MAMADOU DIOP DECROIX « Ce qui s’est réellement passé au Palais le 23 juin »

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Dans une interview accordée à Ichrono.info, Mamadou Diop « Decroix » revient sur les manifestations du 23 juin dernier et tente de minimiser les dérives du régime d’Abdoulaye Wade. Il assume son opposition au projet de loi sur ticket qui a poussé les populations à descendre dans la rue.

 

Comment avez-vous vécu la journée du 23 juin, avec toute la tension ambiante qu’il y avait à Dakar et dans tout le reste du pays ?

Je crois qu’avant tout, il faut d’abord relever que le Sénégal a atteint un niveau de citoyenneté appréciable lors de la journée du 23 juin. C’est ce que cela a montré. Que l’on soit du côté du camp présidentiel ou du côté de l’opposition, l’unanimité est qu’on a assisté à une manifestation citoyenne. Les gens n’étaient pas d’accord avec le projet de loi modifiant la Constitution et ils sont venus à l’Assemblée pour exprimer leur opposition. Cela montre que le Sénégal est un pays démocratique.

Quelle était votre position face à ce projet de loi ?

Vous savez, je suis du camp présidentiel, je ne peux pas parler comme ceux qui sont dans l’opposition. Mais en amont, nous avons donné notre avis au Président. Et selon cet avis, le projet devait être retiré.

Avez-vous donné votre avis au Président avant le 23 juin ?

Oui, bien-sûr

Quelle a été la réponse du Président ?

Il a répondu par la suite. Nous n’étions pas les seuls. Le président a écouté tout le monde et il a considéré que, sur cette base, il devait retirer ce projet.

Que s’est-il passé réellement pour que le Président attende la dernière minute pour retirer le projet de loi ? Ne serait-ce pas plutôt à cause de la pression sociale ? Est-ce qu’il vous a réellement écoutés ?

C’est tout en même temps. Il a écouté ses alliés. Il s’est rendu compte qu’il y avait parmi ses alliés certains qui ne partageaient pas la pertinence du projet de loi. Ensuite, il y a eu les députés de la majorité puisque certains ont estimé qu’il ne fallait pas voter cette loi. Il y a eu aussi les autorités religieuses qui sont intervenues pour conseiller le Président. Il faut aussi ajouter les manifestations des gens de la société civile ainsi que les amis du Sénégal. Le Président a écouté tout le monde. Donc, on ne peut pas dire que c’est un tel que le Président a écouté et pas un tel autre. C’est tout ce mouvement en même temps qui a influencé la décision du Président.

Mais, n’y aurait-il pas eu un entêtement de sa part ?

Où se situerait l’entêtement ? L’entêtement, ce serait de demander aux députés de voter la loi en dépit de tout.

Mais il a fallu attendre que le pays s’embrase…

Ce n’est pas une histoire d’embrasement même s’il y a eu une tension assez importante quand même.

Si vous êtes allé jusqu’à dire au Président qu’il fallait retirer cette loi, c’est parce que quelque chose dérangeait forcément. C’était quoi le véritable motif de votre point de vue ?

La réponse est la suivante. Dans le projet de loi, il y avait plusieurs éléments dont le ticket en tant que tel. Il y a aussi des éléments qui concernent les deux tours et la fameuse barre des 25%. Sur la question du ticket, il n’y a pas de débat. Il y a des pays qui pratiquent le ticket et qui s’en sorte comme les Etats-Unis. D’autres pays ne pratiquent pas le ticket et s’en sortent bien pour autant. Il y a le système anglo-saxon et le système français qui est un peu ce que nous faisons, une élection à deux tours. Celui qui a la majorité absolue passe et si ce n’est pas le cas, on va au deuxième tour. Chaque pays a des traditions. Nous, nous avons été une colonie française, donc nous avons des traditions politiques et institutionnelles de type français. Aux Etats-Unis, c’est un collège qui élit le Président. En 2000, on a constaté que c’était Al Gore qui avait remporté les élections au suffrage universel, mais qui avait été battu par Bush parce que simplement le collège était favorable à Bush. Ça, on ne le dit pas souvent. Si c’était au suffrage universel, Al Gore serait élu et non Bush. Et pourtant, on ne peut pas dire que les Etats-Unis ne sont pas un pays démocratique. Nous à AJ, nous ne sommes pas dans une dynamique de comparaison des systèmes. Chaque système a sa logique spécifique, sa pertinence interne. Le problème, pour nous, ne réside pas dans le ticket en tant que tel. Par contre, le choix du colistier pose problème. Dans le camp du Président, lorsqu’il faudra choisir un colistier, que va-t-il se passer auprès de tous ceux qui vont découvrir que ce ne sont pas eux ? C’est dangereux politiquement. C’est un inconnu qu’on ne peut pas passer sous silence. Le deuxième élément, c’est que ceux qui sont alliés à Wade comme nous, ne peuvent pas dire que Wade n’a qu’à mettre qui il veut comme colistier. Ensuite, à côté de ces dangers sur le ticket, vous avez la barre, le quart bloquant. On peut considérer qu’un parti qui est au pouvoir et qui va aux élections peut forcément avoir 25%. C’est un minimum. Pour nous, tous ceux qui espèrent devenir Président de la République un jour, vont voir leur espoir s’assombrir, s’éloigner du fait de cette disposition. Et quand vous enlevez l’espoir à quelqu’un, vous l’acculez. Ils sont nombreux au Sénégal qui pensent qu’ils peuvent être Président et il ne faut pas les acculer, car ils n’auront plus d’issue et ils vont faire face. Ce n’est pas une bonne chose pour la stabilité, et la tranquillité. Voila autant de raisons qui ont fait que nous avons demandé au Président de retirer le projet. Maintenant, il y a un autre élément qui s’y ajoute. C’est que pour nous, Wade peut être élu au terme des élections de 2012 et que donc, il n’y a pas lieu de changer de système. Maintenant, si le système doit changer, il y a la concertation.

