Le discours du Président de la République et le Référendum : mon point de vue

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Ce qui me bouleverse,
ce n’est pas que tu m’aies menti,
c’est que désormais,
je ne pourrai plus te croire.
6
Friedrich Nietzsche
Par-delà le bien et le mal

Le débat demeure encore très agité suite à l’annonce du Président de la République de se « conformer à la Décision du Conseil Constitutionnel » concernant la réduction de son mandat en cours de 7 à 5 ans. Des spécialistes et non-spécialistes du droit constitutionnel ont déjà beaucoup disserté sur le sujet. Cependant, à mon avis, il y a toujours un certain nombre de points importants qui, du fait de la controverse en cours, semble avoir été négligés jusqu’ici. Avant de décliner ma position sur le référendum, je voudrais faire quelques remarques sur l’acte qu’a posé le Président de la République.

Comme beaucoup de mes compatriotes, le geste du Président de la République m’a surpris et déçu pour diverses raisons. D’abord, lorsque Macky Sall démissionna du PDS, le 9 novembre 2008, perdant du coup son mandat de député (comme le veut l’Article 60 de la Constitution), mais aussi rendit son mandat de conseiller municipal de Fatick, entrainant sa démission du poste de Maire de la même ville, je faisais partie de ceux qui avaient été séduits par un tel acte de bravoure et de dignité face au régime alors en place. A l’époque, je m’étais dit qu’avec la décision de M. Sall, une nouvelle génération d’hommes politiques qui met l’honneur et la dignité au-dessus des avantages matériels du pouvoir venait de naitre. Même si cela n’a jamais été suffisant pour m’amener à considérer militer dans son parti, cet acte a occupé une bonne place dans l’estime et le respect que j’avais pour M. Macky Sall. Pour cette raison, j’ai toujours cru que rien n’allait l’amener à revenir sur sa parole donnée et à renier son engagement de réduire son mandat actuel de 7 à 5 ans.

Ensuite, comme tous les autres candidats à l’élection présidentielle de 2012, M. Macky Sall avait fait un certain nombre de promesses aux Sénégalais dont la réduction de son mandat de 7 à 5 ans au cas où il serait élu. Une fois élu, il a continué à rappeler cette promesse qui, par la suite, est devenue un engagement qu’il a porté en bandoulière un peu partout dans le monde, au point de susciter l’admiration de plus d’un et d’être cité en exemple par les présidents français et américain. Quoique les motivations de ces deux derniers aient pu être, en tant que sénégalais, on ne peut qu’être fier de son pays lorsqu’il est cité comme un exemple de démocratie. A la différence de simples promesses électorales, la réduction du mandat était devenue un engagement ferme du Président Sall. Jusqu’à un passé récent, son intention semblait être irréversible, malgré l’opposition de grands responsables de son parti. En effet, et il a eu, plusieurs fois, à rappeler aux membres de l’APR, son parti, qu’il ne reviendrait pas sur sa décision de réduire son mandat de 7 à 5 ans. Cette insistance n’a pas pour autant pu freiner l’ardeur du camp opposé à son choix jusqu’à ce que, subitement, comme si elles s’étaient donné le mot, à un mois de la publication de l’avis/décision du Conseil Constitutionnel, toutes les structures du parti du Président acceptent et appellent au respect de la décision de leur président. C’est ainsi que lors d’une conférence de presse tenue le mardi, 19 janvier 2016, le Secrétariat Exécutif National de l’APR déclarait être en phase avec son leader et appelait tous les militants à se ranger derrière cette position. A sa suite, ce sont les jeunes et les cadres qui avaient embouché la même trompette. L’ancien Premier Ministre Aminata Touré était allée même jusqu’à demander qu’on célèbre le fait « qu’un président élu et bien élu à 65 % sur un mandat de 7 ans [décidât] par lui-même, sans pression aucune, de réduire son mandat à 5 ans ». Si, un mois après, le Président reçoit l’avis/décision du Conseil Constitutionnel et décide, pour s’y conformer, de maintenir son mandat à 7 ans, on peut croire que les membres de l’APR savaient déjà, avant tous les autres sénégalais, que la réduction du mandat ne sera pas appliquée immédiatement dans le cadre des réformes constitutionnelles. On peut également penser que c’est cela qui aurait justifié leur adhésion subite au choix de leur chef. Cette volteface subite nous fait croire qu’il y avait anguille sous roche. Nous pensons que non seulement le Président avait décidé de renoncer à son engagement et rassuré ses partisans, mais qu’il avait trouvé le bon prétexte, à travers l’avis/décision rendu par le Conseil Constitutionnel, pour légitimer ce changement de position. C’est ce comportement des partisans du Président de la République qui nous conforte dans notre conviction que les politiciens sénégalais ont joué et continuent de jouer avec le peuple, en le roulant dans la farine, en l’abusant et en le trahissant sans état d’âme.

