MBANE – Projet d’acquisition de 4 132 ha par la Css : Mimran veut se sucrer sur 10 villages

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Il y a de l’électricité dans l’air dans la communauté rurale de Mbane. Dans la dynamique de la Goana, la Css a initié un projet Kt 150 pour produire du sucre à suffisance. Mais le site choisi abrite une dizaine de villages. Malgré les actions sociales que la Css mène pour les populations locales, ces dernières n’entendent pas se faire déplacer au risque de perdre habitations, zone de pâturage et champs.

La coutume voudrait que l’habitat repousse les champs et non le contraire. Tel n’est pas le cas dans la communauté rurale de Mbane où un conflit risque d’opposer les populations locales à la Compagnie sucrière sénégalaise (Css). Les premières sont invitées à quitter leurs terres natales pour céder la place à un nouveau projet de canne à sucre appelé Kt 150. Celui-ci doit occuper une superficie de 4 312 ha. La zone demandée par la Compagnie sucrière abrite 10 des 41 villages et hameaux de la communauté rurale de Mbane. Il s’agit des villages de : Pathé Baddio, Wouro Ala­yin­dé, Bardial Diassarnabé, Gadou Sidy Mokhtar, Wouro Abdoul Ndounga, Pathé Baddio Wouro Ndiougna, Pathé Baddio Mangoné Diop, Pathé Baddio Thierno Aly, Mourseyni 1 et Mousseyni 2.

La Css souhaite le déguerpissement de ces villages pour mettre en œuvre ce projet qui permettra au Sénégal d’être autosuffisant en sucre, en produisant 150 000 tonnes par an.

Mais la réalisation de ce projet bute sur le niet catégorique des autorités locales. Dans une correspondance datée du 12 avril 2011, le président du Conseil rural, Aliou Diack, fait état au Directeur général de la Css, André Froissard, de la position de son institution. «Le Conseil rural, après avoir délibéré sur votre demande, n’a pas eu convenance à lui réserver un avis favorable. Il a plutôt réitéré sa position de ne pas autoriser de déguerpissement de villages, surtout quand il s’agit, comme c’est le cas présentement, de villages centenaires, construits en dur avec cimetières, écoles et mosquées», mentionne Aliou Diack, en réponse à la demande de la Css en date du 14 mars dernier.

Le plus grand village qui est menacé, Pathé Baddio, abrite même des bureaux de vote, un poste de santé. Ici, il n’est pas question pour les populations de troquer leur village contre des indemnités de la Css. Et le septuagénaire El hadji Malick Mbatti Sow est formel : «Nous sommes nés ici. Celui qui veut nous déguerpir devra passer sur nos cadavres.» Dans ce village, les délimitations de la Compagnie sucrière sont dans les concessions.

PAS QUESTION DE TROQUER LES TERRES
Selon le vieux Mbatti Sow, ses collègues éleveurs sont déterminés à ne pas transhumer vers des prairies  arides. «La Css est venue ici pour dire qu’elle est prête à indemniser les familles. Mais nous avons refusé. Cet argent ne nous intéresse pas», affirme le vieux Mbatti Sow.

Assis sous une chaumière non loin de la Grande mosquée construite en dur, l’imam Mamadou Aly Sow se dit prêt à en découdre avec l’Etat et la Css. «Mon père est enterré à côté de la mosquée. Nos troupeaux sont là. Au nom de quoi allons-nous déguerpir pour céder la place au sucre. A partir de ce moment, nous aurons un seul choix : transhumer ou regarder nos troupeaux trépasser. C’est inacceptable !», explique-t-il.

Ce village est en train de se transformer en cité religieuse. Un gamou initié par l’imam Mamadou Aly Sow y gagne en affluence chaque année.

L’ancien président de la communauté rurale de Mbane, Amadou Ciré Diallo, indexe l’actuel Conseil rural : «On a laissé la Css faire sa propre délimitation. Evidemment, elle a délimité la zone qui l’arrange. Or, c’était à la commission domaniale de la faire.» Mais l’ancien Pcr et non moins sénateur exprime tout son soutien à ses parents villageois : «La Css doit comprendre que les temps ont changé. On ne peut plus déguerpir les populations n’importe comment.»

