L’insécurité juridique au Sénégal

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Attesté ou contesté, un fait est constant dans la pratique politique sénégalaise : les différends se règlent désormais systématiquement devant la justice. On peut le déplorer, mais telles sont les contestations factuelles. Cette propension est grave même s’il est admis qu’il n’existe nulle part une égalité parfaite devant une quelconque juridiction ne serait-ce que du fait des moyens des uns leur conférant un avantage certain quant aux choix de conseil et de moyens de défense par rapport à d’autres plus démunis aussi bien au sens relationnel que pécuniaire.

Cette différence quant aux moyens est généralement le fondement d’une autre insécurité lorsque qu’il convient d’ester en justice.

Cette insécurité juridique est exacerbée par la certitude qu’il n’existe aucun moyen de représailles pour ceux qui usent de moyens illégaux parce que détournés de leur usage normal. L’Etat doit aux citoyens la sûreté qui est garantie par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son article 2, mais aussi la sécurité quand bien même cette notion relève plutôt d’un sentiment que d’une réalité objective.

Cependant cette insécurité juridique relève d’une évolution générale, c’est à dire que partout la sécurité est de plus en plus inexistante : c’est le cas à chaque fois que deux plaideurs n’ont pas des moyens égaux y compris lorsque l’organe juridictionnel a une vocation internationale : c’est le cas dans les résolutions des Nations Unies : certaines sont exécutées, d’autres pas, ceci est également valable pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme ou celle Africaine des Droits de l’Homme, ne serait-ce que du fait de la complexité de la saisine de ces instances et encore des moyens qu’elle nécessite.

L’insécurité concerne donc tous les stades de la vie : à titre illustratif, observons l’apparition de faits alternatifs, autrement dit une nouvelle perception de la réalité, expression apparue avec l’élection du président des USA Donald Trump, ou de la notion de post-vérité où la réalité factuelle n’a plus d’importance, chaque opinion aussi farfelue soit -elle devenue une partie de vérité.

C’est donc dans ce concert d’évolution générale qu’il est aisé d’observer, en particulier au Sénégal où l’adoption des institutions publiques, politiques et judiciaires en somme la transposition du droit, au moment des indépendances, n’a pas bénéficié de l’exigence des populations, des intellectuels, des médias etc. à l’égard du comportement des dirigeants politiques.

Le cas de Monsieur Khalifa SALL, Maire de Dakar, une des plus grandes villes du continent africain, en est une parfaite illustration. Dans une procédure judiciaire, ce Maire a vu son cas faire l’objet d’une conférence de Presse du procureur de la république de Dakar, avant même sa convocation devant un magistrat ; contre toute attente, le parquet s’est autorisé à exposer les tenants et aboutissants d’une procédure judiciaire en requérant littéralement sa détention, ce qu’il obtiendra quelques jours plus tard.

D’une manière tout aussi surprenante, dans cette conférence de presse du 3 mars 2017 ce même procureur, motif pris de l’article 11 du Code de procédure pénale, s’est mis à expliquer publiquement un conflit privé, concomitamment ou successivement, au cas du Maire de Dakar. Il s’agissait d’une procédure pendante devant le juge sénégalais et concernant un litige privé entre un ancien premier ministre Monsieur Abdoul Mbaye et son ex-épouse.

Quelle que soit la valeur des faits exposés publiquement lors de cette conférence de presse, il était parfaitement loisible de se poser la question de sa nécessité, pourquoi d’ailleurs se limiter à ces deux seules affaires et non pas organiser des conférences semainières pour expliquer les litiges familiaux ? Ou ce litige-ci, s’agissant du différend conjugal précité, devait mobiliser l’énergie du parquet. L’article 11 du code de procédure pénale, qui justifierait une telle conférence ne parait pas pouvoir couvrir un tel comportement, car cette disposition ne permet nullement une telle conférence de presse sur une affaire privée.

Voilà ce que dit l’article 11 du code de procédure pénale

 « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. »

Le secret de l’instruction est donc total et ne doit subir aucune exception, sauf dans des cas spécifiquement prévus par la loi qui indique :

« Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. »

Sans faire l’exégèse on se rend compte immédiatement que cette disposition du code pénal sénégalais concerne la prévention d’un possible trouble à l’ordre public et même dans ce cas il existe des limitations strictes puisque l’exposition de faits devant éviter le trouble à l’ordre public doit être faite en rendant public :

« … des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause »

Peut-on raisonnablement penser que la conférence du parquet qui évoquait publiquement le cas de l’ancien premier ministre du Sénégal s’en tenait exclusivement à cette exigence ?

Je ne le pense pas.

