Les confessions de Jean Christophe Ruffin: Serigne Saliou Mbacké « lumière » de l’ancien ambassadeur de France au Sénégal

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Dans son nouveau roman, Katiba, l´écrivain diplomate nous entraîne dans la sphère du terrorisme islamiste. Un thriller écrit depuis l´ambassade de France à Dakar, qu´il quittera en juin.

Costume foncé très chic. Cravate élégantissime. Ce mardi, Jean-Christophe Rufin n´est pas Son Excellence l´ambassadeur de France au Sénégal. Rendez-vous a été fixé chez son éditeur, Flammarion, place de l´Odéon, à deux pas du restaurant La Méditerranée, l´une des cantines les plus fameuses du petit monde de l´édition parisienne. Une pièce de viande en guise de déjeuner. « Le poisson, dit-il, j´aime m´en passer, j´en mange trop, matin, midi et soir, cela fait beaucoup de bien au teint, mais au bout de trois ans, j´en ai assez. » Un Coca Light. Il ne boit plus une goutte d´alcool depuis sa rencontre, le 6 décembre 2007, avec le calife des Mourides, Serigne Saliou Mbacké, décédé peu après. Les Mourides constituent l´une des plus importantes confréries musulmanes d´Afrique de l´Ouest. âgé de 92 ans, cet homme dirigeait la communauté depuis dix-sept ans. Il était le dernier fils vivant du fondateur de la confrérie, ce qui ajoutait à son charisme. « Il était sans conteste l´homme le plus influent du Sénégal. Très impressionnant. Après l´avoir vu, je suis rentré à la résidence et n´ai plus eu envie de boire une goutte d´alcool. Je n´ai pas compris, mais cela ne me manque pas », dit Jean-Christophe Rufin en souriant.

Monsieur l´ambassadeur est à Paris pour la sortie de son nouveau roman, Katiba. Il compte également rencontrer Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères. Sa mission de trois ans à Dakar s´achève en juin, et il ne souhaite pas rester plus longtemps à ce poste.

Quel sentiment éprouve-t-il à se retrouver ainsi à La Méditerranée, ce restaurant d´un « milieu » qu´il décrivait dans Un léopard sur le garrot. Chroniques d´un médecin nomade?? « à l´époque, se souvient-il, je me suis retrouvé catalogué comme un médecin de droite. Il faut dire que j´avais fait partie de deux cabinets ministériels, celui du secrétaire d´état aux Droits de l´homme Claude Malhuret, de 1986 à 1988, puis celui de François Léotard, lorsqu´il est devenu ministre de la Défense, en 1993. J´étais étranger à tous ces codes, et, finalement, j´ai observé cela avec un certain amusement et beaucoup de tranquillité. » Le succès de ses livres, les nombreux prix qu´ils lui valurent (Goncourt du premier roman, prix Méditerranée, prix Interallié, prix Goncourt), son élection à l´Académie française en 2008 l´ont aidé, on l´imagine, à prendre ce recul…

On évoque Dimitri, l´un des personnages de Katiba, errant dans Paris, amoureux et désœuvré, remplissant ses journées en s´enfermant dans des salles de cinéma ou en lisant Libération de la première à la dernière ligne, supplément « Livres » inclus. « Et pourtant, laisse tomber Jean-Christophe Rufin sans amertume, je ne fais pas partie de la culture Libé, ils n´ont jamais vraiment parlé de mes livres… »

Médecin, humanitaire, écrivain et aujourd´hui diplomate, Jean-Christophe Rufin est un homme d´action ; il regarde sa vie comme une longue errance sans repos. Incapable de n´admettre qu´un seul destin, il voudrait vivre plusieurs vies. Habité par ses lectures et ses rencontres, il a horreur de faire ce qu´il n´aime pas. Ainsi son refus de diriger la nouvelle structure de Culturesfrance, un organisme placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères et chargé de promouvoir la culture française dans le monde. « Je déteste les tâches administratives. Je préfère mille fois ne pas travailler ou bien exercer de manière bénévole. » Médecin, il l´est, et le restera toujours. Même sans exercer. Il aime évoquer cette « sensibilité particulière » que procure la pratique de la médecine. Raison pour laquelle, sans doute, Rufin n´est pas un écrivain de l´introspection mais plutôt un écrivain de l´Autre. La fiction s´offre à lui naturellement, avec ses rencontres, ses expériences, ses sensations. Seule et unique contrainte : un immense besoin de vivre intensément qui lui permet de conserver cet art particulier du regard.

« Lors de mes études de médecine, dit-il, un de mes maîtres en neurologie aimait répéter que la thérapie n´est pas la médecine. Tout en effet est subordonné au regard, à l´écoute et au diagnostic. Aujourd´hui, j´ai l´impression que le geste thérapeutique prime sur tout et je le regrette. Je crois essentiel d´écouter, de comprendre le malade avant d´engager les examens cliniques. »

« Dans mon équipe, à l´ambassade, poursuit-il, il y a pas mal de monde en contact professionnel étroit avec les services secrets. J´ai découvert que ces gens sont à l´écoute de leurs sources, ils établissent un pronostic en cherchant à deviner la manière dont un groupe ou une personne va réagir en fonction d´une idéologie, d´une politique. Cette recherche du pronostic les rapproche de mon propre système de travail de médecin, et d´écrivain aussi. écouter pour comprendre. »

Jean-Christophe Rufin aime raconter des histoires. Avec Katiba, il renoue avec la tradition du thriller de grande qualité. L´écriture, efficace et très cinématographique, nous entraîne dans le monde du terrorisme islamiste, en plein cœur du Sahara. Le point de départ du livre est un fait réel : l´assassinat de quatre touristes français en Mauritanie. Pour autant, Rufin se défend de vouloir faire trop de place au réalisme. « C´est un roman, dit-il, même si je ne cesse de faire des allers-retours entre fiction et réalité. » Il ajoute : « Je choisis de faire pivoter l´ensemble de mon intrigue en fonction de mes personnages, je mélange mes rencontres, mes connaissances du terrain pour créer une histoire, à la manière d´un Rubik´s Cube ; je fais chauffer mes petits plats en permanence et m´éloigne d´une réalité didactique pour proposer une réflexion d´ensemble. Je tiens à rappeler à travers ce roman que la menace islamiste ne se situe pas seulement en Irak ou en Afghanistan, mais qu´elle est présente tout près de nous, dans le Sahara, non loin de mon environnement actuel. »

Dans le sud du Sénégal, lors de l´inauguration d´un hôpital en compagnie de l´épouse du président sénégalais, un inconnu a mentionné devant lui ce proverbe : « Un chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut pas suivre deux chemins à la fois. » « Je l´ai repris dans mon roman, ajoute Jean-Christophe Rufin. Il caractérise mon héroïne, Jasmine, personnage très divisé qui suit des chemins différents. Cela s´explique par ses origines, un mélange de deux cultures. J´avoue que ce proverbe trouve aussi un écho en moi, j´ai souvent pris deux chemins à la fois, je suis un chien qui marche de travers, mais j´aime qu´on me dise que ce n´est pas possible. »

larevue.info

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