L’université populaire de Tivaouane perd son raffiné recteur

Date:

Le Khalife général des tidjanes, Mouhamadou Mansour Sy, rappelé à Dieu samedi soir à Paris à l’âge de 87 ans, laisse à ses contemporains le souvenir d’un érudit, d’un esprit jovial et d’un homme de tempérament qui savait se montrer élégant. Dans sa mise comme dans son discours.

Au Sénégal, Elhadji Mansour Sy se donnait corps et âme pour prôner la vertu et aider à la pacification des relations entre compatriotes, de diverses contrées ou obédiences. Ses déplacements en Casamance (Sud) étaient ponctués de bénédictions et de prêches via des poèmes dans lesquels le marabout de Tivaouane faisait l’éloge de la paix.

A Ziguinchor, où il se rendait chaque année, il s’était illustré dans sa médiation réussie entre des protagonistes d’un conflit sur la direction de la grande de mosquée du quartier Niafoulène. Ce différend qui était vieux d’une trentaine d’années avait opposé différentes communautés locales qui n’arrivaient pas à s’accorder sur l’imamat, dans ce lieu de culte baptisé désormais « Mosquée de la paix ».

‘’Le Sénégal restera un pays de paix, au regard de tous les saints qui y reposent’’, rassurait Serigne Mansour Sy, en avril 2007, année de tumulte électoral. Sa figure de pacifiste est reconnue au-delà de la communauté islamique.

A Khombole, commune située à une trentaine de kilomètres de Tivaouane, sa résidence est contigüe à l’église de la ville, un voisinage qui n’a jamais fait de vague. Mieux, sa famille et ses talibés sont les voisins immédiats des paroissiens, souvent à l’émerveillement des hôtes de la cité.

Ces dernières années, son verbe de professeur, sa vigueur d’ancien soldat et son sourire de sage négro-africain suivaient son grand âge. Mouhamadou Mansour Sy était né le 15 août 1925 à Tivaouane, fils du Khalife Ababacar Sy et d’Aïssatou Seck, une léboue originaire de Mbao.

Sa santé avait commencé à lui jouer un tour et en 2008, le khalife fut interné en France. Depuis, ses apparitions étaient limitées notamment aux festivités du Maouloud (Gamou), commémorant la naissance du prophète Mohamed (PSL). Mais, il continuait d’honorer sa vocation d’enseignant, ainsi que sa réputation de patriarche.

Les musiciens sont les derniers à louer son savoir, ses connaissances et ses largesses. Serigne Mansour Sy faisait cadeau, des boubous tout neufs, ainsi que de l’argent à ses proches, ses fidèles ou à des anonymes, notamment les démunis.

De leur côté, les imams, les cheikhs ou les moqadems (dignitaires) sortaient comblés de leurs rencontres avec « le recteur de Tivaouane ». Ses maisons abritent des écoles islamiques. A Khombole, ses proches continuent d’assurer la formation de l’élite religieuse de cette ville du Baol.

Demi-frère du défunt, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al-Makhtoum, né le 29 décembre 1925 à Saint-Louis, rappelle souvent leur enfance studieuse à Tivaouane, auprès de leur père Serigne Babacar Sy, leur oncle Serigne Abdoul Aziz, ou leurs maîtres communs Serigne Alioune Guèye, Chaybatou Fall ou l’imam Moussa Niang.

A certaines occasions, Elhadji Abdoul Aziz Sy faisait ce témoignage sur son neveu qui allait lui succéder au califat général, en septembre 1997: ‘’Si le feu consumait tous nos écrits, Serigne Mansour serait en mesure de les réécrire’’.

Cet éloge de l’oncle rencontre également le surnom qui a été donné au neveu, « Borom Daraaji » ou « Borom Daraayi » (maître des écoles). Ses leçons de théologie étaient généralement tirées de l’œuvre monumentale son grand-père paternel, le mystique et savant El-Hadji Malick Sy (1855-1922) ou des enseignements de son père.

En 1998, le Khalife général des tidjanes, Serigne Mansour Sy, fut désigné, lors d’un rassemblement au Tchad, pour prononcer un discours historique en direction de la Oummah islamique portant sur le soufisme et sa contribution dans l’expansion de l’Islam.

‘’Ce fait s’inscrivait dans la particularité de Tivaouane d’avoir toujours été à l’avant-garde du processus de l’internationalisation de l’islam sénégalais’’, commentait Bacary Sambe, docteur en sciences politiques.

Par ailleurs, le défunt Serigne Mansour Sy était l’objet d’incessantes demandes d’audience. Il n’avait point de répit, tant il était sollicité pour des prières salvatrices par des âmes en peine qui faisaient le tour de ses nombreuses résidences pour le rencontrer, quitte à passer des jours et des nuits d’attente.

