Le Sénégal sous Mame Mindis depuis deux ans : Rien, rien qu’une inflation de la communication.

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William Shakespeare a dit que « l’histoire humaine, c’est un récit plein de bruit et de fureur raconté par un idiot, et qui ne signifie rien ». Cette belle formule suggère que l’histoire de l’humanité n’est pas orientée vers un destin, qu’elle est absurde. Si nous ne redoutions pas d’en dénaturer l’esthétique et la sémantique, nous nous permettrions de la parodier pour résumer l’histoire de ces deux ans d’alternance caractérisés par la traque des biens dits mal acquis, de mensonges sur l’héritage de Wade et des effets d’annonce. Alors même que la notion de « bien mal acquis » n’a jamais fait l’objet d’un consensus intellectuel ni même politique, on en a persuadé l’existence et l’évidence à tout un peuple. On en a fait une demande sociale alors même que la société ne sait ni la circonscrire ni lui donner un contenu exact. On en a fait une priorité de gouvernement alors même que les promesses de baisse des prix de denrées de consommation courante ont été scandaleusement mises en scène pour ne pas être effectivement mises en œuvre. On a commencé par instiller dans les consciences fragiles et déboussolées une phraséologie dont l’unique objectif est de gouverner les consciences au lieu de gérer réellement les affaires de la Cité. On crie sous toutes les chaumières que le Président n’a pas fait de promesse, « qu’il a pris des engagements » sans au préalable dire aux citoyens ce qu’est la différence entre ces deux concepts dont la synonymie est manifeste. En français le mot engagement signifie une promesse (qui constitue un lien moral) ou un contrat par lequel on se met au servie de quelqu’un ou de quelque chose. Dans les deux cas la notion d’engagement renvoie à celle de promesse qui charrie l’obligation morale de la personne qui s’engage à respecter sa parole. La notion de gage qui est la racine du concept d’engagement permet de comprendre l’obligation morale à laquelle la personne engagée est astreinte à tenir ses promesses : ce qu’elle donne en gage ici c’est sa crédibilité en tant que sujet moral. Une promesse est donc un engagement : aucune sorcellerie sémantique ne saurait occulter cette évidence. En réalité, toute cette logomachie qu’on entretient dans la presse obéit à une logique de gouverner par l’imposture et la manipulation des consciences. Nous avons déjà rappelé comment les hommes politiques depuis la nuit des temps ont cherché à avoir une prise sur le vocabulaire de leurs concitoyens. L’histoire de la lointaine Chine nous permet de comprendre le rapport extrêmement occulte entre le régime de Macky Sall et la presse. L’empereur Kangxi (1654-1722) organisa en 1679 un concours spécial pour le recrutement de cinquante de lettrés à qui il confia la rédaction d’une Histoire de la dynastie Ming. Il commanda également un dictionnaire (Kangxi zidian) contenant près de 50 000 entrées, ainsi qu’une encyclopédie de 5 000 volumes (Gujin tushu jichen).Ce souci de contrôler le vocabulaire de ses sujets obéit à un désir de régner sur leur conscience pour annihiler toute velléité de dissonance dans le discours officiel et dans l’opinion publique. Le régime de Macky n’a pas (ne peut pas d’ailleurs pas avoir) recours au même procédé, mais il s’inscrit dans la même logique à savoir l’uniformisation du discours politique et si, possible, de la scène politique. Qui n’a pas vu que toutes les personnes qui se sont opposées au régime de Wade (dans le cadre de la société civile dont l’essence réside dans le rôle de veille) ont été canalisées et casées dans des stations qui ne leur permettent plus de jouer leur rôle de vigile de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’Homme ? Que dire de la ruée frénétique des journalistes vers des postes clés du régime ? Comment expliquer que des journalistes, dont les critiques acerbes contre le régime de Wade sont encore fraiches dans les esprits, se complaisent dans un mutisme face aux mêmes pratiques naguère décriées, comme le gré à gré et la violation des droits de l’Homme ? Comment expliquer que de grands journalistes se transforment si brusquement et si radicalement en caisse de résonnance d’un régime, au point de légitimer le fait que le droit des personnes suspectées d’enrichissement illicite soit bafoué avec une si révoltante arrogance ? Comment expliquer qu’un membre de la société civile se permettent de justifier la violation des droits de l’Homme par des réflexions du genre « ils [les dignitaires de l’ancien régime] ont fait pire durant leur règne… » ? Ce type de raisonnement qui devrait être celui du denier des fascistes provient d’un homme obnubilé par une rancune personnelle qui l’empêche de comprendre que les principes et les droits humains sont inaliénables, invariables et inconditionnels. On entend de curieux