Mame Less Camara, analyste politique : «C’est carrément la fin !» de Wade

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Journaliste et analyste politique, Mame Less Camara est réputé avoir une lecture fine et pertinente des évènements. Après la sortie du ministre français Alain Juppé et celle de Robert Bourgi, il livre ici son analyse de cette nouvelle donne qui vient se greffer aux évènements survenus récemment au pays, notamment les convulsions politiques et sociales consécutives au projet de loi de Wade et aux émeutes contre les délestages. Pour M. Camara, ce que la France illustre surtout, c’est que Wade est fini ; il ne reste que les  échéances pour son départ.

Vous avez suivi la sortie de Alain Juppé et la réaction de Robert Bourgi concernant le Sénégal, le Président Wade et son fils Karim. Quelle analyse en faites-vous ? 
Alain Juppé, en renvoyant Wade au projet de loi, a fait une mise en garde assez inédite d’ailleurs, en rappelant à Wade qu’au moment où ils sont en train d’éteindre le feu là-bas, en Libye, les mêmes feux sont en train de mettre le feu chez lui. Et le plus inquiétant, c’est que les milieux extrêmement sensibles aux modifications de comportements de la France sont en train de se rebiffer. Robert Bourgi, de façon aussi discourtoise, confirme la journaliste en disant qu’à 3 heures du matin, Karim Wade l’a réveillé et que ce dernier était assez inquiet pour qu’il lui dise de ne pas s’affoler.

Est-ce à dire que la France a plus pris la mesure de la situation à partir du 23 juin que les autorités sénégalaises ? 
La France a eu une sorte de retard d’allumage, parce que les Etats-Unis se sont inquiétés beaucoup plus tôt de la situation et même l’Union européenne, paradoxalement, parce que la France en fait partie. Mais la France, vu ses relations spéciales avec le Sénégal n’est intervenue que lorsque, de façon manifeste, le gouvernement s’est retrouvé par terre, c’est-à-dire a retiré piteusement son projet de loi. Donc, la France arrive en retard, mais elle arrive pleine d’enseignements de ce qui s’est passé ; elle n’a pas anticipé ; elle prend acte des faits qui se sont déroulés et ces faits-là montrent que c’est carrément la fin ; on attend les échéances pour que Wade parte.

Certains milieux sénégalais ne manqueront pas de brandir le sentiment patriotique du genre refus d’ingérence des affaires intérieures du Sénégal. Cet argument, serait-il fondé si Karim Wade, lui-même, réclame l’intervention de la France ? 
Je ne pense pas que cet argument puisse émerger. La France n’a pas anticipé pour dire aux Sénégalais, «voilà comment il faut faire» ou «voilà quelle est ma position sur ce qui est en train de se dérouler». La France a attendu de voir là où souffle le vent de la volonté populaire sénégalaise pour tendre sa voile dans cette direction-là. La France est dans le sillage de l’opinion sénégalaise ; elle n’a pas essayé de la précéder pour lui dicter une voie. Ça, c’est la première chose. La deuxième, le contexte international, l’intervention de Wade à Benghazi pour morigéner Kadhafi, cela accuse tout sentiment d’ingérence française dans les affaires sénégalaises, puisque c’est dans un contexte d’ingérence sénégalaise dans les affaires libyennes à l’initiative de la France.

Et puis, le mouvement est tellement puissant qu’il ne peut se distraire de considérations patriotiques, nationalistes. Non ! Je pense que les Sénégalais sont preneurs de tout partenariat, de toute collaboration et de tout ce qui est susceptible de les aider dans le sens qu’ils ont choisi.

Aujourd’hui, quelle lecture doivent faire les autorités sénégalaises et quelle leçon doivent-elles tirer de cette réaction française ? 
D’abord, la France est une alliée en année quasiment électorale. Donc, tous les actes que la France va poser, notamment sous l’égide du Président français, sont orientés vers le renforcement de la position du candidat Sarkozy. Or, aujourd’hui, après ce qui s’est passé chez les Ivoiriens, voir des prémisses d’une nouvelle Côté d’Ivoire au Sénégal n’est pas dans le genre de ce qu’aimerait l’opinion française. Donc, il faut qu’on comprenne que la Côte d’Ivoire c’est déjà passé, et que les tenants de la déstabilisation et de la guerre civile ne sont pas en odeur de sainteté. Et quiconque va prendre le pouvoir doit également intégrer que la France négocie moins avec le pré-carré et qu’elle a les moyens d’entraîner certaines organisations comme les Nations unies et la Cedeao dans des actions militaires, s’il le faut, pour mettre un terme à certains dérives de type Gbagbo, quel que soit le pays dans lequel cela se produit. Que ce soit au Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire et même en Guinée-Bissau, il y a un processus de pacification, souvent sous l’égide de la France parce qu’elle y a des intérêts. Au Sénégal, elle a moins des intérêts matériels, mais elle y a des intérêts symboliques et stratégiques au plan militaire. Pour d’autres raisons, la Côte d’Ivoire étant un peu au centre n’a de frontières qu’avec deux pays, le Sénégal au Nord, la Guinée au Sud et à l’Est, ce pays-là, nécessairement est pris en charge par la géostratégie française, parce que ce qui s’y passe peut déstabiliser au moins deux pays sensibles : la Guinée et le Sénégal qui, quand même au plan stratégique et au plan symbolique de la politique est important pour la France.

La sortie des autorités françaises vient au moment où le président de la République qui a reçu le Groupe des 6 est disposé à dialoguer avec l’opposition. Est-ce que cette réaction ne le met pas dans une posture encore plus fragile ? 
Il est sûr que Wade a besoin de se ré-enraciner, de trouver des points d’appui au niveau national. Au niveau national, il a perdu, en l’espace d’un mois, une bataille importante. Son vo­yage à Benghazi a été désavoué par l’Union africaine et maintenant, la France que Wade croyait arranger entre guillemets – Alain Juppé a estimé qu’il est un ami qui aide la France, no­tam­ment en Libye -, est aujourd’hui en train de le refuser. C’est simple, je pense quand même. Déjà c’est un homme qui est en fin de parcours, sur qui il faut miser au plan interne. C’est comme disait le Général de Gaul­le : les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.

propos recueillis par soro diop

lequotidien.sn

 

1 COMMENTAIRE

  1. lui même, il le sait. il n’ya pas plus de 100.000 personnes ki l’aiment dans ce pays. c’est le prési le plus détesté dans toute l’histoire politique du sénégal.

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