Pour revenir à la journée du 23 juin, que répondez-vous aux proches de Wade qui disent que l’Ast (Alliance Sopi pour Toujours) n’a pas assez soutenu le Président ?

Vous ne verrez jamais une déclaration du Pds qui affirme ce que vous venez de dire. C’est tout à fait faux ce qu’on a dit.

Que s’est-il passé alors au Palais ?

C’est quelqu’un qui a pris part à la réunion qui a tenu ces propos. Vous ne verrez pas une seule déclaration du Pds qui affirme que les alliés de Wade ne l’ont pas soutenu. Ce qui s’est passé, c’est qu’à la réunion il y a quelqu’un qui s’est levé et qui a dit à Wade que « nous, tout ce que vous nous avez demandé, nous l’avons fait. Par contre, il y a ici des gens qui disent qu’ils vous soutiennent alors qu’il n’en est rien. » Ce quelqu’un là a relayé ce qu’il a dit dans la presse. Mais personne n’a réagit au cours de la réunion à ce qu’il a dit alors qu’on était une centaine.

Tout à l’heure vous avez évoqué la possible candidature de Wade. Mais ne pensez-vous pas qu’il soit fragilisé en l’état actuel des choses ?

Si on votait aujourd’hui, Wade gagnerait.

Sur quoi vous fondez-vous, concrètement et très objectivement ?

Si vous dites qu’il est fragilisé, c’est un simple avis. Il faut évacuer ces considérations, car ce n’est pas ça qui fait avancer les choses. La presse relaye les points de vue de l’opposition. L’opposition pense que le pouvoir est dans la rue et qu’il faut le ramasser. Elle se trompe très lourdement.

Mais jamais dans l’histoire politique du Sénégal le pouvoir n’a fait une reculade aussi spectaculaire…

Mais si, le projet de loi sur la provincialisation, il y a eu une levée de bouclier. Wade a dit, « Bon on n’a pas compris mon projet, je le retire. » Wade est un homme qui change d’avis chaque fois qu’il pense qu’il doit le faire. Il y a eu d’autres initiatives sur lesquelles il a reculé. Disons que la dernière en date est la plus retentissante du point de vue des manifestations. Et ça, c’est important parce que ce qui crée souvent les problèmes dans les pays c’est que les dirigeants sont rigides et pensent que s’ils reculent, l’Etat s’affaiblit et ils préfèrent le face-à-face qui n’est pas bon. Donc, Wade a quand même cette souplesse, à l’Oms on parlerait de flexibilité, qui fait que quand il y a des tensions, il peut prendre des initiatives qui peuvent désamorcer la crise.

Comment appréciez-vous le fait qu’il ne se soit pas adressé à la nation jusqu’à présent ?

Mais il apprécie. Aujourd’hui, que Wade parle au pays ou qu’il ne le fasse pas, qu’est ce que cela change ?

Beaucoup de choses…

Quoi par exemple ?

Du point de vue des principes, c’était la moindre des choses. Ne serait-ce que pour apaiser les tensions.

Mais les manifestations se sont apaisées sans qu’il ait pris la parole. Ce n’est pas parce que l’opposition veut que le Président parle qu’il doit le faire. Ce n’est pas inscrit dans la constitution ni dans aucune loi. On peut souhaiter que le Président s’exprime, mais lui peut penser que pour l’instant, il n’y a pas lieu de le faire. Il faut considérer que tel ou tel préalable doit être rempli pour qu’il s’adresse au pays. Mais les Sénégalais l’attendaient…

Il faut se méfier des discours, à mon avis. Par exemple moi j’étais pour qu’il parle, mais il faut comprendre que ce n’est pas un problème de principe. Ce n’est pas parce que je le veux que s’il ne le fait pas, c’est la guerre. Il n’y a pas de problème.

