Les démesures du journalisme-ministre (Par Hawa Abdoul Ba)

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Le DG du quotidien national « Le Soleil », Yakham Mbaye, a accordé une interview sur l’affaire du « vrai-faux » décret n°2020-964. A cette occasion, Yakham Mbaye exhibe, selon lui, le vrai décret qui tout bien considéré est banal. Ce serait une simple affaire de procédure (le président pouvant dorénavant accorder l’honorariat) et de carte tricolore.

Pourquoi alors autant de tintamarre pour si peu ? La cellule de communication du président de la République aurait pu tuer dans l’œuf cette affaire dès qu’elle a été saisie sur la base d’un avis de recherche de décret.

D’aucuns n’ont pas été convaincus par les arguments de Yakham Mbaye. Cette affaire d’Etat du vrai-faux décret constituerait d’après eux un scandale politique révélateur d’un régime finissant. Par analogie, nous serions proches de l’affaire du collier de la reine Marie Antoinette. Tout s’emballe comme en 1785 : escroquerie, fausses lettres signées, campagne de désinformation et opinion publique perplexe face aux protagonistes de l’affaire sur fond de misère grandissante.

Oui, nous l’avons assurément notre affaire ! Et qui plus est en pleine crise sanitaire ! Aujourd’hui, je suis comme de nombreux de mes concitoyens, troublée. Je souhaiterais vous partager mes interrogations qui n’ont pas été soulevées jusqu’alors. Les contradicteurs de Yakham Mbaye se sont placés davantage sur le terrain du droit.

Avec vous, je voudrais aborder les questions déontologiques de notre république. Dans l’interview, en quelle qualité Yakham Mbaye intervient-il ? Celle d’ami personnel de Macky Sall, de Directeur général du quotidien « Le Soleil », de sympathisant et militant de l’APR ou encore de futur candidat à la mairie du Plateau ?

Cumul des titres officiels et officieux

Force est de constater que, dans ce pays, en 2020, nous sommes toujours dans des confusions où de nombreuses personnalités politiques cumulent des titres officiels et officieux. Sans trop savoir quoi en faire ! Et cela débouche inéluctablement à des conflits d’intérêts.

En l’espèce, est-il normal qu’un Directeur général d’un journal national déclare ostensiblement sa sympathie envers le Président de la République ? C’est invraisemblable qu’un ancien ministre, à fortiori secrétaire d’Etat de la communication, ait été parachuté par décision étatique dans un journal ; même si l’Etat est majoritaire dans le capital.

Tandis que la Cojer envisagerait un recours contre Bassirou Diomaye Faye pour motif de déloyauté, quel sort la Cojer pense-t-elle réserver à Yakham Mbaye ? Lui-même n’a-t-il pas fait preuve d’un manque d’impartialité ? Le Directeur général du quotidien « Le Soleil » est-il autorisé à s’exprimer de façon si unilatéraliste sur des affaires d’Etat ? Yakham Mbaye est le défenseur du Président de la République. Pourquoi n’a-t-il pas plutôt demandé à ses journalistes d’enquêter avec l’exigence d’un traitement équilibré de l’information ? Nous manquons d’enquêtes d’investigation au Sénégal. Il faut toujours que nos scandales politico-financiers soient traités par des groupes de presse étrangers comme BBC dans l’affaire Aliou Sall. Nous les Sénégalais préférons une seule vérité : celle de l’Etat, ou celle de Yakham Mbaye. Mais aucunement celle d’un journalisme d’investigation !

Pourquoi Yakham Mbaye n’a-t-il pas privilégié la diffusion de sa trouvaille dans son journal et n’a pas offert le fruit de son travail à ses lecteurs ? Tout simplement, car il aurait mis en défaut son quotidien ! A vrai dire, on a atteint les limites de l’exercice du journaliste-ministre. Il nous faut poser la vraie question : est-il possible de diriger un grand quotidien national public tout en ayant été un ancien ministre d’un président de la République toujours en exercice ? Je vous réponds sans ambages : Non ! Stop aux liaisons dangereuses !

Dans le prolongement de cette réflexion, je me demande à qui appartient notre quotidien national « Le Soleil » ? Au peuple qui contribue à payer ce journal et y compris les émoluments de son directeur général ou alors au président et à sa propagande politique ? Rappelez-vous que Yakham Mbaye avait été nommé en conseil des ministres Directeur général du quotidien « Le Soleil » afin notamment d’être le bras armé informationnel de Macky Sall pour l’élection présidentielle de 2019. Cela n’a pas trop mal marché !

Il y a un vrai problème éthique

Vous conviendrez avec moi qu’il y a dans cette intervention de Yakham Mbaye un vrai problème éthique. Allons-nous encore fermer les yeux devant cette forfaiture républicaine et démocratique ? N’est-il pas temps de demander un changement profond sur nos us et coutumes désuets qui nous renvoient à « la Pravda » (signifiant vérité), journal soviétique qui publiait les communiqués du parti communiste. Ne faudrait-il pas un Boris Eltsine (ancien président russe qui avait supprimé « la Pravda ») au Sénégal pour mettre fin à ces mélanges de genre d’un autre temps ?

En tant que libérale, je suis dérangée par cette gouvernance « communiste » au niveau de l’information et de la justice pour ne citer que la CREI et son renversement de la charge de la preuve digne des dictatures totalitaires de l’époque de l’ex-URSS !

Yakham Mbaye se trompe lorsqu’il évoque la continuité de la République. Il prend en otage une fois de plus la gouvernance de Me Abdoulaye Wade. Macky Sall a créé de son propre chef le Conseil économique, social et environnemental. Il n’y avait donc aucune continuité avec les anciennes institutions mises en place par Me Abdoulaye Wade. Ils ont utilisé la même défense dans l’affaire Sall-Timis ! Pour vous convaincre de la mauvaise foi de Yakham Mbaye, je vous prends un exemple concret : le nouveau partenariat militaire signé précipitamment par le président Macky Sall. En 2012, il prétendait qu’il y avait continuité avec l’ancien régime, ce que les sénégalais doutent à juste titre puisque Me Abdoulaye Wade était dans une logique d’une indépendance militaire. Mais admettons ! Cela n’a pas pourtant empêché Macky Sall de rompre avec la décision de Me Abdoulaye Wade de faire payer des loyers à l’armée française !

Je suis aussi dubitative concernant le timing de ce décret. A supposer que le décret de Yakham Mbaye soit vrai, pourquoi le publier dans le journal officiel en plein état d’urgence ? Les services de l’Etat n’ont-ils pas d’autres préoccupations en ce moment que ces questions si ordinaires de carte tricolore honorifique ? Y avait-il urgence en avril 2020 pour le président, alors que chaque fin de matinée nous décomptons nos morts, de conférer par décret, le titre de président honoraire aux anciens présidents du CESE ? Si Madame Aminata TALL souhaite compléter son Curriculum vitae, ne pourrait-elle pas s’adresser au bureau du CESE en vertu du règlement intérieur de cette institution (datant de 2012) ?

Le « Soleil » ou le crépuscule ? C’est cette question qui me taraude aujourd’hui. Je suis tourmentée par notre république abîmée par tant d’affaires !

Hawa Abdoul Ba

Cadre du PDS

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