L’exportation tous azimuts de l’arachide n’est pas le meilleur choix pour la filière et l’économie nationale par Pr Demba Sow

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L’arachide est à la fois une culture de rente, une culture vivrière et une culture fourragère au Sénégal. On mange l’arachide, on gagne de l’argent avec l’arachide et on a un aliment du bétail. Qui dit mieux ? De toutes les productions agricoles au Sénégal, l’arachide est celle qui impacte le plus l’économie nationale. Lorsque sa production est faible, c’est tout le pays qui est touché économiquement avec des signes extérieurs de pauvreté flagrants dans toutes les régions et agglomérations du Sénégal. La filière arachidière est la seule filière agricole sénégalaise qui a des infrastructures de transformation modernes ainsi que des magasins de stockage. A travers le pays, notamment dans les gros villages et les capitales des communes rurales en particulier dans le bassin arachidier, on trouve des magasins destinés au stockage de l’arachide. Ces magasins sont très adaptés à la conservation des produits agricoles sur le plan de l’aération, de la capacité, de la sécurité et de la solidité. Le programme de construction de magasins de stockage de l’arachide semble à  l’arrêt depuis plusieurs années et c’est regrettable pour notre agriculture et notre économie. A ma connaissance, aucune production agricole n’a un réseau d’infrastructures de stockage aussi denses que l’arachide.

Pour l’extraction de l’huile d’arachide, le Sénégal dispose d’un tissu industriel de trituration exceptionnel qui couvre la totalité des zones de production d’arachide. Ainsi, on trouve une usine de trituration à Ziguinchor, une à Kaolack, deux à Dakar, une à Diourbel, une à Touba ; soit 6 unités industrielles fonctionnelles. Comment peut-on dans ces conditions exporter des graines brutes d’arachide et mettre en même temps en péril ces infrastructures qui valent des milliards et font travailler directement et indirectement des milliers de personnes ?

Tout semble indiquer que la filière arachidière va vers une dépendance totale de l’extérieure ce qui serait catastrophique pour l’avenir de nos arachiculteurs et de notre économie. Depuis les années 2000, face à la mauvaise commercialisation de l’arachide, les pouvoirs publics ont décidé de faire appel aux chinois et autres importateurs pour vendre nos graines d’arachide en oubliant que nous avons des infrastructures capables de triturer la totalité de notre production arachidière. Faire appel aux chinois et autres est une mauvaise solution pour résoudre le problème de la commercialisation de l’arachide. Un jour pas lointain, pour des raisons diverses, les chinois arrêteront d’acheter nos graines et nous vivrons alors une catastrophe économique nationale sans précédente car nos unités de triturations auront disparu depuis belle lurette.

La solution pour sauver et pérenniser la filière n’est pas d’exporter l’arachide brute mais de réhabiliter et de moderniser nos unités de trituration pour sauver et créer des milliers d’emplois, fournir aux ménages l’huile la plus adaptée à notre type de cuisine. C’est une aberration grossière que l’huile d’arachide ne soit plus accessible au Sénégal. C’est un signe qui montre qu’il y a une anomalie quelque part et cela ne semble préoccuper personne, même pas les associations de consommateurs. On importe de l’huile de mauvaise qualité et de surcroît inadaptée à notre cuisine avec des conséquences néfastes sur la santé des populations.

Il y a une réelle menace sur la filière arachidière. Après la privation ratée de la SONACOS et de la SONAGRAINE avec les conséquences que tout le monde connait, voilà l’ère de l’exportation tous azimuts  de l’arachide au détriment de notre industrie huilière. Ce choix ne saurait être assimilé à un progrès dans le management de notre agriculture.

L’exportation des graines en Chine est fondée sur des statistiques de production qui ne me convainquent pas. Avec de mauvaises semences et des surfaces emblavées en baisse, scientifiquement et raisonnablement, on ne peut pas atteindre des tonnages exceptionnels. Dans une précédente contribution, j’avais averti que les récoltes d’arachides de 2015 seraient au mieux moyennes et non exceptionnelles pour des raisons de mauvaise germination des semences que tous ceux qui ont visité le bassin arachidier pendant la saison des pluies ont vues de leurs propres yeux.

Pour relancer la filière arachidière au bénéfice de nos braves paysans, sauver et créer des milliers d’emplois pour notre jeunesse en particulier, fournir la meilleure huile aux sénégalais, préserver notre exceptionnel tissu industriel de trituration, il faut, sans délai, arrêter l’exportation tous azimuts de nos graines d’arachide. A cette fin, il faut impérativement trouver un mécanisme fiable de commercialisation de la production arachidière. Ce n’est pas compliqué. Autour de l’Etat, il suffit de rassembler banquiers, huiliers, opérateurs, transporteurs, agriculteurs avec un cahier des charges prenant en compte tous les intérêts. Tout accord signé dans ces conditions devrait permettre la mise en place d’un système fiable de commercialisation de notre « or » qui mettrait un terme à l’exportation tous azimuts de nos graines.

 

Pr Demba Sow

Ingénieur  ENSIA Paris

Ingénieur Polytech Lille

Ingénieur IFFI CNAM Paris

2 Commentaires

  1. voilà un article intéressant écrit par une personne habilitée à le faire. C’est ce genre d’article , écrit par des personnes de bonne foi, qui sont à même de nous permettre d’accomplir des progrès , au lieu de
    passer notre temps dans des débats politiciens , de grand-places sans aucun intérêt.
    Merci de poser le problème d’une meilleure valorisation de nos ressources pour répondre aux besoins fondamentaux de nos populations au lieu de nous cantonner dans celui de fournisseurs de matières premières brutes destinées à des économies plus développées et de consommateurs de produits de bas de gamme déversés sans aucune retenue sur nos marchés. Cependant, il serait utile de raisonner de façon globale en examinant toute la chaine de valeur et en insistant sur le rôle du privé national pour inverser cette situation.

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