Les pyramides sérères de Ndayane : Ces « Mbanaars » où sont enterrés les notables

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A la lisière de la ville de Diourbel juste à côté du célèbre hôpital Henrik Lubke, se trouve le quartier traditionnel de Ndayane qui abrite les  « Mbanaars ». Il s’agit d’une pratique originale des Sérères de la contrée qui consistait à soulever la case d’un notable décédé pour l’implanter proprement sur son tombeau avec tout son contenu. Le site s’étend aujourd’hui sur deux hectares.

A Ndayane, on se rend compte de visu que l’Afrique a ses mystères à la faveur de la perpétuation de la vieille pratique des « Mbanaars ». Le site est situé dans la commune de Diourbel avec des baobabs à perte de vue et une authenticité jalousement préservée. Ce qui en fait pratiquement le seul poumon vert de la capitale du Baol. Trouvé sur les lieux, le vieux Yoro Faye qui fait figure de gardien du temple renseigne que « Mbanaar » est un mot wolof ; en Sérère on dit « Lome ». «  A l’époque, les « Mbanaars » se faisaient uniquement au profit des notables aisés » selon notre interlocuteur.
La pratique consiste ainsi à déménager la case du défunt pour l’implanter sur son tombeau. Ce sont des jeunes valides qui assuraient l’opération à l’aide de pagaies car ils n’avaient pas accès à des accessoires comme les pelles. Le « Mbanaar » était organisé à la fin de l’hivernage juste après les récoltes. De véritables agapes avaient alors lieu avec à la clé des bœufs qui étaient immolés. On mangeait à volonté, on buvait à satiété, les jeunes dansaient à qui mieux-mieux. Bref, on faisait ripaille. Un véritable rituel fait de chants, de danses et de réjouissances. Assane Sylla Faye, agent voyer de la commune de Diourbel, précise que c’est la famille du défunt qui offrait aux jeunes le bœuf, le mil, le lait et les autres condiments nécessaires à la tenue d’une belle fête.

L’Etat invité à restaurer les « Mbanaars »
Autrement dit, les « Mbanaars » n’étaient organisés que pour les notables aisés appelés « Borom barké » par les Wolofs. Les spécialistes de la tradition sérère rappellent à l’envi que les « Mbanaars » n’ont existé qu’à Ndayane et à Bandia (département de Mbour). D’ailleurs ceux de Diourbel sont les plus grands et les plus réputés. Un « Mbanaar » pouvait mesurer jusqu’à quatre mètres de hauteur. Ndayane est aujourd’hui un sous-quartier de la commune de Diourbel. A la faveur de l’urbanisation galopante, le site est devenu très populeux. Tamsir Faye, dernier khalife de Ndayane, est décédé récemment de même que le vieux Ngothie Faye de Diaoulé. Ils sont considérés comme les derniers gardiens de la culture du terroir.

Mbanaars NdayaneDès le mois de février prochain, une cérémonie grandiose sera organisée pour l’élection du nouveau khalife. Ces journées culturelles seront parrainées par le Directeur général de la société d’études et de réalisation des phosphates de Matam (Serpm), Eugène Ngor Faye. Selon ce fils du terroir, il faut revisiter l’ouvrage de Cheikh Anta Diop « Nations nègres et cultures » dans lequel il évoquait le « Lome » sérère qui renvoie au « Mbanaar ». Le patron de la Serpm poursuit en rappelant que les Sérères sont venus du Delta du Nil et que les habitants de Ndayane sont eux-mêmes originaires du Sine. Les Sérères ont aussi parcouru le Fouta dès qu’ils ont quitté l’Egypte. Ce qui explique leur cousinage à plaisanterie avec les Hal Puulars.

La préservation de la centaine de « Mbanaars » qui résistent à l’usure du temps est une vive préoccupation des Sérères de Diourbel. Assane Sylla Faye soutient, avec conviction, que les ancêtres ont réalisé les « Mbanaars » pour les générations futures et cela leur a coûté une fortune. C’est pourquoi leur préservation est devenue une urgence. D’autant que les riverains ne cessent de dénoncer l’attitude répréhensible de plusieurs chauffeurs de camions de sable qui ont détruit une bonne partie des installations. Résultat : bon nombre de « Mbanaars » se sont affaissés. Pourtant, le Conseil départemental a consenti des efforts notables en érigeant des piquets de délimitation afin de protéger l’espace en proie à des agressions extérieures.

