Les APE? Pas si simples que cela mon cher El Malick! (par Amadou Tidiane WONE)

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Le débat sur les Accords de Partenariat économique (APE) entre l’Europe et les pays africains s’enrichit chaque jour de nouvelles contributions plus ou moins pertinentes. Cela prouve, à l’évidence que l’enjeu de ces Accords dépasse de loin un simple débat politicien comme le Sénégal en raffole.

C’est pourquoi, j’ai lu avec un intérêt certain la réaction de notre ami El Malick SECK, qui signe « journaliste, homme politique et conseiller municipal à Thiès », publiée dans Dakaractu du 23 mai 2016 sous le titre  » Comprendre les APE très simplement ».

N’étant pas non plus économiste,ni un familier des arcanes des relations entre l’Europe et l’Afrique, je saisis cette occasion pour prendre part à ce débat, entre non-initiés, sous le prisme du simple bon sens.

Et l’on se demande d’abord qu’est ce qui fait courir notre ami El Malick sur ces pistes sablonneuses? El Malick répond très clairement à cette question en se déclarant « partisan de Macky SALL » et en assumant son « rôle dans la croisade contre Abdoul MBAYE ». Mais qu’est-ce que cela a à voir avec les APE?

Mais enfin, le décor est campé : El Malick ne s’assigne pas une mission pédagogique malgré le titre de sa contribution ; son souci est simplement de prendre la défense de son mentor qui est à la tête des neo-croisés des APE. C’est son droit. Nous le respectons. Nous sommes, en retour, en droit d’attendre de lui qu’il respecte les opinions de ceux qui s’opposent aux APE et qui ne sont pas forcément des ennemis du régime de l’APR comme on voudrait le laisser sous-entendre…Ce débat est effet au dessus des petites batailles locales. L’enjeu va bien au-delà. Il serait temps d’en prendre conscience: c’est l’avenir de nos enfants qui est en jeu!

Au demeurant, El Malick a l’honnêteté de nous préciser qu’il n’est pas économiste ; et c’est pourquoi nous ne sommes pas surpris de le voir orner sa contribution de graphiques colorés là où la seule citation des chiffres aurait suffi pour sa démonstration.

Enfin, lorsque El Malick souligne, côte à côte, des « choix importants et bénéfiques pour notre pays » d’une part, et des « effets négatifs et destructeurs que ces accords pourraient avoir… », d’autre part, on note là un jeu d’équilibriste qui ne va pas jusqu’au bout de sa logique. Nous remarquons en effet qu’il ne nous dit pas, a contrario, ce qui serait bon ou mauvais pour l’Europe ne serait-ce que dans un simple souci de parallélisme des formes.

En réalité, toute sa contribution pourrait être résumée en deux phrases :

 » Les APE ne veulent pas dire une libéralisation sauvage de l’économie de la sous-région, car il est prévu que les droits de douane pourraient être préservés dans les secteurs agricoles ou industriels où notre région prévoit de développer une capacité de production pour nos marchés intérieurs » ;
 » Il (ne) faut (pas) être naïf pour penser que tous les produits agricoles pourront passer les frontières sanitaires ; les normes européennes vont rester ; il est prévu une aide financière et technique de l’UE en matière phytosanitaire et technologique ».

Rien que ces deux phrases traduisent pourtant tous les risques contenus dans ces Accords. Tout d’abord, les droits de douane « pourraient être maintenus » dans certains secteurs que nous voudrions promouvoir ; et de l’autre côté , nos produits agricoles vont se heurter aux normes européennes qui resteront en vigueur. Et,en guise de compensation, nous ne pourrions (espérer!) compter que sur une aide financière et technique des…Européens. On le voit, c’est là un cercle vicieux qui risque de donner le tournis à ceux qui rêvent d’un développement autoentretenu.

Si, comme le rappelle El Malick SECK, des parlementaires européens ont dénoncé les APE, je vois mal des Africains les défendre. Et c’est le lieu de saluer la lucidité de l’honorable Thierno BOCOUM qui dit:  » ils mettent nos peuples dans la dépendance de produits européens face à une concurrence déloyale que nous ne pourrons éviter et qui ruinera inéluctablement nos producteurs… ».

C’est d’autant plus cruel que, comme le rappelle le professeur Abdoulaye SECK, « l’Europe est la première zone économique du monde et l’Afrique de l’ouest l’une des dernières puisque douze des quinze Etats de la CDEAO sont des PMA ». Lorsque François MENDY parle en glosant d’ « Accords de Prédominance Economique » c’est pour dénoncer « la signature de l’arrêt de mort de notre économie nationale ».

