Le scandale de corruption des JO 2016 fait trembler la planète sport

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Cette semaine, la police brésilienne a mené plusieurs perquisitions chez des hauts responsables brésiliens. Parmi eux, le chef de la candidature de Rio aux JO 2016. La police a dit enquêter sur « un réseau international de corruption » où figurent des membres de la Fédération internationale d’athlétisme et du CIO incluant « l’achat de voix dans le cadre de l’élection de la ville-hôte des jeux Olympiques 2016 ». Retour sur ce dossier qui pourrait être l’une des opérations d’investigation les plus marquantes de la planète sport.

Vendredi 2 octobre 2009. Copenhague, 18h50. La ville de Rio est choisie par les membres du Comité international olympique (CIO) pour accueillir les Jeux de la XXXIe Olympiade de l’ère moderne. Aux dépens de Tokyo, Madrid ou Chicago et ce, malgré les présences exceptionnelles de Barack et Michelle Obama en personne. Dans la salle, Lula, Pelé et la délégation brésilienne peinent à sécher leurs larmes de joie.

De Rio la violente à Rio la fière
« Avec cette victoire, le Brésil a gagné une fois pour toute sa citoyenneté de première classe », déclarait le chef de l’Etat de l’époque. Comme le décrit Le Monde du 27 octobre 2009, « Rio la misérable, Rio la violente, Rio la merveilleuse laisse désormais la place à Rio la fière » d’offrir au pays, deux ans après la Coupe du monde, l’autre grand événement sportif planétaire.

« Nous allons dans un continent non exploré », se félicitait Jacques Rogge, le président du CIO d’alors. C’est d’ailleurs, selon lui, la « valeur ajoutée » qui a fait pencher le vote. Près de huit ans jour pour jour après cette consécration, Rio semble avoir profité d’autres valeurs ajoutées. Déloyales.

Fil d’Ariane
Tout commence par des investigations du parquet national financier français. Loin de Rio, loin des JO. Le 4 août 2015, l’Agence mondiale antidopage (AMA) expédie une lettre via sa commission indépendante à la justice française. L’agence dénonce au travers de deux rapports un mélange de corruption et de dopage à l’ombre de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). On y retrouve un médecin français mis en examen pour son silence et ses largesses, des montres de luxes suspectes et, surtout, le dopage organisé des athlètes russes.

Face à ces soupçons, le parquet national financier français confie, en décembre 2015, plusieurs enquêtes à l’Office central de la lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Un véritable travail de fourmi attend les juges d’instruction qui peu à peu vont suivre un fil d’Ariane. Les recherches dépassent largement les frontières de l’Hexagone et parcourent un tour des grandes villes du globe: Paris, Lyon, Moscou, Ankara, Monaco, Genève, Singapour voire Dakar. Peu à peu, les autorités judiciaires portent leur soupçons sur un vaste réseau de corruption articulé autour d’une seule personne: Papa Massata Diack.
Papa Massata Diack fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. D’après plusieurs sources, il séjournerait au Sénégal qui refuse son extradition.

Tel père, tel fils
Le 3 mars 2016, The Guardian évoque une potentielle triche dans l’attribution des Jeux Olympiques de Rio 2016 et Tokyo 2020 (désigné en 2013), même si l’on parle pudiquement à l’époque des « vérifications ». Le nom de Papa Massata Diack figure aux côtés de son paternel, Lamine Diack, 82 ans, dont 15 passés à la tête de l’IAAF. Mis en examen depuis début novembre 2015, Diack père est soupçonné d’avoir couvert contre rémunération des contrôles antidopage positifs d’athlètes russes.

Selon The Guardian, les enquêteurs soupçonnent Lamine Diack, membre du Comité international olympique (CIO) de 1999 à 2013, et son fils, Papa Massata Diack, d’avoir servi d’intermédiaires entre des villes candidates à l’organisation des JO et certains membres du CIO. L’ex-patron de l’athlétisme mondial, qui avait soutenu dans un premier temps Istanbul pour les JO 2020, aurait changé d’avis au moment où un sponsor japonais signait un gros contrat avec l’IAAF.

Ancien conseiller en marketing de la Fédération internationale d’athlétisme, Papa Massata Diack, radié à vie le 7 janvier par la commission d’éthique de l’IAAF, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la France et a été placé par Interpol sur sa liste des personnes recherchées. Le Sénégal, pays d’origine où il séjourne, refuse jusqu’à présent son extradition.

Frankie Fredericks et le Roi Arthur
Un an après les révélations du quotidien britannique, Le Monde accuse à son tour Papa Massata Diack de corruption dans le but de favoriser la candidature brésilienne à l’organisation des Jeux ou celle d’autres villes pour les mondiaux d’athlétisme. En tête de liste des personnalités mouillées figure l’ancien sprinteur Frankie Fredericks dont la structure Yemi Limited aurait perçu, le 2 octobre 2009, 299.300 dollars de la part de la société de Massata Diack.

