Menaces sur le portefeuille de projets de la Banque Mondiale au Sénégal et sur le PSE

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L’attitude discourtoise du Ministre des Finances durant la revue du portefeuille de projets de la Banque Mondiale

Pour rappel, dans le cadre de sa coopération économique et financière avec notre pays, la Banque Mondiale dispose au Sénégal, d’un portefeuille de projets composé présentement de : 15 Projets Nationaux d’un montant global de 900 millions de dollar US, de 04 Projets Régionaux d’un montant global de 149 millions de dollar US, de 11 Dons d’un montant global de 101 millions de dollar US et de 02 Garanties. Ces projets interviennent essentiellement dans des secteurs aussi stratégiques que l’Education, la Santé, l’Agriculture, le Transport et les Infrastructures, l’Energie, l’Eau et l’Assainissement, etc.

 

Comme le prévoient les dispositions statutaires régissant la coopération entre le Sénégal et la Banque Mondiale, une revue du portefeuille de projets financés par la Banque Mondiale est conjointement organisée chaque année, pour évaluer les performances du portefeuille.

Pour l’année 2015, la revue du portefeuille s’est tenue le 7 mai à Radisson Blu Hôtel de Dakar, autour du thème «  l’articulation entre les projets et le PSE », en présence de Madame Vera SONGWE, la Directrice des Opérations de la Banque Mondiale pour le Sénégal, le Cap Vert, la Guinée Bissau, la Mauritanie et la Gambie, du Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, du Ministre de la Pêche et de l’Economie Maritime, des représentants des Ministères, des Coordonnateurs et Experts des Unités de gestion des projets et programmes financés par la Banque Mondiale et de nombreux invités dont les autres bailleurs de fonds du Sénégal.

Sollicitée depuis des mois par la Banque Mondiale, cette revue a fait, cette année, l’objet de plusieurs reports (sept exactement) de la part du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, qui a prétexté, à chaque fois, un calendrier chargé du Ministre Amadou BA. Il a fallu une protestation, sur un ton certes diplomatique, des autorités de la mission résidente de la Banque Mondiale, pour que le Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan consente enfin à convoquer la revue pour le 7 mai 2015.

 

A titre comparatif, on peut noter que la revue du portefeuille des projets de la Banque Mondiale est un évènement diplomatique qui a toujours occupé une place particulière dans les activités des anciens Ministres de l’Economie et des Finances. Ces derniers s’arrangeaient toujours à l’inscrire en lettres d’or dans leurs calendriers. C’est ainsi que de Abdoulaye DIOP à Amadou KANE, toutes les revues se sont pratiquement tenues à bonne date. Plus est, par respect certainement au statut diplomatique de la Directrice des Opérations de la Banque Mondiale et à la contribution de cette institution dans notre pays, ces Ministres prenaient amplement le temps d’assister à la revue jusqu’à la fin. Le Ministre Amadou BA lui, non content d’arriver très en retard à Radisson Blu hôtel le jour de la revue, s’est aussitôt retiré de la rencontre après avoir livré un discours à peine maîtrisé, prétextant un appel du Chef de l’Etat Macky SALL.

 

Plus grave, il est suivi quelques minutes plus tard par la brochette de Ministres de la République qui était venue assister à la revue. Résultat, ils ont laissé dans la salle, une Directrice des Opérations de la Banque Mondiale visiblement dépitée. Heureusement, la présence de Birima MANGARA, le Ministre du budget, a contribué à atténuer un tant soi peu le comportement discourtois de nos Ministres.

 

Principale information de la revue : le Sénégal est le dernier de la classe en termes de taux de décaissement  

Le principal enseignement issu de l’édition 2015 de la revue du portefeuille de projets de la Banque Mondiale et qui a été livré par Madame Vera SONGWE, Directrice des Opérations de la Banque Mondiale, a été l’absence de performance de notre pays en matière de décaissement et d’absorption des crédits mis à sa disposition. Sur ce plan, le Sénégal est pratiquement le dernier de la classe comparé à plusieurs pays africains tels que la Côte d’ivoire, le Ghana, le Cap Vert, etc.  A titre illustratif, le taux de décaissement annuel du Sénégal est de 22,7% au 30 avril 2015 tandis qu’il est par exemple pour la Côte d’ivoire de 45,6%. L’ensemble des engagements du Sénégal s’élève à 1,15 milliards de dollars US dont plus 719 millions de dollars US non décaissés, soit 65 % du portefeuille global (fonds des Projets Nationaux, Régionaux et Dons réunis).

