Le triomphe par Naye Anna Bathily

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La récente victoire électorale d’Angela Merkel en Allemagne retentit dans le monde. La chancelière qui jouit d’une popularité record dans son pays peut savourer son triomphe électoral, le troisième et le plus éclatant qui a permis à sa formation politique d’obtenir presque la majorité absolue des sièges au Bundestag, la chambre basse du Parlement fédéral. Huit ans après s’être installée dans la fonction, cette fille d’un pasteur hambourgeois fait figure de « reine de l’Europe», voire de « Bismarck en jupon ».

Ils ne sont pas nombreux les dirigeants qui peuvent se targuer, comme elle, de recueillir l’approbation des deux tiers de leurs concitoyens après un si long exercice du pouvoir et dans une période marquée par les crises; et ils sont suffisamment rares aujourd’hui encore les dirigeants qui fédèrent leurs concitoyens autour de leur politique et de leurs résultats, pour que chacun médite les leçons de ce succès. Pragmatisme, prudence, discipline, bon sens. Elle est jugée comme une personnalité solide, sereine et compétente. Pourquoi les Allemands seraient-ils partis à l’aventure plutôt que de renouveler leur confiance à sa gestion modeste et maîtrisée?

Discrète, efficace, bourreau de travail… Si elle plaît tellement aux Allemands, c’est parce qu’elle fait son travail, apparemment sans aucun narcissisme et qu’elle « n’énerve ni ne dérange les citoyens ». «Elle incarne un pouvoir calme et réussit à s’imposer sans mettre en avant sa personnalité», estime un universitaire. Son atout majeur vis-à-vis de l’opinion est la Simplicité. Rien ne rebute plus cette fille de l’Est que le culte de la personnalité et l’intrusion dans sa vie privée. Elle habite toujours l’appartement qu’elle avait acquis au cœur de l’ex-Berlin-Est avant de devenir chancelière, devant lequel un seul policier monte la garde. Elle va faire ses courses non loin de là avec une escorte discrète et en faisant la queue.

Son mari, lui, a été surnommé «le fantôme de l’opéra» pour sa discrétion. On raconte que lorsque le couple part en vacances Monsieur emprunte incognito une compagnie à bas coût, moins chère que ce que lui facturerait l’Etat s’il accompagnait Madame dans l’avion officiel. « Franchement, elle est trop prussienne et trop protestante » lance un de ses détracteurs, il suffit d’aller jeter un coup d’oeil sur sa résidence secondaire privée pour comprendre tout ce qui la sépare d’un Président de la République, aussi « normal » soit-il. Non seulement sa datcha est d’une modestie confondante, mais on continue d’y accéder par une méchante petite route pavée où même les fleurons de l’automobile allemande doivent se contenter de rouler à une vitesse d’escargot!

Angela Merkel est pourtant une femme politique redoutable. Les rivaux évincés depuis son adhésion à la CDU, en 1990, en savent quelque chose, eux qui ont longtemps sous-estimé cette jeune Ossie –– mal habillée et surnommée « Kohls Mädchen » – la protégée d’Helmut Kohl, chancelier de 1982 à 1998. Un tuteur dont elle s’émancipera avec éclat en 1999, sommant son parti, empêtré dans des affaires de corruption, de « tourner la page ». Ce coup de maître la laisse seule ou presque à la tête du parti, et hâte son ascension jusqu’aux sommets. Au chapitre de la popularité, elle fait mieux que tous et affiche une côte qui ne peut que laisser rêveur: elle n’est pas descendue en dessous des 60 % d’opinions favorables depuis des années et s’est offert des pointes à 77 % en pleine crise de la zone euro. Merkel infirme le préjugé selon lequel les dirigeants des démocraties ne peuvent être réélus en période de crise.

Elle devient le seul dirigeant européen à avoir traversé la crise qui a éliminé implacablement tous les autres leaders, de Nicolas Sarkozy à Gordon Brown en passant par les Zapatero ou Monti. Appréciée pour sa recherche permanente du consensus la chancelière allemande est aussi insaisissable et énigmatique que populaire et rassembleuse. Son style, se décline en un pragmatisme ennuyeux, résumé par son expression favorite, le « pas à pas » ; sa lenteur à prendre une décision. La chancelière, qui ne dévoile jamais ses intentions, est plus stratège que visionnaire. «Elle pense à court terme » quitte à changer d’avis. Elle-même le reconnaît publiquement : elle ne prend ses décisions qu’à la fin. Ce flair, Angela Merkel en a fait sa boussole en politique.Au lendemain de la catastrophe nucléaire de Fukushima, en mars 2011, Angela Merkel annonce la sortie du nucléaire civil à l’horizon 2022.

