Le Prix et la Table Par Ibrahima BAKHOUM

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Mars 1984. Le pouvoir s’abstient d’honorer de sa présence la cérémonie d’installation de Léopold Sédar Senghor, nouvellement élu à l’Académie française. Celui qui venait de le remplacer au Palais de la République à Dakar était son ancien Premier ministre. On était en plein dans la période dite de la désenghorisation, quand il fallait faire comme si le pays avait eu la malchance d’avoir été dirigé par celui qui a signé l’acte d’indépendance. A tel point que rien dans le paysage médiatique du service public ne devait plus rappeler l’ancien Chef de l’Etat. L’impression en fut du moins, très forte.

Dimanche 23 septembre 2012. Le pouvoir, une nouvelle fois, brille par son absence, alors que l’on célèbre l’ancien Chef de l’Etat. Et toujours en France. Le contexte n’est pas le même. Les acteurs aussi différents qu’une Haute Institution vielle de plus de trois siècles et demi, peut l’être d’une Association de partisans, de courtisans ou de sympathisants. N’empêche, les actes révèlent les intentions, s’ils ne sont accidentels et contingents.
Sous Abdou Diouf nouvellement élu, il s’agissait pour son camp, de positionner dans l’opinion, un ancien numéro 2 dont la discrétion derrière son mentor l’avait quasi privé de l’aura indispensable à un président de la République du Sénégal.

Dans le cas de Macky Sall, il s’agit de régler des comptes avec un Abdoulaye Wade dans la double posture de tombeur des socialistes (revenus au pouvoir par une autre porte) et de coupable d’avoir déshérité un ancien dauphin devenu chef de file de tous les mécontents du système mis en place par le même Wade. Dans un cas comme dans le second, les médias du service public sont restés dans leur attitude de toujours. Senghor à l’Académie française, un non évènement. Wade distingué pour son combat en faveur de l’Afrique, rien qui intéresse les Sénégalais. Dans un cas, c’est la France qui honore (ou s’honore ?) d’accueillir un intellectuel, ce qu’il y avait de plus francophile. Dans l’autre, ce sont des Africains qui veulent marquer leur adhésion à une vision dans les rapports Nord-Sud. Aucun acte n’étant vraiment gratuit, on adhère ou rejette.

Un éminent confrère me faisait observer, quelque soixante douze heures avant le sacre de Wade à Versailles, que les 0ccidentaux « ont peur » de ceux (Africains) qui savent. Comme en écho, l’ancien Président du Sénégal insiste devant le Fora, que c’est sa qualité d’intellectuel qui lui permit de réussir (sic).

D’autres de ses partisans y voient la cause de ses insuccès. Cela nous amène à revisiter la fameuse stratégie coloniale du «diviser pour régner» qui a si bien fonctionné durant des siècles (pour les plus anciennes colonies africaines) que les Etats issus de l’indépendance peinent encore à matérialiser le rêve toujours différé de l’intégration africaine. Les pères du panafricanisme continuent de se retourner dans leur tombe depuis que leur sont venues les nouvelles d’un Soudan coupé en Nord et Sud, d’un Mali menacé de partition, d’une Casamance incertaine autant que de rébellions localisés et sources d’insécurité parce que face à des Etats incapables de les contenir et ne pouvant compter ni sur une armée continentale, ni sur des voisins aux intérêts autres. Au contraire, ce sont parfois ces mêmes voisins qui servent de bases de replis aux fauteurs d’instabilité.

Intérêts stratégiques contre grands principes

Le grand principe de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme a volé en éclats, il y a longtemps. On en arrive à ne plus savoir combien il y a de pays membres de l’Union africaine (Ua). A la carte et suivant leurs intérêts présents et/ou à venir, les puissances qui composent le Conseil de Sécurité de l’Onu encouragent la scission dans les pays où les réminiscences de la Guerre froide divisent les nationaux en rebelles (méritant soutien et effectivement soutenus) et gouvernements estampillés corrompus et condamnés à être combattus au rythme des livraisons d’armes et de communication absolument dévastatrices parce que menée avec des moyens de loin supérieurs à ceux des gouvernements contraints à la défensive. Avec ce que cela peut entraîner et entraîne effectivement de suspicieuses dérives.

