, certains commentaires  teintés  manifestement de partisanerie politique faisaient remarquer qu’on était devant un phénomène migratoire mondial auquel le Sénégal ne pourrait pas échapper.  Il n’y a apparemment pas de quoi fouetter un chat et qu’il faut éviter la critique facile.

 

Notre  vilaine propension à vouloir nous identifier obligatoirement  à une chapelle politique, ethnique ou religieuse nous empêche souvent de faire une analyse froide et objective des évènements qui se présentent devant nous. L’émotion prenant souvent le dessus sur la raison.  Et cela se manifeste surtout dans le champ politique. Soit on est du camp de la classe au pouvoir  et toute critique négative  des mesures prises par celle-ci est mal vue. Ou bien on fait partie des souteneurs et là,  on fonce, tête baissée,  dans la défense de toutes les décisions gouvernementales, mêmes les plus impopulaires.

 

Si je suis d’avis que la mondialisation et la pauvreté dans les pays du Sud stimulent beaucoup la migration économique des populations actives, je  réaffirme tout de même  qu’il est irresponsable pour le gouvernement d’un pays comme le Sénégal d’orchestrer  le départ de ses citoyens éduqués et bien formés pour aller servir d’autres pays.

 

Et au- delà de nos différentes positions sur cette entente entre le Sénégal et le Qatar, se pose surtout un fléau plus cancéreux  et  plus dangereux  qui devrait davantage interpeller nos gouvernants: l’exode ou la fuite des cerveaux.

 

En effet, à côté de la mal gouvernance de ses élites, du pillage de ses ressources naturelles et de ses nombreuses cicatrices laissées béantes par l’histoire, l’un des grands maux du continent africain réside dans ses  ressources humaines instruites et bien formées qui se retrouvent à monnayer leur  expertise à l’étranger, et plus particulièrement, dans les pays occidentaux.

 

Une véritable saignée qui n’a pas fini de porter un coup dur au continent mère.

 

Et un argument de défense trop simpliste serait de se limiter au raisonnement de la  liberté des individus de voyager où ils veulent et de faire ce qu’ils veulent de leur savoir-faire.

 

La  formation des universitaires représente un investissement financier considérable pour un pays pauvre; par conséquent lorsqu’un  État en arrive à dépenser des milliards pour l’instruction et la qualification de sa population et que celle-ci ne trouve pas d’intérêt à servir son peuple, on est alors face à  un lourd investissement à perte qui mérite une large réflexion pour enrayer le mal ou, du moins, le diminuer.

 

Ce qui est plus catastrophique encore est que  les départs, beaucoup plus massifs, ne sont pas comblés par de nouveaux arrivants. Sans compter la dure réalité qui frappe de nombreux diplômés dans les pays d’accueil pour trouver un emploi compatible avec leur domaine de formation. Dans une ultime résignation, plusieurs se retrouvent à exécuter des travaux ne nécessitant aucune qualification. Dans mon article intitulé Le Canada, nouvel eldorado ou briseur de rêve de l’élite africaine, je retraçais la triste condition  du médecin ou de l’ingénieur africain employé dans les entrepôts montréalais.

 

Certes le mirage de l’Occident, la subite réussite des premiers émigrés  partis en Europe et aux États-Unis et la précarité des conditions sociales dans nos différents pays ont poussé beaucoup d’entre nous à ne voir d’issue heureuse dans nos vies que dans l’ailleurs, mais  la lecture de l’histoire et l’étude de l’évolution des sociétés nous apprennent clairement qu’aucun pays ne s’est bâti et ne s’est  hissé au sommet   sans le patriotisme volontariste de ses propres fils.  Toutefois, cela demande de la vision à long terme de nos classes dirigeantes et l’entretien de la flamme de l’espoir. Une vision qui ne se complait pas dans la gestion à la petite semaine.

 

Tous les économistes s’entendent pour dire que si le capital naturel, c’est-à-dire  les mines, les forêts, l’agriculture, etc. et le capital physique (infrastructures, services publics et équipement de production) sont une des composantes de l’activité économique, donc la richesse nationale, c’est surtout le capital humain, soit la main-d’œuvre d’un pays et son niveau de productivité et d’expertise qui est le pilier du développement de la richesse, car celui-ci contribue à stimuler le développement et la croissance économique. Un pays qui compte un grand nombre d’employés spécialisés sera alors plus concurrentiel sur le plan mondial.

 

Avec l’avantage que des pays comme la Chine et l’Inde ont tiré de la mondialisation des productions grâce à leur main d’œuvre de qualité, nous pouvons avancer sans risque de nous tromper que l’un des grands défis qui se dressera devant  nos leaders sera leur  capacité de rétention de nos travailleurs qualifiés sur le sol africain après leur coûteuse  formation; non leur encouragement au départ.