Les élèves et les étudiants, préparant examens et concours, faisaient la ronde. Tout comme les chômeurs et les candidats à l’émigration. Il y avait aussi des politiques et des hommes d’affaires. Sans compter, ceux qui étaient menacés dans leur emploi, entreprise ou ménage. Toutes ces personnes croyaient à la vertu de ses bénédictions dites « khaas » (exclusives). Les grands malades en espéraient autant.

Savant en théologie, l’ancien recteur de l’université populaire de Tivaouane, Serigne Mansour Sy, était toutefois considéré par ses fidèles et par ses non partisans comme « médiocre en politique ». En 2000, son soutien à Abdou Diouf, candidat malheureux de la présidentielle sénégalaise, lui avait valu des critiques irrévérencieuses.

Cependant, Farba Senghor, un fidèle compagnon d’Abdoulaye Wade, rappelle assez souvent les appuis financiers que le défunt marabout dédiait, par son intermédiaire, à Me Wade, alors chef l’opposition. Mansour Sy appelait par prémonition Me Wade « Monsieur le président », irritant quelque part l’ancien président Diouf.

Une longue amitié et un voisinage entre deux fermiers du dimanche à Mboro (département de Tivaouane) liaient l’avocat-politicien au marabout-agriculteur. Cette relation constituait, ces 12 dernières années, la trame du discours de l’ancien chef de l’État, Abdoulaye Wade, à l’occasion de ses visites auprès du défunt khalife.

Chez le chef religieux, la terre était aussi une passion. Exploitant agricole, Serigne Mansour Sy était également propriétaire immobilier. Un peu partout, notamment à Dakar, Pout et Tivaouane, on compte ses maisons. Parfois, ses prétentions foncières ont suscité la controverse, à l’image du conflit avec l’industriel nigérian Aliko Dangoté qui est pendant devant la justice.

En outre, la décoration de ses maisons est aussi bigarrée que celle de ses boubous, richement brodés dans un style unique en son genre. Ces apparats ainsi que ses limousines passaient aussi sous la critique. Ses disciples s’en défendaient, estimant que le reflet du patrimoine du guide religieux était le fruit de son travail, toute sa vie durant, et cette richesse n’entamait pas sa générosité.

A l’instar de ses pairs, Serigne Mansour Sy gardait au secret sa situation matrimoniale. Mais, ses troisièmes noces avec une magistrate sénégalaise et les quatrièmes avec l’ancien ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Sénégal, Fatimata Touré, avaient attiré les flashs sur la vie sentimentale du marabout.

Son beau-père, un ancien chef religieux ivoirien avait des relations avec la famille Sy de Tivaouane, depuis 1946, alors qu’il partait à La Mecque. A la maison, ‘’je suis l’épouse. Ça n’a rien à faire avec le travail, je fais tout ce qu’une épouse doit faire pour son mari’’, révélait Fatimata Touré Sy, en mars 2007.

Sur la frontière entre vie publique et vie privée, Mme Sy rassurait le lectorat de l’ancien magazine sénégalais Week-end: ‘’Je suis avec lui depuis un an (2006), mais vous ne m’avez pas vu m’afficher dans la presse avec lui, ou l’accompagner en train de faire le tour de la ville’’.

‘’Le chef religieux sait très bien ce que c’est qu’un ambassadeur. (…) Tout est question de hauteur de vue et le chef religieux a un grand niveau intellectuel quand même’’, confiait-elle, pour saluer chez le défunt Khalife général des tidjanes, son respect des convenances protocolaires.

De même, l’ancien haut fonctionnaire de la Banque islamique de développement (BID) et actuel député sénégalais, Mansour Sy Djamil, faisait également une fine fleur à son oncle paternel, dans un entretien avec Le Soleil (février 2001). Les deux hommes ont le même homonyme : Elhadji Mansour Sy Malick (1900-1957). Son complicité était faite aussi d’amour du savoir.

Dans le texte, le neveu déclarait : ‘’Permettez-moi avant toute chose d’apporter une précision sur la notion de Khalife. Je considère qu’aujourd’hui, dans la famille d’El Hadj Malick Sy (que Dieu soit satisfait de lui) il n’y a qu’un seul khalife qui est Serigne Mansour Sy +Boroom Daaradji+. Il l’est d’ailleurs pour l’ensemble des Tidjanes du Sénégal. Par conséquent, utiliser le terme de Khalife pour un autre peut prêter à confusion’’.

SAB/CTN

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

Macky Sall : « Je n’ai pas d’excuses à faire, puisque je n’ai commis aucune faute »

XALIMANEWS- Ceux qui ont critiqué la gestion de Macky...

Présidentielle 2024 : Le Mouvement des ABCDAIRES rejoint la coalition « Diomaye Président 2024

XALIMANEWS-À l'approche de la fin de la campagne présidentielle,...

Campagne électorale : Anta Babacar Ngom « tire à boulets rouges » sur Diomaye Faye et Sonko

XALIMANEWS-La présidente du mouvement Alternative pour la relève citoyenne...