La comparaison avec notre voisin ivoirien a été si humiliante pour le Ministre Amadou BA qui en a piqué une réelle honte, qu’il a essayé en vain de nier la réalité des chiffres publiés par la Banque Mondiale.

Ce manque de performance dans le décaissement s’explique à la fois par la lourdeur des procédures nationales de passation des marchés et par l’absence de diligence et de réactivité de nos administrations publiques. Par exemple, un dossier de passation des marchés introduit par les Unités de gestion des projets et programme dans les cabinets ministériels peut rester plus de 3 mois dans le bureau du Ministre avant d’être signé.

Le démantèlement des Unités de gestion des projets de la Banque Mondiale : seule priorité du Ministère des Finances après la revue

L’annonce plus que alarmante faite par la Directrice des Opérations de la Banque Mondiale devant un parterre de responsables concernant notre faible capacité à drainer les capitaux mis à notre disposition pour financer notre développement, devrait inciter à l’introspection et à la diligence, n’importe quel Ministre de l’Economie ayant le sens élevé des responsabilités et n’importe quelle administration financière digne de ce nom. Au lieu de mettre en place aussitôt des actions correctives visant à aider le Sénégal a booster son taux d’absorption des crédits comme l’a recommandé la Banque Mondiale qui a fixé le ratio de décaissement à atteindre en fin juin 2015 à 30% au moins, le Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan s’est donné comme seule priorité, au sortir de la revue, de charcuter les rémunérations du personnel clé des Unités de gestion des projets et programmes financés par la Banque Mondiale, comme le démontre la lettre-circulaire préparée dans les officines dudit Ministère et cosignées par Monsieur Amadou BA et Madame Vera SONGWE.

 

Dans cette lettre-circulaire en date du mois de mai 2015, le Ministre Amadou BA a imposé, sans concertation avec les acteurs concernés et sans partir de leurs niveaux de revenus actuels pour faire les ajustements souhaités, une nouvelle grille de rémunération au personnel clé des Unités de gestion des projets et programmes financés par la Banque Mondiale. Conséquence : les rémunérations de ces experts sont par exemple passées de 1 500 000 F CFA net d’impôt à des montants variant entre 500 000 FCFA à 600 000 F CFA net. Pour faire passer la pilule, ils ont maintenu intactes, les rémunérations des Coordonnateurs de projets, histoire de diviser le personnel pour mieux régner.

En posant cet acte abject, en détriment d’honnêtes pères de familles qui ont le seul tort de  disposer d’une expertise avérée, sédimentée par plusieurs années d’expérience (25 ans pour certains), et de la mettre à la disposition de leur pays par le truchement des projets financés par la Banque Mondiale, le Ministre des Finances, Amadou Ba, vient en même temps, sans en mesurer les conséquences parce que manipulé par des personnes aigries et jalouses, de porter un coup fatal aussi bien à la qualité du portefeuille de projets de la Banque Mondiale qu’au PSE.

Il vient également de mettre en pratique un vieux et funeste projet de démantèlement des Unités de gestion des projets et programmes financées par la Banque Mondiale, dont l’objectif unique est de pousser les contractuels des projets vers le départ, afin qu’ils cèdent les places aux fonctionnaires.

En effet, la différence de statut entre le personnel des Unités de gestion des projets et programmes financés par la Banque Mondiale, qui sont des consultants recrutés par appel à compétition et rémunérés en conséquence, et celui des fonctionnaires de l’Etat, a longtemps constitué une source de frustration et de jalousie.

Le projet de démantèlement des Unités de gestion des projets et programmes financés par la Banque Mondiale était jusqu’ici à l’état de sentiments nourris intérieurement (parfois extérieurement) par quelques fonctionnaires des Ministères techniques et du Ministère de l’Economie et des Finances. Cependant, il a commencé à être institutionnalisé avec le retour aux affaires d’un certain Lat DIOP à la Direction de l’Investissement (DI). Cet agent de l’ancienne Direction de la Dette et de l’Investissement (DDI) devenue Direction de l’Investissement (DI) à la faveur d’une réforme, a longtemps connu la traversée du désert, après avoir été pinglé pour des faits de corruption sur dénonciation des responsables des projets de l’Union Européenne, ce qui a amené Abdoulaye DIOP, le Ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, à le révoquer et à recommander qu’on ne lui confie plus jamais des responsabilités.

