Le Sénégal, une démocratie sans primaires, ni débats télévisés aux élections présidentielles… (Par Amadou Sy Diop)

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Pourquoi le Sénégal n’a jamais connu de débats télévisés entre les potentiels candidats, au premier comme au second tour d’une élection présidentielle de 1974 à 2012 ? Même avec deux alternances réussies ? Pourquoi nos hommes politiques, encore aujourd’hui, n’aiment pas débattre de leur programme ? Les Sénégalais (partis politiques, associations, mouvements, sociétés civiles, syndicats etc.) ferment les yeux sur ce sujet « tabou ? » qui pourtant met en mal notre démocratie…Le Sénégal offre cette singularité d’être l’un des pays parmi les plus stables en Afrique. Il a une autre particularité : celle d’avoir entrepris bien avant les autres pays de libéraliser sa vie politique, faisant ainsi œuvre de pionnier sur le continent. En 1974, l’année des quatre courants de pensée qui marque le début de l’ère démocratique du Sénégal, avec les candidats Senghor pour le P.S, Abdoulaye Wade pour le P.D.S, le Professeur Cheikh Anta Diop pour le R.N.D et Majmout Diop du P.A.I…L’on se souvient qu’aucun débat télévisé ou audio (par la radio) n’avait été organisé. Le Sénégal venait pourtant de se doter d’une télévision nationale (certes en noir et blanc à l’époque). Les candidats se lançaient des piques et invectives par meetings interposés…Senghor traitant Abdoulaye Wade de Ndiombor (le lièvre) et Majmoutt Diop de Bouki (l’hyène)… On en riait et cela s’arrêtait là.

 Jusqu’en 2000, c’était le même scenario…Souvenez-vous de la revanche de Wade  avec son expression « Monsieur et madame moulin », faisant allusion à la seule activité du Président candidat Diouf consistant à inaugurer des forages et à distribuer des moulins dans les contrées les plus reculées du pays. Lors de l’élection présidentielle de 2000 marquant notre première alternance, le candidat Wade, accompagné de Moustapha Niass, son futur premier ministre, organisa une marche vers la R.T.S (Radio Télévision du Sénégal) pour exiger, disait-il, un débat télévisé en direct au Président sortant…Wade, très rusé, savait que le candidat Diouf ne viendrait pas. Un débat télévisé en direct au second tour d’une élection présidentielle ne s’improvise pas. Les modalités d’organisation sont fixées à l’avance par un comité d’organisation en accord avec les vœux de chaque candidat (date, heure, durée du débat, ordre des sujets débattus, choix du ou des modérateurs, qui va commencer le premier, qui va conclure le dernier etc.).

En 2007, le Président Wade passe au premier tour (pas de débat entre potentiels candidats au premier tour ; Idem en 2012)…Pas question pour le Président Wade de débattre avec son ancien directeur de campagne et Premier Ministre Macky Sall. L’élève non plus ne voulait pas débattre avec son maître. Au Sénégal aucun texte ne prévoit l’organisation de débats télévisés entre candidats, ni d’élections aux primaires pour désigner les meilleurs candidats pour les partis  ou coalitions. Ajouter une nouvelle disposition au niveau du code électoral dans ce sens serait une excellente idée pour la vitalité de notre jeune démocratie. La question qui se pose est celle-ci : sommes-nous essentiellement une « démocratie électoraliste » ? C’est-à-dire une démocratie qui maîtrise son processus électoral (inscription sur les listes électorales, distribution des cartes d’électeurs, organisation du vote, proclamation des résultats…) Sur ce plan, le Sénégal n’a rien à envier aux grandes démocraties même si des améliorations sont à faire notamment sur la gestion concertée du fichier électoral, le nombre exorbitant de partis politiques, leurs financements, le mode du scrutin (aux législatives)…

La démocratie ce n’est pas seulement un problème de textes, mais plutôt un état d’esprit.