Elle revendique cette méthode des petits pas : scinder les problèmes et s’attaquer aux sujets un par un. Pour les observateurs politiques, c’est un héritage de sa formation de physicienne: décomposer les mécanismes pour les comprendre. Au bout du compte, cette méthode « permet d’éviter de faire des erreurs », dit-elle souvent. Merkel a successivement et méthodiquement vampirisé son parti, ses alliés voire même ses adversaires. Vaccinée contre toute forme d’idéologie, elle est avant tout une pragmatique qui a l’art de la synthèse et sait récupérer les thèmes de ses adversaires. «Elle a créé une république qui sommeille», s’inquiétait récemment un journaliste, lui reprochant d’éteindre presque totalement le débat politique.

Ce triomphe, au-delà du style discret et efficace de la chancelière, doit aussi tout à ses succès économiques. Première économie, première exportatrice et pays le plus peuplé d’Europe depuis la réunification. « Mutti » la protectrice, gère l’Allemagne en mère de famille, n’hésitant pas à manier la métaphore ménagère pour expliquer qu’un pays ne doit pas vivre au-dessus de ses moyens. Succès intérieur avec le second miracle allemand, fort d’une croissance en hausse, d’un appareil de production compétitif, du retour au plein-emploi (chômage limité à 5,3 % de la population active) et d’un excédent budgétaire.

«L’économie est ce que nous connaissons le mieux et ce que nous faisons le mieux», résume un diplomate qui revendique cette priorité. Les Allemands indiquent dans leurs explications de vote qu’ils apprécient justement chez elle sa priorité pour la gestion, d’avoir bien défendu leur bien national, fruit de leurs efforts, et même sa réserve à l’égard des conflits internationaux (Libye, Mali, Syrie). Pourtant avec 11 000 fonctionnaires et 229 ambassades ou consulats, la diplomatie allemande est une machine aussi puissante qu’efficace. Son action est complétée par des fondations subventionnées par l’Etat, qui font office de relais dans la société civile. Elle reste discrète, rechignant aux fracassantes prises de position publiques comme aux grands discours géostratégiques, et revendique sa «retenue» vis-à-vis de toute forme d’intervention.

Tout n’est pourtant pas rose dans la République de Merkel. Pendant dix ans, la police a été incapable de mettre la main sur des criminels néo-nazis. Deux ministres ont dû démissionner pour avoir plagié leur thèse de doctorat. La CDU a d’ailleurs perdu toutes les élections locales, y compris son bastion de toujours: le Bade-Wurtemberg. Mais rien ne semble pouvoir entamer la popularité de la chancelière. La façon dont elle a récemment évacué un début de polémique sur son passé au sein des jeunesses communistes confirme son savoir-faire. « Je ne peux que me fier à ma mémoire. Si quelque chose d’autre émerge, je ferai avec. Ce qui m’importe, c’est que je n’ai jamais cherché à garder les choses secrètes ». Après un moment d’hésitation, même l’opposition renonce à exploiter cette part d’ombre.

Sa victoire fournit la démonstration éclatante que démocratie et stabilité politique ne sont pas incompatibles. On peut gouverner en suivant sa voie et être réélu. En réalité, on ne gagne rien à jouer le jeu de la séduction avec les populistes. On y perd son âme. En résumé les Allemands, comme tous les peuples, ne sont convaincus que par les résultats émanant de leurs dirigeants. Et, sans doute instruits par l’expérience, ils détestent l’idéologie, se méfient des grandes ambitions, n’aiment pas le rêve en politique et n’honorent que le concret.

Peut-on rester au pouvoir aussi longtemps, être la personnalité politique préférée même des électeurs de l’opposition sans perdre le contact avec la réalité et sans céder au culte de la personnalité? Qui pour la remplacer ? Comment faire face au défi d’une population vieillissante? Ce seront certains des principaux défis de la chancelière durant ce troisième mandat.

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