Les « bons élèves » (version puissances occidentales) ne sont pas nécessairement ceux qu’il faut à l’Afrique de demain. Au contraire. Mais puisque qui paie commande, les organisations qui servent aujourd’hui de bras armée à la cause néo coloniale assurent le service domestique de la déstabilisation. Dans un tel contexte, passer pour un militant d’une Afrique unie, forte et libre de commercer avec qui elle veut, peut s’avérer suicidaire pour un homme ou une femme au pouvoir. On sait depuis longtemps, ce qu’il en est de « l’amitié » lorsqu’elle est déclinée au niveau des Etats. Les intérêts passent avant et c’est tout à fait légitime. On n’est pas élu pour servir des amis ; le peuple souverain, à l’amont et à l’aval doit être au centre. Des Africains qui crurent naïvement que l’avènement d’un fils du Kenya pouvait changer quelque chose dans les rapports de la Maison Blanche au continent d’origine de Barack Obama, ont fini de réaliser qu’un président des Etats-Unis ne peut être qu’Américain. Dans l’âme, dans la culture de la domination comme dans la défense des intérêts de grande puissance. N’est-il pas symptomatique à cet égard, que l’adversaire républicain du candidat sortant cherche à grappiller des points dans l’opinion en accusant le démocrate d’avoir affaibli l’influence américaine dans le monde ?

En décidant donc de récompenser Me Abdoulaye Wade pour « ses efforts au service de l’Afrique », le Fora se met en marge de la logique de l’establishment international. Un journaliste sénégalais explique comment il lui arriva un jour de se poser des questions sur un dossier de sa production. Il avait reçu des félicitations dont il ne pouvait être fier. Elles venaient de personnes qu’il savait ne guère l’apprécier politiquement. Le confrère s’est alors demandé ce qu’il a pu écrire, qui pût à ce point, faire plaisir aux applaudisseurs de circonstance. La politique est ainsi faite au Sénégal – sûrement aussi ailleurs – que les félicitations ne sont pas le meilleur indicateur de la qualité de service. Ceux qui applaudissent aujourd’hui se recrutent dans les rangs des plus farouches contempteurs hier. Nous sommes toutefois habitués à ce jeu du destructeur-rédempteur.

On finit par renvoyer l’ascenseur

Après en avoir été son premier et plus redoutable adversaire démocratique, Abdoulaye Wade s’est ostensiblement mis devant les caméras et les foules éplorées pour honorer la mémoire de Léopold Sédar Senghor décédé le 2 ? décembre 2001 en France, soit un an après l’arrivée au pouvoir, du père du «Sopi». Les socialistes durent se faire discrets, pour n’avoir pas été assez reconnaissants à l’ex père (sic) de la Nation qui leur donna pourtant le pouvoir contre la volonté de tous les démocrates, mais simplement à la faveur d’un article 35 de la Constitution retouchée sur mesure pour le Premier ministre Abdou Diouf.

Chassé du pouvoir par les urnes, ce dernier a jusqu’ici une démarche élégante dans ses rapports au pouvoir issu de l’alternance 2000. Aujourd’hui encore, Abdou Diouf joue la même partition du « pas gêner » le successeur. Et voila que le président Macky Sall se prépare à célébrer celui dont il demandait le départ du pouvoir au cri de «Sopi, Sopi, Sopi». Il est fort probable qu’il en sera de même dans quelques années, pour celui que le premier gouvernement de la deuxième alternance démocratique traîne dans la boue pour cause de « mauvaise gouvernance ». A ses côtés tous les perdants et nombre de déçus du 19 mars et de l’après 2000. Le nouveau départ pris le 25 mars 2012, ouvre un nouvel épisode de l’histoire à répétition des attitudes politiques et politiciennes au Sénégal. Le dernier salon du tourisme organisé à la Porte de Versailles à Paris nous en a fait voir un bout.

Le si décrié Monument de la Renaissance a trôné très majestueusement au milieu des posters vantant la destination Pays de la Téranga. Pas besoin de réinventer l’eau chaude. D’autres œuvres de même nature ont attiré sur leurs auteurs et initiateurs bien des quolibets de leurs contemporains, avant d’être inscrits au patrimoine national et devenir source de rentrées de devises. C’est faire preuve d’une inadmissible cécité politique que d’espérer convaincre de la valeur de telles œuvres si ce n’est à titre posthume.

Qui aujourd’hui ne se réclame de Senghor dans le landerneau politique national ? Le premier président avait pourtant dû rendre intelligemment le pouvoir à son dauphin constitutionnel, dans un contexte de crise politique et économique profonde fait de rumeurs de tentatives (réelles ou supposées) de coup d’Etat. « Les Sénégalais sont fatigués », avertit alors le Président Kéba Mbaye au moment d’installer Abdou Diouf dans ses nouvelles fonctions de président de la République, Chef de l’Etat. Ceux qui l’accueillirent avec tous les préjugés favorables ont été au premier rang de ceux qui appelèrent à son départ et le combattirent résolument. Aux mêmes causes, les mêmes effets.

A la table du déjeuner comme dans les grands foras, il est clair que ceux qui se ressemblent s’assemblent aisément, même si cela doit renvoyer au partenariat du cheval et du cavalier. On comprend dès lors que pour les décorations comme pour les prix à personnalités marquantes, la logique reste inchangée, du Nobel à la médaille immortalisée par Ferdinand Oyono.
La roue tourne toujours dans le même sens, nom de vieux.

sudonline.sn

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