Relations entre les Sérères et Serigne Touba
Aujourd’hui, la restauration des « Mbanaars » passe indubitablement par l’érection d’un mur de clôture, selon les gardiens de la tradition. Des discussions très avancées sont actuellement en cours entre la commune de Diourbel et le projet national Promovil. Il s’agira notamment de veiller à la formation d’un homme de culture pour en faire le conservateur des « Mbanaars ». Le site, classé patrimoine national, est menacé du fait qu’il est aussi devenu quelque part un énorme dépotoir d’ordures. S’y ajoute l’urgence de la plantation d’arbres, des espèces végétales assez rares pour renforcer les baobabs millénaires qui bordent ce site magique.

Car Diourbel est confronté à un réel problème de circulation de l’air avec une chaleur étouffante qui y sévit à longueur de journée. Les baobabs de Ndayane portent des noms évocateurs comme « Niaakh », « Ndieme Sakh », « Baaka Ndior », « Nguel Diegane », « Lakhoundé », « Gouye Sakhé », « Nderoo Makh », etc. A Ndayane, on raconte que Serigne Touba Khadimou Rassoul venait souvent profiter de l’ombre du Baobab « Niaakh » pour y effectuer la prière du « Takussan ». Ce baobab est d’ailleurs réputé pour son mysticisme avéré selon les Sérères de Ndayane. Mieux, il est considéré comme l’arbre symbole du site.

Diarno Paad Faye est le fondateur de Ndayane, selon des témoignages concordants. Mais en 1886, une grande épidémie de peste a disloqué le village. Plusieurs habitants ont alors quitté les lieux pour créer des villages comme Diambougoum, Tokasson, Mbélane, Ngoufor, Wendou-Ndayane (Gossas), etc. L’ancêtre des Faye est originaire du village de Mbaafaye Djilakh, situé au cœur du Sine. Doté d’une fortune immense, il n’avait pas hésité à offrir huit bœufs à Serigne Cheikh Anta Mbacké, frère et talibé de la première heure de Serigne Touba Khadimou Rassoul, fondateur du Mouridisme.

Cet acte illustre à merveille les relations séculaires, chaleureuses et empreintes de cordialité qui lient les Sérères de Diourbel et Cheikh Ahmadou Bamba. Les Sérères ont bien accueilli le Cheikh qui a vécu quinze bonnes années à Diourbel. Pour les habitants de Ndayane, les « Mbanaars » sont parvenus à redonner à l’homme sa dignité. De même, la restauration de l’espace pourrait contribuer au positionnement de Diourbel comme point focal du tourisme culturel et de découvertes.

Mbaye Diakhaté sur les « mbanaars » : L’un des espaces culturels les plus importants du Baol, selon l’adjoint au maire

Mbaye DiakhatéPour Mbaye Diakhaté, deuxième adjoint au maire de Diourbel chargé de l’Environnement, de la Santé et de l’Assainissement, la restauration des « Mbanaars » de Ndayane doit faire partie même du patrimoine culturel de la commune de Diourbel. Selon lui, il faut restaurer le site le plus rapidement possible.

Mbaye Diakhaté est convaincu que « cet espace renferme des vestiges de l’histoire de notre société et surtout de la société sérère plus précisément ». Il explique que Ndayanne, un village devenu un quartier de Diourbel où sont enterrés leurs grands-parents, mérite une attention particulière. Ne serait-ce que pour tous ceux qui reposent sur ce site. « Ils ont tout fait de leur vivant pour que Diourbel devienne ce qu’il est devenu aujourd’hui. Ils ont accueilli Serigne Touba ici et ont fait qu’il y soit resté pendant plus d’une quinzaine d’années. Donc, restaurer ou se remémorer leur vécu est une excellente chose »,  a ajouté notre interlocuteur.

Le deuxième adjoint au maire de Diourbel estime alors que « la restauration des « Mbanaars » de Ndayane doit faire partie même du patrimoine culturel de la commune de Diourbel. La commune est invitée à chercher des partenaires où qu’ils puissent se trouver pour restaurer ce site qui, éventuellement, pourrait devenir le point culturel le plus important de Diourbel. « L’arrivée de Cheikh Ahmadou Bamba a fait transformer nos coutumes », a-t-il affirmé. Mais, les Diourbellois restent encore ancrés dans leur civilisation qui place l’homme au cœur de toutes les préoccupations.