Lat DIOP a mis à profit sa traversée du désert pour mener des activités politiques à côté du candidat Macky SALL, ce qui lui a valu, dès l’avènement de l’APR au pouvoir, d’être récompensé par une nomination à la tête de la Direction de l’Investissement, la structure ordonnatrice des dépenses de l’Etat, au sein du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan.

C’est ce personnage controversé à tout point de vue (y compris familial), incompétent et impulsif de tempérament, qui fait présentement la pluie et le beau temps au Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, écrasant tout sur son passage, y compris ses propres collègues, ses supérieurs hiérarchiques et le Ministre lui-même, qui ne cessent de le ménager à leur corps défendant, sous le simple motif qu’il est un protégé de la première Dame, Marième Faye SALL.

Depuis sa prise de fonction, Monsieur Lat DIOP s’est signalé – certainement par esprit de vengeance envers ses anciens collègues dont beaucoup ont entretemps rejoint les projets de la Banque Mondiale pour se faire une santé financière avant que ne sonne la retraite – par les actes qu’ils posent, comme le Cheval de Troie des partisans du démantèlement des Unités de gestion des projets et programmes financés par la Banque Mondiale.

Pour mener à bien son projet sans être démasqué, il a d’abord commencé par faire comprendre au Ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Amadou KANE, que le personnel des Unités de gestion des projets ne s’acquitte pas de ses obligations fiscales prévues par le Code Général des Impôts du Sénégal. Ce faisant, il a obtenu de lui, la signature d’une lettre en date du mois de juin 2013, adressée au Coordonnateurs des Unités de projets et programmes pour leur demander de se conformer à leurs obligations fiscales conformément au Code général des Impôts.

En réponse à cette lettre, les Unités de gestion des projets ont fait comprendre au Ministre qu’elles sont bien en conformité avec la réglementation au regard de la nature des contrats qu’elles ont signés et qui sont pour beaucoup des contrats de prestation de service, et qu’elles payent leurs impôts sur la base de ces contrats.

Face à ce premier revers, Lat DIOP n’a pas hésité à revenir à la charge, en changeant cette fois-ci de fusil d’épaule. C’est ainsi qu’il a fait signé au Secrétaire Général du Ministère de l’Economie et des Finances, à l’époque Papa Ousmane GUEYE, actuel Directeur Général des Douanes, une autre correspondance en date d’octobre 2014, adressée toujours aux Coordonnateurs des Unités de gestion des projets et programmes, pour leur demander cette fois-ci, de prendre les dispositions nécessaires pour établir des contrats de travail à faire viser par l’Inspection Régional du Travail (IRT) avant fin février 2015, sans quoi leur personnel ne sera plus payé.

Dès réception de cette correspondance suivie du modèle de contrat de travail validé par le Directeur de l’Investissement et visé par l’Inspection Régional du Travail (IRT), les Unités de gestion de projets se sont exécutés.  Mais, comme l’exigent les Accords de financements signés entre le Gouvernement du Sénégal et la Banque Mondiale et qui régissent le fonctionnement des projets, les Coordonnateurs des Unités de gestion des projets et programmes ont, chacun en ce qui le concerne, envoyé ce modèle de contrat de travail à leurs TTL (Chargés de projets) pour avis de non objection (ANO). En réponse, ces derniers l’ont tous désapprouvé parce que n’étant pas conforme au modèle de contrat de  prestation de service exigé par la Banque Mondiale dans le cadre des projets qu’elle finance.

Ce nouveau revers des autorités du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan a été suivi par le non paiement des salaires du personnel des Unités de gestion des projets et programmes pendant plusieurs mois durant. Il a fallu l’intervention des Ministres de tutelle technique de ces projets et programmes, qui ont personnellement saisi leur homologue, Monsieur Amadou BA, pour que ces blocages de salaire soient levés.

L’immixtion de ses homologues Ministres dans ce dossier, a été malheureusement vécue par Monsieur Amadou BA comme un affront, d’autant plus que ses collaborateurs lui ont fait comprendre que les Unités de gestion des projets et programmes ont commis un grave crime de lèse-majesté à son endroit en décidant de le défier au lieu de se conformer à ses directives.