raisonnements du genre « on ne doit pas respecter la liberté de mouvement de ceux qui ont commis des crimes contre les doits économiques des populations » pour justifier le non respect par le gouvernement sénégalais de l’arrêt de cour de justice de la CEDEAO. Nous sommes désormais alors dans le domaine de la casuistique et non sur le terrain des principes, et c’est le début assuré de la décadence démocratique et morale. Car on ne saurait opposer des droits contre des droits : ça n’existe que dans la conscience morale du revanchard et du tricheur. Ce n’est pas parce qu’on a commis un crime quelconque qu’on cesse d’être un homme. Les droits économiques des peuples ne sauraient néantiser les droits de l’Homme pour la bonne et simple raison que pour parler d’un peuple nantis de droits, il faut d’abord des hommes. Les animaux et la végétaux n’ont pas de droits économiques ; et dans tous les cas on n’en est qu’au stade de la présomption, pas à celui de la culpabilité. Tout cet amalgame est indigne de notre démocratie, car on ne l’entretient que pour ne pas respecter les fondamentaux de la démocratie. On est curieusement prompt à décréter l’urgence et la nécessité de la « reddition des comptes » sans régler la double question préjudicielle : quel est l’état exact des comptes financiers de la république au moment de l’alternance et en quoi une telle reddition des comptes exige-t-elle la mise sur pied de la CREI ? Nous persistons à croire que la démarche de la CREI n’a absolument rien à voir avec la prétendue reddition des comptes. Sinon pourquoi circonscrire les enquêtes de cette CREI à la période de 2000-2012 ? Pourquoi veut-on faire l’économie de la gestion d’avant 2000 alors que la loi sur l’enrichissement illicite existait depuis longtemps ? Les lugubres propagandistes rétorquent inlassablement, sans même réfléchir, que c’est le défunt régime qui devait traquer les biens mal acquis de ses prédécesseurs … L’ignominie de ce raisonnement sommaire cache mal la mauvaise foi qui fonde la pratique et le débat politiques dans une démocratie de la surenchère et du spectacle. Cela voudrait donc dire que le gouvernement actuel est exempté de faire tout ce qui n’a pas été fait en termes de bonne gouvernance et de réalisations économiques par l’ancien régime ! Si c’est cela la logique de « la gouvernance sobre et vertueuse », vaut alors donc abréger la vie de ce gouvernement. Ce qui est grave c’est qu’on assiste à un parasitage de la république par une république parallèle, celle des salons de thé et de café : les informations et l’opinion fabriquée à partir de ces lieux constituent la boussole de la république officielle. Lorsque toute cette agitation s’estompera et qu’un autre régime fera une enquête sur les enquêtes sur « les biens mal acquis » cette république parallèle qui a joué un rôle éminemment important dans la direction actuelle de l’histoire politique de notre pays sera identifiée. Voilà pourquoi les acteurs politiques et même les citoyens simples sont aujourd’hui en sursis ; et il va de soi que la prochaine alternance politique se servir des mêmes lois pour envoyer en prison ceux qui se délectent de faire présentement le procès de leurs prédécesseurs. On a donc ouvert dans notre pays un cycle de règlement de compte qui n’a plus de raison de s’arrêter. La presse, dans sa majorité, est en train de se transformer en une « sorte de piano sur lequel joue le régime » pour étouffer les consciences indociles ou les diaboliser en leur faisant porter la camisole dégradante d’avocat des « voleurs » et des « pilleurs » de la république. Toutes les voix critiques sont aujourd’hui cataloguées comme l’incarnation d’une attitude revancharde, comme si la même remarque ne pouvait pas être faite ces dix dernières années à ceux qui la proclament aujourd’hui. On remarquera que pour se faire passer pour un critique objectif, on est obligé, en critiquant le régime actuel, de diluer cette critique dans celle de l’ancien régime ! On ne voit ne donc pas le caractère superflu et dénué de sens d’une telle astuce : le régime de Wade a non seulement reçu les critiques qu’il méritait, mais a été sanctionné définitivement. Le fait de vouloir continuer à faire ad vitam aeternam le procès du régime libéral est dès lors absurde et suspect. La plus grande imposture jusqu’ici non décryptée par les politologues est qu’on a nous habitués à des expressions du genre « assises nationales », « peuple des assises » alors que les partis ayant pris part à ces assises n’ont pas cumulé plus de 35% des suffrages du peuple sénégalais à la présidentielle de 2012 ! Au lieu de faire de ce paradoxe un sujet de débat et de réflexion démocratiques, on préfère transposer le jeu politique sur le terrain des invectives, des insultes et des feuilletons politico-juridiques

Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

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