Le sénateur Diallo d’assurer qu’il ne négociera avec la société de Jean Claude Mimran que s’il s’agit de discuter d’une cité de relogement des villageois. Mamadou Ciré Diallo estime tout de même qu’on doit «moderniser l’élevage». Ce qui fera que les éleveurs n’auront plus besoin d’un aussi vaste parcours du bétail pour entretenir leur troupeau.

Le sous-préfet de l’arrondissement de Mbane, Talla Ndiaye, tient à rassurer ses administrés : «Il n’est pas question de déplacer qui que ce soit.»
Mais pourquoi la Css oriente-t-elle ses appétits fonciers vers ces villages précités dont la vocation, selon la loi sur le domaine nationale, est l’habitat et l’agriculture ?

proximité avec
le projet du bardial
Cette partie de la communauté rurale de Mbane est plate, à l’instar du bassin du Fleuve Sénégal. Elle ne nécessite guère de terrassement. Le sol ferrugineux, rouge brun, selon une étude sur les sols sénégalais réalisée en 1965 par l’Institut de recherches pour le développement (Ird, ex-Orstrom). Malgré la forte érosion éolienne qui sévit dans la région de Saint-Louis, ces terres riches en matières organiques peuvent  entretenir des plantes de canne à sucre. Cette disposition pédologique existe ailleurs dans le Walo comme l’a démontré une étude menée en 2007 par la Fao en partenariat avec le Centre de suivi écologique (Cse) intitulé : Les régions agricoles du Sénégal.
Mais le choix de ce site est surtout motivé par sa proximité avec le projet du Bardial. En effet, avec son projet Kt 150, la Css n’aura qu’à prolonger son réseau de drainage des eaux qui arrose ses plantations qui entourent le village de Ndombo. D’autant que la société veut s’essayer au système goutte-à-goutte. La Taouey, ce bras qui relie le Lac de Guiers au Fleuve Sénégal, n’est pas si loin.
Mais d’aucuns se posent encore des questions sur les réelles motivations de la Compagnie sucrière. Cette  société peine toujours à exploiter toutes les réserves dont elle dispose. D’ailleurs le Conseil rural n’a pas manqué de s’en étonner dans sa missive-réponse. «Sur une surface de 3 113 ha 29 a 10 ca dont vous disposez dans le Bardial, seuls 750 ha sont présentement exploités par votre société, le reste étant encore en jachère», lui rappelle Aliou Diack.

LA MENACE DANGOTE
Toutefois, les autorités locales ouvrent leurs portes à la Css afin que cette société puisse choisir un autre site exploitable qui éviterait le déguerpissement à ces villageois. «La Css dispose de moyens financiers qui lui permettent d’emmener l’eau à des dizaines de kilomètres. Elle peut donc investir sur ces terres éloignées du Lac de Guiers», dit Aliou Diack.

Jean Claude Mimran valorise actuellement 8 800 ha dans le département de Dagana pour produire 100 000 tonnes de sucre. Une bonne partie de cet espace a été obtenue grâce à un bail emphytéotique. Au-delà du monopole sur le sucre, l’entreprise est liée à l’Etat du Sénégal par un accord d’exploitation agricole.

Mais ce n’est pas seulement le sucre qui ravive les appétits fonciers de la Css. En effet, cette boîte dispose d’une distillerie qui lui permet de produire 8 à 12 millions de litres d’alcool pur à partir de la mélasse. La transformation de cet alcool en éthanol est à l’étude. En attendant, l’unité de distillerie est orientée vers l’alcool de pharmacie, de parfumerie, etc.
Par ailleurs, d’aucuns lient le choix de cette zone par la Css à une volonté de barrer la route à Dangote industries. Cette société nigériane a, cette année, déjà demandé 15 000 ha au Conseil rural de Mbane. «Dangote veut d’ailleurs le même site que la Css. Mais sa demande n’est pas encore étudiée», révèle Aliou Diack. Cette entreprise entend se lancer dans la production de biocarburants et de sucre sur les terres de Mbane. Les enjeux sont donc capitalistes.

Par Birame FAYE Envoyé spécial à Mbane
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