Il a dès lors décidé de passer en force, en imposant manu militari au personnel des Unités de gestion de projets et programmes et dans la précipitation la plus totale, une grille de rémunération qui sonne comme une punition. La manœuvre, qui était censée  régler au départ un problème d’impôts sur le revenu, s’est bizarrement traduite à l’arrivée par une diminution drastique des rémunérations du personnel des Unités de gestion de projets et programmes.

La Banque Mondiale, quant elle, épuisée par les nombreuses rencontres tenues autour de ce dossier, a fini par céder devant les pressions du Ministre des Finances, surtout qu’elle a réussi à conserver son modèle de contrat de prestation de service, qui reste applicable avec la nouvelle grille de rémunération. En plus, sa Directrice des Opérations qui est en fin de mandat – elle quitte ses fonctions au mois de juin 2015 – n’a aucun  mal à signer ce document, quitte à laisser cette bombe à retardement à son successeur.

Une véritable injustice sociale

La réduction sans motif valable des niveaux de rémunération du personnel des Unités de gestion des projets et programmes, sans concertation avec les personnes concernées, est une véritable injustice sociale.

 

D’abord, parce que malgré leurs niveaux de rémunération, qui peuvent paraître élevés pour certains, les experts des Unités de projets et programmes restent globalement une catégorie lésée et au statut plus que précaire. Contrairement aux fonctionnaires, ils n’ont pas droit ni à une pension de retraire ni à un quelconque autre avantage. Pis, ils ne peuvent pas prétendre à un prêt bancaire conséquent à cause de la durée de leurs contrats qui est généralement d’un an renouvelable après une évaluation annuelle de leurs performances. Pire, il est stipulé dans les contrats de prestation de service qu’ils signent, que leur employeur (l’Etat du Sénégal) peut mettre fin à tout moment à ceux-ci. Tout ceci rend difficile voire impossible, toute projection dans le futur sur des bases fortes et suffisantes.

 

C’est aussi une injustice sociale dans un pays où certains corps de l’Etat tels que les Ministres, les députés, les conseillers économique et social ont des niveaux de rémunération plus élevés que ceux des experts des Unités de gestion des projets et programmes sans être stigmatisés et inquiétés. Sont-ils plus méritants que ces sénégalais recrutés par appel d’offre national et qui mettent sans réserve leur expertise à la disposition de leur pays ?

 

Menaces sur le PSE

Le démantèlement des Unités de gestion des projets et programmes est un projet particulièrement alarmant, en vertu des menaces graves qu’il fait peser, aussi bien sur l’efficacité de notre coopération économique et financière avec la Banque Mondiale que sur la réussite du Plan Sénégal Emergent (PSE) cher au Président Macky SALL.

Le nivellement par le bas qui en est l’instrument de mise en œuvre et qui consiste à vouloir rapprocher ou aligner les rémunérations des Unités de gestion des projets et programme sur celles des fonctionnaires, revient à saper dans notre société, les vertus du mérite et de la saine compétition, dont les projets financés par la Banque Mondiale ont toujours été l’un des cadres d’expression les plus patents. Or, il n’y a pas d’émergence possible sans émulation, sans le culte de l’excellence et du mérite.

 

Certes, les Unités des projets et programmes n’ont pas de syndicats capables de menacer de leurs foudres les autorités du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, mais si un tel projet de démantèlement est maintenu, il y a fort à parier qu’elles vont se vider de leurs ressources humaines. Certains vont en profiter pour se consacrer à leurs propres affaires ou rejoindre des projets financés par d’autres bailleurs. Beaucoup d’experts, surtout les profils les plus rares et les plus demandés sur le marché du travail (passation des marchés, gestion financière, suivi-évaluation, experts techniques particulières, etc.), n’auront aucun mal, le cas échéant, à aller vendre leur expertise ailleurs, y compris dans des pays de la sous-région moins pourvus en ressources humaines de qualité. Ils seront certainement remplacés par des fonctionnaires certainement moins compétents et pour certains plus poreux à la corruption et à être de connivence avec les DAGE des Ministères. Notre taux d’absorption des crédits, déjà largement décrié à cause de sa faiblesse, risque dans ce cas de connaître une chute encore plus libre. Quel sera l’avenir du PSE face à de telles perspectives ?

Hamid Ka

Expert Consultant

[email protected]

 

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