Nous pouvons dire qu’on ne nous a pas dit toute la vérité dans cette affaire, car, non seulement M. Macky Sall n’a pas respecté sa parole mais l’argument qu’il veut utiliser pour valider sa position n’est pas convainquant. S’il tenait vraiment à respecter sa parole, d’autres voies sont à sa disposition pour le faire.

Un autre fait important est que toutes les personnes qui défendent la position du Président de la République savent, en leur âme et conscience, que l’ « avis » et la « décision » sont deux termes très différents. On n’a pas besoin d’être spécialiste pour savoir que le terme « avis » en droit signifie un point de vue, une opinion exprimée en réponse à une question posée. Pour cette raison, l’« avis » a la particularité de ne comporter aucune obligation juridique pour celui à qui il est destiné. A la limite, il ne peut qu’avoir une certaine influence sur la personne à laquelle il est destiné au moment de prendre sa décision. Des personnes mieux placées ont fini de démontrer qu’aucune loi n’oblige le Président à suivre l’avis/décision du Conseil Constitutionnel. Cet empressement à vouloir s’engouffrer dans la brèche ouverte par le Conseil Constitutionnel explique, en partie, la situation inconfortable dans laquelle se trouvait le Président au cours des derniers mois. La réaction de ses partisans et autres alliés témoigne du manque de sérénité avec lequel ils gèrent cette situation. J’ai été surtout et tristement marqué par le « maa tey » du Président de l’Assemblée Nationale, M. Moustapha Niasse. Après avoir, de manière diplomatique, formulé sa position dans une note datée du 18 janvier 2016, il n’y a rien, à mon avis, qui pouvait justifier une deuxième déclaration écrite pour clarifier cette position, si ce n’était pour rassurer davantage son allié de sa fidélité. Je ne pense vraiment pas qu’on ait besoin de toute cette cacophonie.

Ainsi, au lieu d’occuper les plateaux de TV, les radios et les medias sociaux, tentant de nous convaincre du bien-fondé de leur reniement, tous ces politiciens feraient mieux de nous laisser au moins la liberté d’user de notre bon sens, croire à ce que nous dicte notre conscience, et agir en conséquence. Qu’ils n’essaient pas de nous empêcher de croire que c’est une promesse non tenue et qu’en tant que telle, ils devraient être prêts à en assumer toutes les conséquences qui pourraient en découler. Qu’on nous permette aussi de manifester notre déception pour l’avantage moral, le sentiment de fierté d’être sénégalais et la haute estime dont notre pays jouirait au plan international que la promesse non tenue du Président va certainement écorner. Qu’on nous autorise donc à ruminer notre colère pour ce coup dur porté à l’image de notre pays. Qu’on nous oppose des idées et des arguments plus convaincants au lieu de se focaliser sur les attaques personnelles.
En ce qui concerne l’autre camp composé en majorité de l’opposition et de la société civile, il continue à ruminer elle aussi sa colère et à prendre des initiatives dont certaines vont dans le sens d’un boycott, d’autres dans le sens de voter Non. Il est déplorable de voir que ce camp soit majoritairement composé de leaders politiques qui n’ont aucune leçon de morale à donner ni à Macky Sall encore moins à nous autres car ils ne cessent de nous démontrer de manière récurrente leur capacité à défendre une chose pour ensuite soutenir le contraire dépendant de leurs intérêts du moment. Ils sont en train de s’organiser en un vaste mouvement pour faire face au régime en place mais apparemment ils n’ont comme point commun leur opposition au pouvoir, comme le « Tout sauf Wade » de 2012 avec une coalition qui « gouverne ensemble » parce qu’elle a « gagné ensemble » mais qui a malheureusement fini de nous montrer ses limites car en réalité elle connait de sérieuses difficultés dans cette tâche. Nous devons donc éviter de nous trouver encore devant une telle situation c’est-à-dire un « Tout sauf Macky » que notre opposition est en train de préparer.
La majorité de nos leaders politiques (opposition et pouvoir confondus) ne sont plus dignes de confiance, et c’est déplorable de voir certains individus et groupes vouloir faire une récupération politique du débat en cours, alors que rien dans leur parcours ne démontre qu’ils feraient autre chose que ce qu’ils dénoncent aujourd’hui. C’est cela que des gens comme le journaliste Mamoudou Ibra KANE appellent à juste titre « l’hypocrisie sénégalaise ».