Le statut et la désignation du leadeur de l’opposition, un des 15 points du dernier référendum, ne sont pas encore à l’ordre du jour. Autosuffisants, pensant être les premiers et les meilleurs partout, nous n’osons pas apporter les reformes profondes qu’une démocratie moderne, vivante, innovatrice nous impose…Côte d’Ivoire : 25 Novembre 2010, débat télévisé qualifié d’historique entre Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara. Madagascar : 4 Décembre 2013, les deux candidats qualifiées pour le deuxième tour de la présidentielle, Robinson Jean Louis et Hery Rajaonarima…ont débattu pendant près de deux heures à la télévision, premier débat d’une série de quatre. Benin : 18 Mars 2016, Lionel Zinsou et Patrice Talion s’affrontent en direct dans un débat de très haut niveau. Ouganda : 13 Février 2016, le président Yoweri Museveni pourtant au pouvoir depuis 30 ans, a participé à un débat télévisé avec d’autres candidats dont l’opposant historique Kizza Besigye et son ancien premier ministre Amama Mbabazi. Beaucoup de pays africains, dont le Bourkina Fasso, sont en train de réfléchir sur la question des débats télévisés (législation ou comité d’organisation) en vue des futures échéances électorales. Les politiciens sénégalais aiment bien se référer aux grandes démocraties (France, Etats Unis, Grande Bretagne, Canada) mais pas sur ce sujet là. La notion du droit de savoir du citoyen (the right to know) doit obliger les candidats à débattre sur leur programme respectif. En France, les débats télévisés entre candidats ont permis de faire connaitre de nouvelles figures politiques dont le nouveau président. Environ seize millions de français ont suivi le débat au second tour entre Marine le Pen et Emmanuel Macron. Plus de 30% des électeurs ont pu faire leur choix après le débat.

La gestion patrimoniale de nos partis politiques n’est que le reflet de ce que nous ferons de l’Etat, demain, si les destinées du pays nous seront confiées : c’est mon parti (ou mouvement), c’est moi qui finance, je le gère comme je veux ! Les 250 partis politiques pour un petit pays (moins de 15 millions d’habitants) s’expliquent par l’absence de démocratie réelle au sein de ces partis. Le remplacement du président Senghor démissionnaire, le premier Janvier 1981 par le président Abdou Diouf à la tête de l’Etat du Sénégal et du parti socialiste, la nomination de Ousmane Tanor Dieng comme secrétaire général de ce même parti lors du fameux congrès sans débats, ont pesé négativement sur la conscience des sénégalais et particulièrement sur sa démocratie.

Macky Sall, Karim Wade, Idrissa Seck, Khalifa Sall, Abdoulaye Balde, Aissata Tall Sall   (la liste sera longue) sont déjà désignés candidats pour l’élection présidentielle de 2019 ! Dans ce contexte, l’organisation d’élections aux primaires, n’est pas pour demain.

L’avenir du Plan Sénégal Emergent ( P.S.E) et ses 27 projets, la gestion de nos ressources minières ( or, phosphates, fer, zircon, marbre…) et des hydrocarbures ( gaz et pétrole), les fonds dits ‘politiques’, le chômage des jeunes, la précarité des travailleurs, la pauvreté galopante, l’insécurité routière, la santé, l’éducation et la formation, l’indépendance de la justice, le drame des naufrages successifs de pirogues : plus de 21 morts à Betenty dans l’arrondissement de Toubacouta ( région de Fatick), l’indiscipline, la violence et le désordre généralisé, la lutte contre le terrorisme, le franc Cfa, le désarroi du monde rural, les licences de pêche qui appauvrissent nos braves pêcheurs et encouragent l’immigration clandestine, le rôle de la diaspora, la diplomatie sénégalaise…autant de sujets sur lesquels , les Sénégalais et Sénégalaises aimeraient entendre de vive voix les propositions de ceux qui veulent diriger notre pays. Les émissions monologues, où de longues tirade d’injures, d’accusations gratuites et sans preuves, de déballages sur la vie privée de citoyens, doivent ne nous grandissent pas. Nous avons un pays à construire, des institutions à renforcer, une démocratie à consolider. La presse, libre, responsable et indépendante, a un grand rôle à jouer dans cette nouvelle exigence démocratique. Depuis 1974, le Sénégal marche ainsi à contre courant des grandes démocraties du monde…une démocratie sans élections aux primaires dans les partis politiques ou coalitions de partis, sans débats télévisés entre les candidats ni au premier tour, ni au second.

Par Amadou Sy DIOP, Cincinnati, Ohio, Usa
E-mail :[email protected]

 

1 COMMENTAIRE

  1. Parce qu’au Sénégal c’est la quantité d’argent -volé de préférence- qu’on distribue qui convainc et pas du tout les arguments.
    Combien vous pouvez donner c’est cela qui compte, y compris même si cet argent est volé.
    Voilà pourquoi il n’y a ni débat ni primaire.
    Et puis vous allez convaincre ces gens qui se chargent de gris-gris autour des reins et qui ne croient pas du tout au travail, ni à l’effort, mais aux charlatans.
    L’analphabétisme est tel que seul l’argent sert d’argument dans ce pays, même les hommes de loi, allez jeter un coup d’œil dans la circulation et vous verrez que ce sont les billets de banque qui servent d’arguments ici
    Compris ?

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