Scrutateur du vote pour le CIO, dont il est devenu membre en 2012, l’ancien champion namibien d’athlétisme avait justifié ce virement par des activités de promotion pour son sport. Il est néanmoins contraint de démissionner de son poste de président de la commission d’évaluation des JO 2024, avant d’être suspendu de l’IAAF.

Versements suspects
Les documents transmis par le fisc américain au PNF (Parquet national financier) et obtenus par Le Monde font aussi apparaître le nom de Arthur César de Menezes Soares Filho, milliardaire proche de l’ancien gouverneur de l’Etat de Rio. Via une société (Matlock Capital Group) domiciliée aux îles Vierges britanniques, l’homme d’affaires surnommé « le Roi Arthur » a viré deux millions de dollars trois jours avant l’attribution des JO 2016 à Papa Massata Diack.

Opération « unfair play »
« Une société client » selon le sulfureux « conseiller », comme il l’a expliqué à l’AFP en mai dernier. Un pot-de-vin pour les enquêteurs brésilien et français. Cette conviction est renforcée par le témoignage d’Eric Maleson. L’ex-président de la Fédération brésilienne des sports de glace a révélé l’existence de pots-de-vin contre l’obtention de votes auquel aurait participé Carlos Nuzman, le président du Comité organisateur de Rio 2016, et pièce centrale de ce tour de passe-passe sportivo-financier.

Mardi dernier, le 5 septembre 2017, les enquêteurs passent à l’action. Lors de perquisitions menées à son domicile du très chic quartier carioca de Leblon, les policiers de l’opération « unfair play » ont mis la main sur 480.000 reais (129.000 euros) en argent liquide. Pendant que Nuzman s’expliquait dans les locaux de la police fédérale, son avocat assurait qu’il n’existait « aucune preuve de rien » et que son client « affirme n’avoir d’aucune manière agi de façon irrégulière, que rien n’a été fait de façon incorrecte durant la campagne » de candidature.

Pourtant, selon les affirmations d’Eric Maleson, Nuzman aurait obtenu un passeport russe en échange de son vote en faveur de la candidature de Sotchi pour les JO d’hiver 2014. Un document découvert à son domicile, mardi.

Le regard caché par des verres foncés de ses solaires, Carlos Nuzman a vu son domicile être perquisitionné par la police fédérale. Les enquêteurs sont notamment tombés sur près de 200.000 euros en liquide et un passeport russe.

Avis de recherche
Au final, plusieurs mandats d’arrêts ont été émis. Au-delà de la déposition de Nuzman, 70 officiers de la police judiciaire brésilienne, accompagnés de leurs homologues français et américains, ont mené des perquisitions dans onze endroits différents.

L’opération visait à placer en détention préventive « le Roi Arthur » et Eliane Cavalcante, tous deux associés d’une entreprise de fourniture de mains-d’œuvre au gouvernement de l’Etat de Rio de Janeiro. La justice a fait appel à Interpol afin d’appréhender Arthur César de Menezes Soares Filho. Propriétaire, entre autres, d’une résidence à Miami, l’homme d’affaires reste introuvable. La perquisition de son appartement parisien n’ayant, elle, « rien donné ».

« Un trampoline pour de la corruption »
Accueillie dans la joie et la promesse d’un avenir meilleur, l’organisation des Jeux de Rio vire au fiasco national et met en lumière des pratiques récurrentes d’escroquerie et de corruption dans les plus hautes sphères de l’Etat. Il y eut, d’abord, les scandales récurrents de pots-de-vin autour des constructions de stades. Puis, récemment, l’épisode peu glorieux de certaines enceintes en état de délabrement avancé, quelques mois seulement après la grande fête olympique, à l’image du mythique stade Maracana ou la fameuse ligne de métro 4.

« Ils ont vendu les Jeux comme un grand moment de développement de Rio, et nos investigations montrent que ce fut un trampoline pour un nombre incalculable de cas de corruption », a déclaré Fabiana Schneider, procureure brésilienne, dont les propos furent repris par Le Monde. « Cela a offensé les habitants de Rio. Cela doit être réparé ».

À l’image d’autres enceintes olympiques, le mythique stade du Maracana est à l’abandon depuis la fin des Jeux. En janvier dernier, il s’est retrouvé 24 heures sans électricité en raison d’une facture total d’1 million de dollars impayée.

Le Maracana a accueilli la finale de la Coupe du monde de football 2014 ou encore les cérémonies d’ouverture et de fermeture des JO, deux ans plus tard. Aujourd’hui, le stade est à l’abandon.


Le centre aquatique olympique photographiés en février 2017, six mois à peine après la fin des compétitions. © reuters.

© epa.

Le centre aquatique olympique vu de l’extérieur. © reuters.

© reuters.

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