En réalité, les APE, sont l’expression même d’un « libéralisme asymétrique » comme le dit si bien Philippe HUGON, professeur à Paris X-Nanterre et à l’Institut de Relations internationales et stratégiques. François BAYROU, homme politique français de premier plan, va plus loin quand il dit :

« La politique qui a été conduite, déversant sur l’Afrique des produits agricoles à prix bradés, artificiellement effondrés par des subventions américaines et européennes…est criminelle ».

Et c’est cette politique que risquent de perpétuer les APE! Pour mieux comprendre les enjeux de ces accords iniques, demandons-nous pourquoi l’Europe refuse de signer l’Accord transatlantique de Libre Echange (TAFTA) que les USA leur ont proposé depuis de nombreuses années?

Ce que HUGON appelle « libéralisme asymétrique », c’est ce que Samir AMIN dénonçait sous le nom d’ « échange inégal » et le President SENGHOR sous le vocable célèbre de « détérioration des termes de l’échange  » . La révolte est aussi vieille que l’injustice! Si l’Europe s’agite autant, pour nous faire signer les APE, cela tient essentiellement à son besoin vital de contrer l’explosion récente des relations commerciales entre l’Afrique et des pays émergents, notamment la Chine et l’Inde. Ces deux géants asiatiques permettent aujourd’hui à l’Afrique de bénéficier d’apports en capitaux et en technologies et de s’assurer une croissance économique appréciable. Au lieu de quoi, nous avons préféré, après le franc français, arrimer notre monnaie à l’euro nous laissant ainsi entraîner, sans oser ouvrir la bouche, dans une politique monétaire qui ne se soucie guère de nos intérêts. Les APE, pourraient, après la perte de notre souveraineté monétaire, rendre plus inéluctable celle de notre souveraineté budgétaire par les pertes de recettes fiscales colossales qu’ils vont entraîner et qu’aucune aide financière ne viendra compenser.

Savez-vous qu’on reproche à la BCEAO de se soucier beaucoup plus d’une maîtrise de l’inflation que de croissance et de développement économiques ? Cela procède de la même logique que celle qui sous-tend les pressions exercées sur les Etats africains pour les amener à signer les APE : « Ce qui est bon pour l’Europe est bon pour l’Afrique ». L’arrimage du CFA à l’euro, comme jadis au franc français, a un prix que nos Etats doivent payer sans rechigner. Déjà, en 2005, les réserves détenues par les Banques centrales de la zone CFA auprès du Trésor français étaient estimées à 6 300 milliards CFA dont 3 000 milliards pour la BCEAO, soit l’équivalent du budget 2016 du Sénégal.

Est-ce un hasard si l’ancien President Abdoulaye WADE, après avoir réclamé en vain la mobilisation de ces réserves pour financer le développement de nos économies, a été à la tête de la croisade contre les APE ?

On le voit, l’empressement de l’Europe à nous faire signer ces accords s’inscrit dans une vieille stratégie d’asservissement qui vise le maintien d’un pré-carré offrant à nos maîtres d’hier un marché captif. Ainsi, ce qui est recherché, c’est bien de soustraire l’Afrique à la mondialisation en la privant des avantages comparatifs qu’elle pourrait tirer d’une ouverture maîtrisée à la demande et à l’offre des pays émergents. A cette stratégie européenne qui s’inscrit dans une stratégie géopolitique bien pensée et planifiée, seule une volonté politique fondée sur un patriotisme éclairé et vigilant, pourrait permettre à l’Afrique de répondre avec fermeté et dignité. Pourquoi les dirigeants africains ne parlent-ils pas à leur sociétés civiles? Pourquoi les dirigeants africains rament-ils à contre courant des opinions exprimées par leurs universitaires, leurs cadres et les compétences avérées qui ne demandent qu’à éclairer leurs prises de décisions ? Pourquoi?

Pour tout dire, si cet enjeu vital est ramené au niveau d’un débat politicien dans lequel certains interviennent sur commande, nous risquons de faire fausse route. Et c’est l’avenir de nos pays qui est alors menacé.

Allons-nous hypothéquer l’avenir de nos enfants par faiblesse intellectuelle et couardise politique?

Nous disons, encore une fois: NON.