 

Aujourd’hui, parmi les causes qui expliquent le taux de chômage très élevé qui frappe les pays industrialisés figurent  les délocalisations des entreprises. Et si certains pays africains comme le Sénégal peuvent certainement rivaliser avec d’autres pays émergents au niveau de l’offre de la stabilité politique et du positionnement géographique avantageux, c’est dans la disponibilité des infrastructures (ports, routes, aéroports, etc.) et surtout dans l’existence d’une main d’œuvre de qualité que toute la différence se fera sentir.

 

Des pays de l’Asie orientale et de l’Asie du Sud ouest attirent les plus grandes multinationales principalement à cause de leur main d’œuvre très nombreuse et peu coûteuse.  Si la Chine est considérée comme l’«usine du monde» par ses innombrables manufactures qui y sont installées, l’Inde se démarque davantage comme «le bureau du monde» notamment par ses nombreuses entreprises de programmation informatique et de services d’assistance à la clientèle; permettant ainsi l’émergence d’une véritable classe moyenne.

 

Les délocalisations ont non seulement créé des millions d’emplois dans ces deux géants, mais elles leur ont également permis d’acquérir la technologie et le savoir-faire industriel qu’ils utilisent maintenant dans leurs propres usines où ils créent des emplois. Une réalité de croissance qui s’observe également dans d’autres économies émergentes de l’Asie orientale et de l’Asie du sud ouest  (Singapour, Taïwan, Thaïlande, Indonésie, etc.) depuis plusieurs années.

 

C’est dire donc que le pays, à défaut de profiter de l’expertise avérée de ses milliers de travailleurs qualifiés qui sont  éparpillés un peu partout dans le monde, ad mare usque ad mare, gagnerait, à tout le moins,  à mettre en place les conditions optimales pour retenir les jeunes diplômés qui sortent chaque année des Universités et des écoles de formation.  

 

Mais pour qu’une population active trouve la force morale de résister à l’appel prometteur des sirènes occidentales, il faut nécessairement que le jeu en vaille chandelle. Qu’elle estime que l’effort fourni quotidiennement par la majorité ne profite pas à une oligarchie. Qu’elle s’aperçoive que l’acquisition des diplômes ouvre indéniablement la porte à une réussite sociale certaine. Qu’elle découvre que  la science et le savoir sont valorisés et loués dans la Cité. Et finalement,  qu’elle ait confiance en ses leaders et en l’avenir.

 

Lamine Niang

Montréal. Qc

[email protected]

MAXKYFEMME

 

3 Commentaires

  1. Parfaitement raison cher frere.En realite toute personne ayant le minimum necessaire au bercail n’ aurait aspirer a l etranger.Parmi ces choses l autosuffisance alimentaire,des soins medicaux en cas de neccessite et un toit pour se caser.Pour faciliter cela ,la creation d emploi ,l entrepreunariat le parteneriat un systeme educatif moderne mais conforme a nos realites seraient uneluctables.La question de changement de mentalites surtout surtout de la part de nos learders doit imperativement suivre, ils doivent cesser de detourner les deniers publics pour enrichir les banques etrangeres, mais aussi devraient profiter de l’emmigre pour developer le pays qui ne cesse de contribuer au development .Meme le Prophete a immigrer faute d avoir des conditions ideales .

  2. Belle analyse! Je crois que le manque de vision et de volonte de nos dirigeants est l’une des raisons principales de cette exode des cerveaux. Je vois beaucoup d’opportunites au Senegal mais il y a besoin d’investissements en infrastructures, technologies, reforme fiscale, etc. que seul l’Etat peut entreprendre. On ne demande pas au gouvernement de creer des job, mais juste de creer les conditions qui favoriseraient le développement du secteur prive. Tant qu’on arrivera pas a dissocier l’elite politique de l’elite economique, le pays ne fonctionnera pas.

  3. Bien cher Lamine,
    Vous avez le mérite de soulever un aspect du paradoxe que souligne votre article mais qui, du reste, est discutable.
    Votre analyse du problème de la fuite des cerveaux sous l’angle du temps du citoyen ne correspond pas à la réalité du temps politique qui écrase l’exécutif.
    Je suis certain que nos dirigeants sont conscients du décalage entre le temps du citoyen qui défend une cause et le temps politique inexorable qu’ils vivent. Deux contraintes difficiles à juguler avec leur corollaire, le temps économique, qui n’attend pas.
    C’est à cette discussion que je me permets de vous inviter.
    Bien cordialement,
    Mouhamed Mboup
    Indianapolis, USA

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