« Dieu même qui nous a créés nous a mis au devant de toutes les créatures. Donc, respecter nos morts, leur donner un visage très grand est important », à en croire M Diakhaté. Les « Mbanaars » rendaient à l’homme toute sa dignité quand il retournait vers Dieu. Il y allait avec tous ses bagages, tout ce qu’il avait comme biens pour dire à Dieu que c’est Toi qui m’avais créé ; je reviens à Toi avec tout ce que Tu m’as donné.

Mbaye Diakhaté indique donc « que cette grandeur de l’homme qui est magnifiée par les « Mbanaars » doit être revivifiée et restituée, ne serait-ce que pour faire comprendre aux générations futures qu’à n’importe quel moment de la vie de notre société nous avons su mettre en place une certaine forme d’organisation qui respectait toujours la dignité de l’homme. C’est dans cette perspective qu’il trouve extrêmement génial le projet de restauration des « Mbanaars » de Ndayanne. D’où l’urgence pour tous les fils de Diourbel de faire de ce site un lieu de culte, d’échanges et de découvertes pour les étrangers.

Des journées culturelles pour perpétuer les « Mbanaars »
L’épopée des  Mbanaars  reste gravée dans la mémoire des Diourbellois. Les descendants de la lignée paternelle de la famille « Faye » de Ndayane essayent tant bien que mal de restituer les vestiges de leurs ancêtres.

Une rencontre familiale est organisée à cet effet en même temps que des activités culturelles, nous informe un des membres de cette famille, Assane Sylla Faye. Selon lui, c’est une occasion qui nous est offerte de consolider davantage nos liens familiaux mais également et surtout de retracer l’histoire des « Mbanaars ». Ainsi, des expositions, des débats et des manifestations folkloriques symbolisant les rituels de ce patrimoine classé sont offerts au public durant cette période pendant laquelle la ville de Diourbel vit au rythme de la musique traditionnelle locale et à travers des spectacles riches en couleurs orchestrés par des groupes locaux au niveau des différents sites. Ces manifestations se tiennent généralement au mois de février de chaque année.

Babacar Faye, délégue de Ndayane : « Grâce aux « Mbanaars », nous jouissons de tous les privilèges »

Babacar FayeBabacar Faye est le délégué de Ndayane qui est rattaché à la commune de Diourbel depuis plusieurs années maintenant. Pour lui, les Mbanaars ont rehaussé le statut du quartier.

Babacar Faye est d’avis que Ndayane jouit de tous les privilèges dans la ville. Les préoccupations sont prises en compte par la mairie et les habitants du quartier vivent dans la communion et l’harmonie. Ils se concertent régulièrement sur tous les problèmes qu’ils ont en commun, à en croire notre interlocuteur. Le jeune délégué de quartier explique cet état d’esprit salutaire par le fait que, dès ma prise de fonction, il a privilégié une gestion transparente à travers l’implication de tout le monde pour ainsi poser les problèmes et trouver des solutions ensemble.

Babacar Faye est officiellement le quatrième délégué de quartier de Ndayane. Son père, feu El hadji Yoro Faye, fut le premier à diriger Ndayane. Quelques problèmes de sécurité subsistent dans la zone. Ils sont liés, selon lui, au manque d’éclairage public qui favorise les vols fréquents de bétail. Ce qui oblige les résidents à mettre en place un système de gardiennage nécessitant une participation de 1.000 FCfa par concession pour la rémunération des volontaires coptés à raison de 50.000 FCfa. Mais, cela n’a duré que deux ans.

Aussi ont-ils identifié des préoccupations d’emplois des jeunes et de financements pour les groupements de femmes au nombre de trois qui s’activent dans les activités génératrices de revenus à travers le petit commerce, les tontines et le maraîchage. Pour autant, le quartier de Ndayane, avec ses 680 concessions pour près de 5.000 habitants, n’est pas oublié dans la carte scolaire et sanitaire de la commune de Diourbel. La zone dispose de deux écoles élémentaires, un lycée et deux garderies d’enfants, en sus d’un poste de santé.

Mamadou Lamine DIATTA & Mohamadou SAGNE (textes)
Pape Seydi (photos)

-lesoleil.sn

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