Le gouvernement, une affaire de politiques par Daouda Cissé

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L’on a salué la nomination de Mouhamed Dionne au poste de premier ministre parce qu’il est un technocrate, ayant donc des compétences avérées dans la gestion des dossiers et sachant se tenir à l’écart de la politique. Ceci pose la question, parfois biaisée, parfois effleurée, mais jamais discutée de façon tranchée, de qui doit être ministre. Nombreux sont ceux qui pensent qu’un ministre doit avoir le profil de l’emploi. Il n’est pas nécessaire qu’il soit du secteur dans lequel il exerce ses responsabilités de ministre. Un enseignant n’est pas nécessairement un bon ministre de l’éducation. Un avocat peut être un excellent ministre de la santé. On peut multiplier les exemples pour montrer que les compétences professionnelles ne sont pas les attributs permettant de conduire avec succès un ministère. Mais, un ministre doit avoir un leadership. Il faut qu’il sache gérer une équipe et que, tel un chef d’orchestre, il sache donner le bon rythme et imprimer la cadence à la marche du secteur qui lui est confié. En vérité, on n’a pas besoin d’être bardé de diplômes pour être un bon ministre. Ce n’est pas le niveau académique qui fait le ministre. Il n’est pas besoin d’être diplômé de Harvard, de Centrale, de Polytechnique ou de l’ENA pour être un bon ministre. Un ministre a un cabinet, des conseillers et des directeurs de services nationaux qui, individuellement et collectivement, ont une connaissance du secteur telle qu’ils peuvent exécuter le travail confié au ministère par une lettre de politique. Par conséquent, on devrait arrêter de dire que les bons ministres sont ceux qu’on appelle les technocrates ou les membres de la société civile.
Qu’est-ce qu’un technocrate ? C’est simplement quelqu’un qui, dans son travail de tous les jours, privilégie les données techniques et économiques (Larousse). Il peut être un homme politique ou un haut fonctionnaire. Il a des compétences dans son secteur d’activités. Il faut donc arrêter de penser que les technocrates sont des « extraterrestres » qui ont des solutions à tout et qui savent ce que ne savent pas les politiques. Les militants des partis politiques et ceux qu’on appelle pompeusement les technocrates ont été formés dans les mêmes écoles et ont les mêmes diplômes. Aucune université, aucun institut ne délivre des diplômes ès technocratie. Tant qu’à nommer des ministres, autant le faire avec ceux qui sont dans le parti (ou dans les partis alliés au pouvoir), ceux qui connaissent l’idéologie du parti, ceux qui, du fait d’un commerce régulier avec le Président de la République, en connaissent la volonté, savent où il veut conduire le Sénégal et de quelle façon, ceux qui peuvent défendre la ligne tracée par le Chef de l’État et la politique du gouvernement devant les sempiternelles attaques de l’opposition et de certains citoyens. En un mot, à compétences égales, entre le militant du parti et le « technocrate », l’engagement militant doit être privilégié dans la nomination à un poste de ministre.
Cela dit, il faut revenir à l’orthodoxie de la gestion des affaires. Le gouvernement est une affaire d’hommes et de femmes politiques. Des gens ont choisi de s’investir dans des partis politiques pour servir leurs concitoyens et leur cité. Ils bravent beaucoup de dangers, sont victimes de toutes sortes de difficultés à cause de leur engagement politique. Quand arrive le moment de distribuer des postes, par essence, politiques, on leur tourne le dos. C’est frustrant. On a diabolisé les politiques au point que certains, anciens militants de partis, en général, sont allés se recycler pour devenir des membres de la « société civile » ! On ne compte plus, chez nous, le nombre de mouvements citoyens ! C’est la mode d’en créer pour pouvoir s’approcher du pouvoir. Qui n’est pas membre de la société civile ? La société civile est la société de tous les citoyens, de ceux qui sont à l’intérieur et de ceux qui sont à l’extérieur des partis ! Il n’y a, sous ce rapport, aucun intérêt à s’en réclamer parce qu’elle nous appartient à nous tous. L’adjectif « civil » signifie « qui se rapporte à la cité, qui appartient au citoyen ». C’est exactement ce que signifie l’adjectif « politique ». La différence entre ces mots réside dans le fait que, comme beaucoup de mots français, l’un (civil) vient du latin et l’autre (politique) vient du grec. Mais, ce sont, à bien des égards, des synonymes. On ne peut donc pas, comme on le fait, souvent, chez nous, opposer civil et politique ! Les historiens du droit et des institutions politiques savent que la « polis » (mot grec qui a donné « politique ») à Athènes, équivalait, à bien des égards, à la « civitas » (mot latin qui a donné « civil ») à Rome. Il s’y ajoute que, quand une organisation dite de la société civile construit une école, un dispensaire ou une salle de classe dans une école pour le bonheur des populations, elle réalise des actions on ne peut plus politiques. C’est, en effet, des actions comme celles-là que fait régulièrement tout gouvernement. La politique, depuis Aristote, reste l’art de conduire les affaires de la cité. Ceux qui se réclament de la société civile, travaillant pour la cité, font donc de la politique. Et même si, à priori, être dans la société civile signifie ne pas faire de la politique, accepter d’entrer dans un gouvernement, c’est accepter des charges politiques, c’est accepter d’être comptable de tout ce que fait le gouvernement dans un sens ou dans un autre. Abdou Latif Coulibaly a formellement adhéré à l’APR et le ministre de la justice, Sidiki Kaba, s’est illustré par son engagement pour la victoire de la liste de BBY à Tamba lors des récentes élections locales. Qui aurait pu croire, il y a quelques mois, que cet ardent défenseur des droits de l’homme descendrait dans l’arène politique ? S’ils sont conséquents avec eux-mêmes, car décriant la gestion des affaires par les partis politiques (ce qui les a conduits à en prendre une distance), les membres de ces organisations se réclamant de la société civile devraient se garder d’entrer dans un gouvernement essentiellement constitué par un ou des partis politiques. Cela vaudrait mieux, d’ailleurs, pour des raisons éthiques.

En un mot, être technocrate ou être membre de la société civile n’est pas, de mon point de vue, un critère recevable pour être un ministre. Le ministère est une fonction politique. Il faut le confier à des hommes et à des femmes politiques. Nous aimons bien voir ce qui se passe ailleurs. Est-ce qu’il y a un seul ministre de l’actuel gouvernement français qui ne soit pas du parti socialiste ou des partis de gauche ayant battu campagne pour Hollande à l’élection présidentielle de 2012 ? Y a-t-il un membre du gouvernement Obama qui ne soit du parti démocrate ? Que ceux qui ont choisi de s’investir dans les partis politiques soient aux affaires. Que ceux qui ont choisi de travailler pour leurs concitoyens en dehors des partis politiques et à l’intérieur d’organisations associatives restent où ils sont. Pour l’intérêt du jeu démocratique.

Daouda Cissé Montréal, Québec [email protected]

1 COMMENTAIRE

  1. Le probleme est que les hommes politiques sont considere commme des gens qui s’investissent pour l’argent , le prestige, la preuve est que le niveau du debat dans les parti est tres bas, en plus depuis les independances les politiciens s’enrichissent (niasse, idy, karim,macky,tanor , khalifa etc) alors que le peuple reste tres pauvre.
    Donc arretez de pleurnicher pour ces postes de minitres

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