Lettre à un nouveau ministre par Mamadou Mika Lom

Salut Monsieur le ministre. Je m’excuse d’avoir trop insisté hier soir pour te parler au téléphone. Je trouve que c’est tout à fait normal de partager avec un ami de tels moments de joie qui n’arrivent que très rarement dans la vie d’un homme.

J’avais voulu me déplacer physiquement pour te présenter mes sincères félicitations et mes encouragements pour cette mission aussi exaltante que d’avoir à manager un département ministériel dans un contexte marqué par la forte demande sociale.

Mais tu comprends que le mois de Ramadan est si éprouvant qu’il est difficile pour des paresseux comme moi de faire des déplacements après la rupture du jeûne. Ce qui n’a pas été certainement le cas pour les nombreuses personnes qui se sont donné rendez-vous hier soir, juste après lecture de la liste des membres du nouveau gouvernement.

Mais à travers notre échange téléphonique, je percevais l’ambiance qui régnait déjà à ton domicile. J’avais comme l’impression d’entendre après chaque minute s’exclamer un groupe de personnes faisant son entrée dans la maison. Et l’atmosphère était telle que tu as laissé ouvert pendant longtemps ce téléphone sur lequel je t’ai appelé. Sans raccrocher, j’en ai profité pour partager à distance avec ta famille, tes amis et quelques proches voisins ces moments de joie et d’émotion.

De temps à autre je percevais des cris de joie, des rires, le rythme des tams-tams, le plus souvent des voix de femmes. Ces dernières prononçaient à haute voix le prénom de ton épouse qui répondait par un grand éclat de rire. A chaque fois c’était pour lui dire qu’elle méritait de vivre un tel heureux évènement dans son foyer. Et que ceci est la récompense d’une fille dont la mère a été la plus docile dans son ménage. Mais dans tout cela l’arrivée sur les lieux du groupe de griots semble le plus avoir tenu la maison en haleine. Ils chantaient par alternance l’arbre généalogique de ton épouse et le tien en remontant vos origines jusqu’au dernier né de la famille.

J’ai même été surpris d’apprendre par ces mêmes griots, que toi comme ton épouse, vous avez quelques liens de parenté avec le plus haut des en haut de ce pays. Mais également qu’en remontant les origines tes parents seraient originaires du royaume Wahabite d’Orient. C’est-à-dire que, si l’on doit se fier à leurs propos, tu serais un légitime héritier de tout l’or et du pétrole qui enrichit et divise le monde. Toutes choses dont je n’avais jamais eu la moindre connaissance malgré notre amitié de plus trente ans.

D’ailleurs j’avais voulu en connaitre davantage avec ces griots grands connaisseurs du réel et de l’irréel, mais à un moment leur prestation a été interrompue par une voix imposante qui résonnait dans ton salon. La personne disait que le premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement pouvait avoir lieu aujourd’hui même et elle demandait si tu avais pensé à la tenue que tu allais porter pour aller à la présidence. Je t’ai entendu tout de suite interpeller ton épouse lui demandant de vérifier si le costume que tu avais ramené de ton dernier voyage à l’étranger, il y a de cela 3ans, était bien encore rangé dans l’armoire.

Une autre voix de s’élever du fond de la salle pour dire que ce costume dont tu parles ne serait peut-être pas adapté ni au contexte, ni à ton nouveau statut de ministre. Tu as demandé alors, s’il ne fallait pas, bien qu’il faisait tard (il faisait 3h matin), envoyer quelqu’un chez un ami, un vrai faux perdant des locales et ministre sortant du dernier gouvernement, pour lui demander de te passer un de ses costumes le temps que tu changes ta garde robe. Tu reconnaissais avoir constaté qu’il en portait certains de très belle coupe. Mais ni ton épouse, ni tous ceux qui parlaient autour de toi, n’avaient adhéré à l’idée.

Quelqu’un a même soufflé qu’avant d’arriver à ton domicile, il a été de passage chez la personne en question pour lui présenter ses regrets suite à son limogeage du gouvernement. Il disait avoir trouvé une atmosphère de deuil qui régnait dans la maison où il a trouvé son épouse, ses 4 enfants, ses deux sœurs, ses trois cousins et un voisin. Et que tous affichaient des mines d’enterrement. Ils échangeaient à peine quelques mots pour dénoncer l’ingratitude des hommes politiques. Le maitre des lieux lui n’étaient pas sur place.

Ce dernier, qui avait vu sa tension grimper considérablement, était allé en consultation chez le médecin. Par mesure de prudence, le docteur a pris la décision de le mettre sous surveillance pour 48 heures, le temps de laisser passer l’émotion. Dès lors tu as semblé vouloir essayer avec ton demi-frère, un immigré du pays de l’Oncle Sam, présentement en vacances au Sénégal, quelque part vers Keur Massar. Mais toi-même tu disais avoir quelques scrupules à lui demander ce service pour la simple et bonne raison que vos rapports sociaux n’ont jamais été bons à cause des conflits qui ont longtemps opposé vos deux mamans, et ensuite vos épouses.

C’est sur ce fait que j’ai entendu un de tes voisins dire que son fils qui fut ancien directeur des ressources humaines sous le régime de la première alternance mais aujourd’hui au chômage, pourrait bien te prêter un costume. Et il pensait que ce serait pour ce dernier une grande opportunité de faire ta connaissance, en tant que nouveau ministre, pour que tu puisses le compter parmi tes futurs collaborateurs.
Salut et bonne chance !

Mamadou Mika Lom
sudonline.sn