Pour revenir au Président Macky Sall, je pensais donc qu’il avait quatre options :
1- Faire du “wax waxeet”, perdre les élections et son honneur
2- faire du “wax waxeet”, gagner les élections et perdre son honneur
3- Respecter sa parole, perdre les élections et préserver son honneur
4- Respecter sa parole, gagner les élections et préserver son honneur
Malheureusement il a choisi le « wax waxeet » qui de toutes les manières lui fera perdre son honneur et sa dignité aux yeux de beaucoup de Sénégalais et autres observateurs lointains de la scène politique de notre pays. En même temps gagner les élections est devenu plus qu’incertain du fait du large sentiment de trahison qui habite une grande partie du peuple sénégalais. Qu’il ait donné, à un certain moment, l’impression qu’il était sincère dans son intention de réduire son mandat ne faisait l’ombre d’aucun doute, surtout si on se rappelle de la fermeté avec laquelle il ne cessait de le rappeler. Toutefois, force est de reconnaître qu’au fil du temps, les actes posés, les lenteurs dans la procédure, et le chemin même emprunté ont fini par faire douter de sa bonne foi. Nous constatons tous, de manière incontestable, qu’il n’a pas épuisé toutes les voies auxquelles il pouvait recourir, sans violer la constitution, s’il tenait vraiment à limiter son mandat en cours à 5 ans. En fin de compte, il a choisi de renier sa parole et il doit en assumer la responsabilité. C’est pour toutes ces raisons que tous ceux qui, comme moi, avaient une certaine estime pour le Président Macky Sall, voyaient en lui une personne qui respecte sa parole, qui a toujours manifesté sa volonté de promouvoir une gouvernance « autant dans les textes que par les actes », ont de valides raisons de croire qu’il ne respectera pas ses autres engagements. Pour emprunter les mots de Friederick Nietzsche, je dirais au Président Sall que « ce qui me bouleverse, ce n’est pas que tu m’aies menti, c’est que désormais, je ne pourrai plus te croire ».

Enfin pour ce qui est du referendum, on a l’impression qu’il y a un empressement pour son organisation. Programmé initialement pour Mai 2016, je ne vois pas ce qui justifie l’urgence du rapprochement de son organisation. Si le gouvernement tient à l’organiser, il est possible de le coupler avec les élections législatives de 2017, pour ainsi faire des économies de fonds publics qui seraient beaucoup plus utiles dans d’autres secteurs. Malgré toute ma déception, toute ma colère, toute mon amertume, et eu égard à ce qui précède, je garde quand même l’espoir que le Chef de l’Etat va revoir sa position, écouter et entendre les sénégalais quelle que soit leur appartenance politique, reporter le referendum, enclencher de sérieuses consultations avec les différentes composantes de la nation, et envisager le couplage avec les élections législatives. Il utilisera ce temps pour revoir les propositions à soumettre afin qu’elles prennent en charge l’essentiel des préoccupations exprimées déjà par une partie de nos concitoyens.
Pour conclure, on peut retenir ce qui suit : il est temps de se mobiliser pour désormais obliger nos leaders, particulièrement les hommes politiques, à faire davantage d’efforts pour promouvoir l’éthique, le respect de la parole donnée, la vertu, non seulement par la parole qu’ils donnent, mais aussi par les actes qu’ils posent, et les comportements et attitudes qu’ils ont en toute circonstance. Qu’on ne permette plus à aucun candidat à une fonction élective de faire n’importe quelle promesse pendant les campagnes électorales juste pour duper les électeurs. Aussi nous souhaitons vivement que de nouvelles têtes émergent dans le milieu politique pour que le slogan « Sénégal Emergent » devienne enfin une réalité.
Quant au referendum, s’il est maintenu, notre vote ne devrait pas être dicté exclusivement par le « wax waxeet » du Président, mais aussi et surtout par une analyse sereine, lucide et sérieuse du contenu des propositions soumises à notre avis en tant que peuple.

Moussa DIENG, Ph.D.
Diack Mbodokhane
Commune de Ngoundiane
Région de Thiès
Email : [email protected]

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