En écoutant cette conférence de presse je n’ai pas senti le doute sur une éventuelle culpabilité de l’ancien premier ministre, en somme la présomption d’innocence ne semblait pas avoir droit au chapitre, c’est plutôt l’inverse qui prévalait car au terme de cette explication un sentiment de culpabilité se dessinait : c’est ce sentiment qui justifie le secret de l’instruction préalable à toute instruction sereine et un débat contradictoire.

Il faut être clair : les dispositions du droit sénégalais n’autorisent nullement ce type de conférence presse, c’est ce qui laisse penser que les sénégalais vivent sans s’en rendre compte une certaine insécurité, tenant d’ailleurs à plusieurs facteurs : Insécurité routière, juridique, climatique etc. etc.

Une délinquance de certaines autorités publiques exacerbe ce sentiment d’insécurité corollaire d’ailleurs à une nouvelle forme de banditisme qui lui-même génère encore plus d’insécurité.

Dans quel pays peut-on voir un membre du gouvernement menacer publiquement ou même sévir dans des domaines hors de sa compétence ?

C’est dans le même ordre d’idée qu’un organe de presse s’est vu menacé de fermeture au motif qu’il aurait permis une expression non souhaitée.

Les différents types d’insécurité au Sénégal sont pérennes car il y a comme un défaut d’organes régulateurs qui par leur seule existence, s’ils sont craints, occasionnent une auto-censure. Dans une société respectueuse de la sécurité des gens, chaque transgression trouve un remède y compris mécaniquement, autrement dit il n’est pas nécessaire que la victime ait à y remédier car le système contient son propre antidote ; c’est cette dernière qui fait défaut et le seul et unique moyen d’y remédier est l’éducation ; scolaire en premier lieu c’est cette éducation qui façonnait avant tout l’enfant : l’école coranique, le jardin d’enfant pour d’autres, puis vient l’école primaire, l’éducation scolaire s’adossait sur l’éducation populaire.

Ce que cet enseignement n’a pu faire, n’est rattrapable qu’à l’égard d’une autre génération car il est aussi difficile de rééduquer un adulte que de sortir un œuf d’une omelette.

Il faut donc sacrifier une génération entière, pour rattraper le cours de l’évolution.

L’aphonie et l’acceptation quasi systématique de tout ce que font les gouvernants, encouragé par l’aphonie, l’inertie, conduit ceux-ci- à dilapider, distribuer le pouvoir et les moyens de l’Etat sans aucune crainte et à raison.

Deux dispositions du droit sénégalais illustrent encore les raisons de l’insécurité à l’égard des opposants politiques, l’article 11 du Code de procédure pénale comme exposé ci-dessus et l’article 80 du Code pénal (1) dont la formulation laisse la place à toute interprétation possible, c’est dire le risque.

Au-delà des questions juridiques, l’insécurité se manifeste à tous les niveaux de la société : aller visiter un hôpital et vous comprendrez pourquoi aucun membre du gouvernement ni leur famille ne se risque à fréquenter ces mouroirs.

Une autre insécurité choquante est celle notée chez les enfants habillés en haillons dans les rues de Dakar ce que tout le monde voit et qui ne semble choquer personne, sauf lorsqu’il s’agit d’en titrer un argument politique.

Enfin l’ultime insécurité réside dans la protection due aux plus vulnérables parce que privés de liberté et sous la garde de l’état : les prisonniers. Car même en détention préventive c’est-à-dire bénéficiant de la présomption d’innocence ces derniers peuvent demeurer détenus pendant des années alors même qu’ils ne bénéficieront d’aucune indemnisation en cas de reconnaissance de leur innocence par l’instruction ou une juridiction de jugement. Qui disait que le niveau de démocratie d’une société se mesure dans l’état de ses prisonniers, faudrait-il y ajouter aussi dans l’état de désœuvrement de ces enfants mineurs.

Pape Ndiogou MBAYE

Docteur en Droit

Avocat au Barreau de PARIS

Le 25 avril 2017

1(1) Article 80 du Code pénal :

« Les autres manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à enfreindre les lois du pays, seront punis d’un emprisonnement de trois ans au moins et de cinq ans au plus et d’une amende de 1 00.000 à 1.500.000 francs. Les coupables pourront en outre être frappés d’interdiction de séjour. Tout individu qui aura reçu, accepté, sollicité ou agréé des dons, présents, subsides, offres, promesses, ou tous autres moyens, en vue de se livrer à une propagande de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à jeter le discrédit sur les institutions politiques ou leur fonctionnement, ou à inciter les citoyens à enfreindre les lois du pays, sera puni d’un emprisonnement d’un an au moins et de cinq ans au plus, et d’une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées sans que ladite amende puisse être inférieure à 100.000 francs. Les coupables pourront en outre être frappés d’interdiction de séjour. Il ne sera jamais fait restitution des choses reçues, ni de leur valeur ; elles seront confisquées au profit du Trésor. 

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