Lombalgie : Le mal de dos, une «épidémie» silencieuse au Sénégal

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Le mal de dos constitue un véritable problème de santé publique au Sénégal. Mais, sa prise en charge fait défaut dans les centres de soins primaires. Car, cette pathologie n’est pas une priorité pour le ministère de la Santé. Pourtant, d’après les neurochirurgiens, la lombalgie se soigne et il n’est pas toujours nécessaire de recourir à une intervention chirurgicale. D’après le professeur Youssoupha Sakho du service Neurochirurgie à l’hôpital Grand Yoff, seuls 5% des patients sont opérés.
Une douleur aigue, brusque qui vous oblige à interrompre un mouvement et vous tenir les reins doit alerter toute personne à l’écoute de son corps. Il s’agit d’une lombalgie c’est-à-dire «toutes les douleurs qui sont ressenties derrière le corps». Cette douleur déconcertante, qui peut même bloquer le patient dans ses activités, est une maladie presque banalisée alors qu’elle affecte une grande partie de la population : 40 à 50 % des consultations en Neuro­chi­rurgie. Une pathologie qui est souvent aussi source de confusion car en wolof, on parle de ndigue bouy metti, mais cette douleur n’est pas à confondre avec des maux de reins, comme disent souvent les profanes.
Aussi, la plupart des personnes qui en souffrent, expliquent leur mal par une simple fatigue, quand elles ne mettent pas en cause le mauvais œil du voisin. Ce qui fait que le patient arrive au médecin «après un long parcours thérapeutique». Le neurochirurgien, Pr Youssoupha Sakho, regrette un «itinéraire thérapeutique terrible» qui a beaucoup sollicité les bourses des patients sans que leur santé ne s’améliore. En effet, pour soulager leur mal, les patients se tournent d’abord vers le guérisseur du coin dont la thérapie se résume à quelques incantations et une corde à attacher autour des reins. En fait, «quel que soit le niveau intellectuel (du malade), de l’universitaire au paysan, le médecin reste le dernier recours». D’ail­leurs, convient le praticien «les patients nous arrivent toujours avec un fass autour des reins», cette ceinture mystique pour con­jurer le mauvais sort.
Par ailleurs, le spécialiste dit avoir noté une certaine pudeur chez les malades, en particulier les femmes, à parler de leur mal de dos. Est-ce parce que la ceinture lombaire a une connotation se­xuel­le, se demande Youssoupha Sakho sans trancher la question.

Une douleur déconcertante
S’y ajoute le nombre réduit de spécialistes pour la prise en charge du mal de dos qui est un réel problème de santé publique au point que l’Organisation mondiale de la santé a fait des années 2000 à 2010 «la décennie des os et des articulations». Même s’il n’y a pas d’évaluation au Sénégal, Pr Sakho indique que la lombalgie, identifiée sur la liste des maladies professionnelles, est responsable de beaucoup «d’absentéismes, de pertes. La lombalgie est la première cause d’invalidité chez les travailleurs et quand on arrête de travailler, il y a une perte sur le plan économique», analyse le neurochirurgien. En effet, chez certains patients lombalgiques, la douleur perdure et s’aggrave au point de limiter de façon considérable leurs activités quotidiennes. En effet, le traitement exige un repos strict. Mais de plus en plus, il est déconseillé de garder le lit sur une longue période : les spécialistes se sont rendu compte que ces malades préposés aux repos, passaient à la phase chronique de la lombalgie et «au-delà de trois mois, il est extrêmement difficile de prendre en charge la maladie», renseigne M. Sakho.
C’est qu’en cas de lombalgie, la douleur qui peut être handicapante siège au niveau de la région postérieure du corps. Or, la région lombaire joue la fonction d’amortisseur du corps. En effet, «toutes les contraintes et les sollicitations physiques qui s’exercent au niveau du corps sont amorties au niveau de la région lombaire». Cette région correspond à cinq vertèbres lombaires. Entre ces vertèbres, il existe une structure appelée dis­que, un genre «d’amortisseur hy­draulique» qui a une formation élastique. C’est ce disque qui con­fère une certaine mobilité à l’individu. «C’est ce qui fait que nous bougeons. S’il n’y avait pas ce disque, on serait rigide», explique Pr Yous­soupha Sakho, un geste descriptif à l’appui.
Par ailleurs, la douleur peut siéger dans la région lombaire basse et parfois descendre au niveau des jambes pour emprunter le territoire d’un nerf. A ce stade, la maladie se complique et on parle de lombosciatique. Seulement, la sciatique résulte d’un long passé lombalgique sans une prise en charge médicale appropriée précise Pr Sakho qui explicite : en cas de lombosciatique, c’est l’un des disques de la région lombaire qui sort de son emplacement et comprime le nerf qui va de la région basse du dos vers la jambe ; la douleur suit le trajet du nerf et peut aboutir à une hernie discale.