Amadou Tidiane WONE

[email protected]

2 Commentaires

  1. Il convient de signaler tout simplement sans émotions ni passion que les APE visent principalement à aligner les relations commerciales entre les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne (UE)sur les dispositions de l’OMC et à pallier au cadre désuet et obsolescent du système des préférences. Il conviendrait surtout d’en saisir les mécanismes économiques escomptés pour en tirer profit en prenant les mesures idoines palliatives le casé échéant
    Les quinze pays de la CEDEAO ne seront pas forcément susceptibles de souffrir de l’ouverture de leurs marchés nationaux. En fait, ils pourraient gagner à ouvrir leurs marchés, du moment qu’en le faisant, ils favoriseraient leur propre prospérité. Avec la libéralisation des échanges commerciaux, les consommateurs des pays de la CEDEOA bénéficieront des prix plus bas des produits importés et locaux. Les bénéficiaires du libre-échange pourraient ne pas être uniquement les ménages, dont les revenus réels augmentent à mesure que les prix baissent, mais également les entreprises, dont la compétitivité internationale s’accroît par l’achat des matières premières et des produits intermédiaires bon marché ou dont les ventes locales augmentent grâce aux effets positifs des revenus réels
    Il est possible que les producteurs locaux soient confrontés à intensification de la concurrence de la part des fournisseurs de l’UE. Si les producteurs locaux ont un avantage comparatif, ils peuvent survivre en augmentant leur niveau de productivité. S’ils n’y parviennent pas, ils seront contraints de réduire leur production ou le nombre de leurs employés ou finalement de fermer boutique. Dans un processus d’ajustement structurel, les facteurs de production seront réaffectés à d’autres industries où les avantages comparatifs domestiques existent ou peuvent être exploités. Pour l’économie dans son ensemble, l’augmentation de la productivité et l’ajustement structurel pourraient faire accroître la production et l’emploi, et relever la prospérité dans l’ensemble. Ce sera vraisemblablement le cas si la création commerciale sera assez importante pour compenser la diversion commerciale qui fait réduire la prospérité. Sans oublier de mentionner que l’ouverture et le commerce sont aussi des facteurs bénéfiques de paix Par ailleurs l’ouverture de marchés pourraient indéniablement avoir une autre conséquence: la perte de recettes douanières et budgétaires. Il faut préciser ici qu’une taxe à l’importation est équivalente, sur le plan conceptuel, à une taxe ad valorem sur la consommation domestique et à une subvention ad valorem à la production locale de ce produit. Donc également des ajustements et des mesures fiscales domestiques pourraient concrètement être conçus et mis en jeu.
    En conclusion, le temps et le monde changent, indépendamment de notre volonté : Il faut de façon positive s’adapter et y faire face avec sérénité, lucidité, réalisme, compétence et détermination.

  2. Le monde change effectivement, cependant nous ne devrions pas laisser n importe qui definir notre reaction ou adaptation face a ce changement, cela pourrait etre trop risqué. Personne ici ne préconise un renfermement sur soi. C est une illusion. Avant tout la question est de saisir en profondeur la nature des changements que nous vivons et d agir en consequence. Est ce l approche adoptée en l occurrence? Que non.

    Cet accord a ete negocié par des oganisations comme la CEDEAO, et L UEMOA. Les fonctionnaires en charge etaient des gens comme Kadré Desiré Ouedraogo, placé par Blaise compaoré un ex dictateur burkinabé soucieux de plaire a qui de droit, comment ce genre d’individu peut il négocier des accords économiques qui impactent toute l afrique de l ouest. Ces accords sont defendus par des gens comme macky sall et alassane ouattara, dont le statut de pion n’est plus a demontrer. Cet accord fut ‘negocié’ par des « techniciens » africains, techniquement limités et probablement complexés, qui s assoient autour d’une table de negociation avec des gens qui ont été leurs professeurs ou leurs condisciples en métropole. En fait, je ne serais pas surpris que les salaires de nos negociateurs soient payés par le camp adverse.

    Dans ces conditions je suis desolé mais, il ne s agit pas de faire des « ajustements et des mesures ». Il s agit de retourner vers la table de negociation et de renegocier, serieusement cette fois parce que l autre partie, elle, s est preparée avec minutie, rigueur, et determination et c’est normal, elle defend ses interets. C’est a nous de defendre les notres.

    Il s agit aussi de considerer d autres options. Commencons par intensifier nos echanges avec d’autres partenaires partout dans le monde, Amerique, Amerique Latine, Asie, Afrique de l est, et bien sur Europe.

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