Que pensez-vous de la recevabilité de la candidature de Wade. Estimez-vous qu’il ait apporté une réponse digne et cohérente aux problèmes des Sénégalais ?

Il y a dans notre dispositif juridictionnel une disposition qui s’appelle le Conseil Constitutionnel. C’est l’organe qui est habilité à dire quelle est la candidature valide et quelle est la candidature qui ne l’est pas. Il n’appartient à personne de le faire et ça s’est passé comme ça depuis 50 ans. Donc pourquoi ne pas laisser les choses continuer comme ça ? J’ai entendu dire que certains vont faire comme le 23 juin à l’Assemblée nationale pour amener le Conseil à invalider la candidature de Wade. Ce n’est pas la voie. Moi, je peux comprendre que les gens aillent manifester devant l’Assemblée contre une loi. Je l’ai fait quand Abdou Diouf a coupé le salaire des fonctionnaires et mis en place le « Plan Sakho-Loum » en fin 1993. Lorsqu’en 1980, au début des programmes d’ajustement structurel, Senghor a enlevé la protection des travailleurs avec la loi 80-01, j’ai manifesté devant l’Assemblée nationale contre cette loi. Donc, il est juste, lorsqu’un citoyen n’est pas d’accord avec un projet de loi, qu’il le manifeste. Mais une fois que la loi est votée, on ne peut pas demander à des gens d’aller manifester contre l’application de cette loi. Le Conseil Constitutionnel a été installé par la constitution, avec ses missions. Alors si les gens disent qu’on va demander au conseil constitutionnel d’invalider telle ou telle candidature, ça c’est très sérieux comme problème. J’en appelle simplement à la sagesse et à la retenue. En termes d’explosion médiatique, on n’en était pas là en 1999. Il n’y avait qu’une seule télévision alors qu’aujourd’hui il y a plein de télés où on dit tout et le reste. J’entends même des gens appeler le peuple à l’insurrection. Le 23 juin, on a dit que Decroix a boudé le Conseil des ministres, que Djibo Ka a démissionné, que Karim Wade est au Bourget(Paris). On a entendu tout ça, alors que le principe fondamental de la déontologie enseigne que les faits sont sacrés et que le commentaire est libre. Ça, c’est une avancée extraordinaire de la presse et moi je suis bien placé pour le dire. Je ne sais pas le nombre de fréquences que j’ai attribué alors que moi j’ai fais 8 mois de prison pour avoir écrit un tract pour manifester mon désaccord avec Senghor. Les Blancs ont beaucoup de respect pour l’histoire. Ils ont des musées. Ici, on a tendance à oublier l’histoire. J’ai parlé d’explosion médiatique. C’est bien et ça doit continuer. Mais cette liberté doit être accompagnée de responsabilité. La presse organise des émissions de type monologue où seule l’opposition s’exprime. Le pouvoir n’est jamais associé.

Ne serait-ce pas plutôt le pouvoir qui refuse le débat ?

Mais ils savent bien à qui s’adresser s’ils veulent un interlocuteur. Pourquoi ne pas appeler ceux qui sont disposés à s’exprimer ? Dans le domaine de l’agriculture, de l’éducation, de la santé, il y a des avancées. En 1999-2000, on avait 6% de budget pour la santé alors que maintenant on en est à 11%. Dans ces différents domaines, on constate des avancées extraordinaires. Mais quel est le problème ? Mais il faut comprendre que le Sénégal vient de très loin. Nous sommes un pays sous-développé, un PMA (Pays moins avancé). Je crois que les espérances étaient démesurées par rapport à ce que nous pouvions avoir. On a nourri des espoirs et des espérances qui dépassaient les possibilités objectives du Sénégal. Ensuite, on a trouvé ici un héritage du Parti socialiste au pouvoir pendant 40 ans. En 1960, on avait le même Pib per capita que la Thaïlande, la Corée du sud, le Maroc, la Tunisie ou l’Indonésie. Ces pays là ont aujourd’hui des revenus qui dépassent de très loin celui du Sénégal. Il y a aussi les chocs exogènes. Pour un pays qui ne produit pas de pétrole, ça influe. Il y a la crise des denrées de base dans le monde. Pour un pays qui n’a pas réglé le problème de son agriculture, c’est très difficile. En 2009, il y a aussi la crise économique et financière à partir des Etats-Unis. Ça aussi, ça impacte. Enfin, on a aussi les propres turpitudes du régime. C’est-à-dire, les fautes que nous avons commises. Moi je crois qu’on gagnerait, même si on est contre Wade, à être beaucoup plus indulgent.

Une dernière question, avez-vous effectivement boudé le conseil des ministres du 23 juin ?

Non, tout ça est faux. Il n’y a pas eu de cas de mort, pas de bouderie, ni de démission. Enfin rien.

Que pensez-vous du retour d’Idrissa Seck ?

Oh, ça je n’en parle pas. (Il se lève)

Nettali.net

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