A 25 ans commence le vieillissement
Les lombalgies affectent une forte majorité de la population. C’est presque inéluctable de développer cette pathologie à partir de 25 ans, l’âge où commence le vieillissement. Le professeur Sakho indique qu’à partir de cet âge, le disque des personnes adultes ou âgées commence à se déshydrater. C’est la perte de l’eau contenue entre les disques logés dans la colonne vertébrale et en même temps de la qualité du rachis qui n’arrive plus à bien amortir les contraintes auxquelles il est soumis. «Ce qui fait que les personnes âgées sont beaucoup plus exposées que les jeunes.»
En plus du vieillissement naturel, il existe beaucoup de facteurs de risque souligne le neuropsychologue. Une personne qui ne pratique pas de sport et qui a une musculature très pauvre au niveau de la région abdominale ou lombaire sera beaucoup plus exposée à la hernie discale quand la structure centrale du disque cherche à sortir à travers l’anneau fibreux. Sont aussi exposées à l’hernie discale les personnes sédentaires, à la musculature pauvre au niveau du centre abdominal, les personnes qui ont des problèmes au niveau des articulations des hanches, des jambes ou des genoux. Dans ce derniers cas, les personnes concernées ont tendance à se déséquilibrer et toutes les contraintes reposent sur le rachis, créant des tensions sur la zone périphérique du disque
Le Professeur Sakho attire aussi l’attention des personnes obèses puisqu’elles ont tendance à développer la lombalgie, tout comme les gens qui travaillent debout ainsi que les militaires, les gendarmes, les sa­peurs-pompiers parce qu’ils font beaucoup de manutention. De même que les chauffeurs qui sont très exposés avec les vibrations qui sont très nocives aux disques intervertébraux. Aus­si, parmi les malades du Pr Sakho, on a identifié des marabouts «qui passent toute la nuit à réciter le Coran».
Le paradoxe souligne notre interlocuteur, c’est «qu’il y a souvent un contexte psychosocial particulier qui fait qu’on est beaucoup plus exposé par rapport à l’autre». Par exemple, dit-il, des études ont montré un taux de col blancs identique à celui des travailleurs de force. Raisons répertoriées ? La routine, un environnement de travail stressant, des situations de conflit familial,…

Des profils aussi multiples que les patients
Une autre catégorie affectée par les douleurs lombaires concerne les personnes diabétiques. Le mal se manifeste au niveau des jambes. C’est le profil de malades qui perdent leurs chaussures pendant la marche, sans s’en rendre compte comme chez les diabétiques qui perdent leur chaussure quand ils marchent.
Outre ces personnes, la femme en état de grossesse souffre le plus souvent de la lombalgie. Le rachis lombaire selon Youssoupha Sakho, ne joue plus son rôle d’amortisseur. Et dans ce cas, c’est difficile à traiter parce que les médicaments prescrits peuvent être toxiques pour le bébé. Le plus souvent, le praticien prescrit du paracétamol pour juste calmer la douleur et préconiser la rééducation. C’est pareil aussi pour les usagers des talons hauts et les pratiquants de certains sports comme l’équitation, le foot-ball, le basket, etc.
La lombalgie n’est pas seulement due à la détérioration des fibres. Les métastases du cancer de la prostate peuvent siéger au niveau du dos et s’exprimer sous forme de mal de dos. Ainsi, le neurochirurgien conseille, au-delà de 50 ans, aux personnes qui présentent des douleurs lombalgiques chroniques en dehors des radios, Irm (Ima­gerie à résonnance magnétique) de faire le marqueur biologique du cancer de la prostate, d’autant que la douleur est la même dans les deux cas. Mais, la lombalgie symptomatique, liée souvent à un cancer ou même à une infection comme la tuberculose vertébrale est une maladie totalement différente du mal de dos.

La Politique sanitaire au banc des accusés
Sur le plan médical, la lombalgie est une maladie difficile à évaluer du fait de sa complexité et d’un manque d’information médicale. Il n’y a ni de séminaires encore moins de formations continues sur cette maladie. «Après la thèse, les médecins sont ventilés et il n’y a pas de rencontres scientifiques», regrette Pr Sakho. Citant l’exemple des Etats-Unis, le neurochirurgien informe que les médecins sont obligés de faire des formations continues au risque de se faire retirer leur licence. S’y ajoute le manque de spécialistes, de sorte que le malade a souvent une fausse interprétation de son mal, étant donné que son premier interlocuteur est d’habitude généraliste qui le renvoie vers le spécialiste en recommandant une intervention chirurgicale.
Ainsi, déplore le neurochirurgien Sakho, la plupart des médecins, généralistes, ont des difficultés à prendre en charge la lombalgie. «Souvent, quand ils trouvent une anomalie dans l’interprétation du scanner, au lieu de prendre en charge le patient par un traitement ou par une rééducation fonctionnelle, ils réfèrent le malade chez le spécialiste en lui di­sant : «Oui c’est grave il te faut une opération» alors qu’un simple traitement médical ou une réadaptation, qui consiste à reprogrammer le malade dans ses habitudes suffit.»
D’ailleurs, seul 5% des malades souffrant de lombalgie sont opérés. C’est quand la douleur est chronique et quand on n’arrive plus à la calmer qu’il y a une intervention chirurgicale. Pour la sciatique, c’est d’abord un traitement médical d’attente et de rééducation. Mais le plus souvent, les patients ne donnent pas le film de leur scanner mais plutôt, le commentaire qui est souvent alarmant «or, dans 80% des cas, on n’a pas besoin d’opérer», insiste Pr Sakho.
Ce qui permet de soulager aussi le patient sur le plan financier. L’o­pération chirurgicale d’une lombalgie n’est pas accessible à toutes les bourses «parce que concernant une région liée au système nerveux». Le coût étant dans la fourchette de 500 mille francs à plus d’un million, selon les structures, publiques ou privées.
Une autre difficulté, ce type d’affection est traité en parent pauvre par la tutelle médicale. «Les affections non transmissibles ne constituent pas une priorité pour le ministère de la Santé au Sénégal» qui s’occupe beaucoup plus des maladies infectieuses, dénonce Youssoupha Sakho. Ces pathologies ne sont pas intégrées dans le système sanitaire. Très peu de gens accèdent aux soins. «Ce n’est que la partie visible de l’iceberg qui accède à nous. La majorité souffre en silence», confie Pr Sakho qui se désole d’une «épidémie silencieuse» fort ignorée par la politique sanitaire du Sénégal.
lequotidien.sn

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