Le Sénégal a soif ( Par Aisstatou CISSE)

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« Une goutte d’eau suffit pour créer un monde » disait le philosophe français Gaston Bachelard, pourtant, aujourd’hui au Sénégal, les populations ont droit à un monde où ils sont souvent privés d’eau. Combien de fois vous est-il déjà arrivé d’ouvrir votre robinet pour constater avec désespoir qu’aucune goutte n’en coulait ?

« Ndox kuppé na » (Le robinet ne coule plus). Cette phrase courte résume à elle seule la situation scandaleuse que vivent des milliers de Sénégalais. Aujourd’hui encore en 2018, le quotidien des foyers sénégalais est régulièrement ponctué par la fréquence des arrêts d’approvisionnement en eau potable. Pour beaucoup, la vie s’organise donc en fonction des quelques moments de répits que les autorités daignent leur accorder.

Les plus courageux d’entre nous, n’ont-ils pas déjà eu à se lever à l’aube pour constituer des réserves de seaux d’eau ? Surveiller nerveusement ce filet d’eau s’écouler paresseusement dans le récipient, goûte après goûte, comme pour s’assurer qu’il ne s’arrêtera pas à tout moment. D’autres n’ont-ils pas dû batailler âprement pour remplir quelques bouteilles auprès des camions citernes mises à disposition par la SDE ?

Une situation inacceptable et révoltante pour un pays dont les autorités se targuent d’être un pays « Émergent ». De qui se moque-t-on ? De ce fait, une première question s’impose : Comment en sommes-nous arriver là ?

Les plus naïfs vous répondront que  » c’est parce que les ressources en eau s’épuisent ». Faux. Cassons, une bonne fois pour toutes, ce cliché de pays africain desséché, où l’eau serait une denrée rare et les réserves insuffisantes pour couvrir les besoins des populations. Bien sûr, nous ne pouvons pas le nier, certains pays d’Afrique souffrent réellement d’un « stress hydrique », conséquence d’un climat franchement désertique et/ou d’une utilisation excessive et non maîtrisée des ressources. Néanmoins, le Sénégal est loin d’être dans ce cas.

En effet, nos ressources en eaux se résument à 2 catégories :

  • les eaux de surface : principalement grâce au fleuve Sénégal qui alimente notamment le Lac de Guiers et dont le volume est estimé à 600 millions de m3
  • les eaux souterraines : vastes systèmes d’aquifères (dont près de 200 km2 de réserves peu profondes).

Au total donc, nos ressources renouvelables en eau s’élevaient à près de 1900 m3/habitant en 2014. Pour donner un ordre de comparaison, ce même ratio est de seulement 1300 m3/habitant en Allemagne, un pays qui pourtant ne souffre d’aucune pénurie d’eau. Ainsi, paradoxalement, le Sénégal n’utiliserait que 5% de la totalité de ses ressources. Alors il semble évident que la question des ressources disponibles ne se pose plus mais bien leur bonne gestion.

Puisque nous avons donc suffisamment de ressources pour satisfaire l’ensemble des besoins de la population, la question se pose à nouveau : Comment en sommes-nous arrivés là ? Plusieurs éléments de réponses peuvent être apportés. Parmi les plus significatifs il y a la vétusté et la mauvaise maintenance des réseaux d’approvisionnement, certains datant encore de l’époque coloniale. Il faut également noter le sous-dimensionnement des réseaux face à l’explosion démographique. A cela, il faut ajouter un manque d’investissements et une mauvaise gestion du secteur et des organismes en charge de l’approvisionnement et la distribution d’eau au Sénégal.

En ce qui concerne la démographie comme facteur déterminant, de 1960 à aujourd’hui la population sénégalaise a été multipliée par 5 ! L’urbanisation accélérée de la région de Dakar, avec son important flux migratoire, engendre inévitablement une augmentation considérable de la demande en eau que les réseaux existants ne peuvent satisfaire.

Face à cette situation critique, les stations de traitement d’eau potable de Keur Momar Sarr et de Ngnith ont donc tourné en surrégime (augmentation des débits de pompages et des volumes prélevés) causant des dégâts irréversibles sur les installations. Les dakarois se souviennent encore de l’incident de 2013 sur la conduite d’alimentation principale de Keur Momar Sarr qui plongea le pays dans un chaos indescriptible et une pénurie d’eau totale.

Comment alimenter 6 millions d’habitants par des stations initialement prévues pour seulement la moitié ? Les nombreuses coupures d’eau trouvent en grande partie leur explication en cela (nombreux incidents sur un réseau vétuste qui tourne en surrégime).

Pour remédier à cette situation, le gouvernement a enfin décidé de se réveiller et prendre le problème au sérieux. Les prochaines élections présidentielles de février 2019, qui approchent à grand pas, nous interpellent sur la sincérité de cette démarche. Toutefois, la construction d’une nouvelle usine « Keur Momar Sarr 3 » (KMS 3) a été lancée, ainsi que de nouveaux réseaux d’adduction d’eau pour un approvisionnement additionnel de 200 000 m3/jour. Grâce à ces futures installations, les besoins actuels et futurs de la population sénégalaise devraient (enfin c’est ce qu’on nous promet) donc être complètement recouverts à l’horizon 2025. Mais d’ici là le gouvernement de Macky Sall à comme seul message à adresser au peuple sénégalais : Nous ne pouvons rien pour vous, continuez d’avoir Soif !

Pour information, le nouveau chantier de Keur Momar Sarr a été confié au géant français SUEZ, pour une valeur de 262 milliards de FCFA (soit 400 Millions €) au détriment de la Sénégalaise Des Eaux. En comparaison, le groupe SUEZ est également en charge de la construction de l’une des plus grandes usines de production d’eau potable (300 000 m3/jour) en Afrique subsaharienne à Yaoundé pour une valeur de seulement 43 Millions € soit 10 fois moins que le coût de financement de KMS 3.

Quelles conclusions en tirer ? L’éveil des consciences patriotiques a commencé, le réveil populaire est en marche de façon inévitable. Cela donnera matière à réfléchir sur le sujet. En attendant, il est évident que tant que la problématique de l’eau au Sénégal ne sera pas résolue, et le droit des populations respecté, il sera inutile, voire même indécent, de parler de développement.

Aisstatou CISSE

Ingénieur d’études

Diplômée de l’ENSIL, Spécialité Eau & Environnement

PASTEF Limoges

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