L’État serait-il un inspirateur spécialisé du mensonge? par Pathe Gueye

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« L’État ? Qu’est-ce cela ? Allons ! ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples. L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le Peuple. » C’est un mensonge! ». Cette populaire diatribe de Nietzche confère à l’État un autre attribut de taille : le monopole de la puissance publique du mensonge. Plus précisément, l’État est le symbole d’un mystérieux paradoxe qui fait qu’il est une réalité invisible mais présente partout.
Le mensonge, érigé en règle d’or, pollue l’atmosphère étatique parce qu’il est, dit-on, impossible de gouverner les hommes sans les tromper. Décrit comme tel, l’État se dresse en fantôme dont la légende est perpétuée par des représentants désignés qui définissent son identité et le maintiennent dans un engrenage de mensonge sans commune mesure. Voyons! Le jeu politique, aujourd’hui, pour reprendre Marc Chevrier, « serait un théâtre burlesque où des politiciens prompts au mensonge rient entre eux de leurs pantalonnades devant un public candide. D’un scandale à l’autre, les citoyens n’en finissent pas de se découvrir bernés par ceux en qui ils ont eu confiance ». La devise stipulant que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » devient donc une règle de conduite en politique faisant des citoyens des complices du jeu politique.
Le mensonge politique, outil servant de fondement à la politique étatique, renvoie à l’action de déguiser, d’altérer la vérité. Autrement dit, il constitue un art employé pour persuader, dissuader, exploiter voire nuire. Ainsi, sous tous les cieux, l’État fait régner consciemment le mensonge pour donner de l’efficacité à son discours et à ses actions, pour gagner l’affection, l’adhésion de ses citoyens et enfin pour justifier, légitimer ses choix. À ce propos, Vincent Davy Kacou, précise : « parce qu’il doit s’assurer à tout prix le pouvoir, l’État dit des contre-vérités. Avec lui, tout est mensonge et tout est imprégné de mensonges». Englouti dans ses « entrailles fausses », l’État, en bon menteur, se dresse ironiquement en sauveur absolu et garant unique de l’épanouissement et du bien-être des populations. Il en fait tellement que le peuple incrédule arrive à croire qu’il possède de façon indubitable le droit le plus absolu…
Or, cette prérogative de mentir attribuée à l’État, pose naturellement le rapport entre politique et morale. La célèbre controverse philosophique qui a opposé Benjamin Constant et Emmanuel Kant au sujet de l’existence ou non d’un prétendu droit de mentir, en dit long.
Si par l’affirmatif, Constant soutient que, « le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris de manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible […]. Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui.»
À l’opposé, pour Kant, il faut refuser tout droit de mensonge envers soi et envers autrui et assigne à tout homme, sans exception et en toute occasion, un devoir de dire ce qu’il croit être la vérité. Ce refus kantien du droit de mentir quelles qu’en soient les raisons, s’explique par le fait que Kant « assigne à l’homme pour premier devoir envers lui-même et envers autrui le devoir, non de vérité objective (car nul n’est sûr de connaître le vrai), mais de véracité subjective, c’est-à-dire l’obligation de toujours dire ce que l’on pense sincèrement être vrai. On n’est pas toujours contraint de se déclarer ; on peut aussi ne rien dire. Mais, dès que l’on s’exprime, la déclaration que l’on fait doit être (en vertu d’un devoir universel, nécessaire et inconditionné) subjectivement véridique, à défaut d’être objectivement vraie »
Certes, la gestion des affaires publiques s’apparente à un cas extrême de survie, mais elle ne saurait à elle seule justifier la perpétuation du mensonge. L’État en mentant froidement commet une injustice morale qui porte atteinte à la dignité du peuple. Or, comme peuple, nous créons notre propre réalité pour ne pas dire nos propres peines et si nous changeons ce que nous sommes à l’intérieur, nous changerons le reflet extérieur. Vérité intérieure, vérité extérieure?
Pathé Guèye
Montréal, le 26/08/2015
Email : [email protected]

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