«Monsieur les Présidents», pardonnez une petite larme !

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Nous enterrons ce lundi 24 avril 2017 notre ami Jean Miot. Ce sera dans son village natal, Saint Dénis de Jouhet, dans l’Indre, plus précisément dans le Berry, une province dans le centre de la France. La cérémonie se déroulera dans une certaine intimité entre la famille et quelques proches.
La mort a de terrible qu’elle laisse beaucoup de choses en suspens. Une discussion qui ne finira pas, une confidence qui ne sera plus faite, une relation dont elle met un terme. Jean Miot, comme beaucoup d’entre nous ont eu à le rappeler, est un aîné, une référence, un homme de courage et de défis, un monument de la presse française. Il est rare de voir une carrière comme celle de l’ami Miot. Journaliste, patron du Figaro et de l’Agence France presse et figure de proue du groupe Hersent. Sa belle carrière est le témoignage de sa détermination dans le travail, son militantisme convaincu pour l’écrit, son amour du bon et du juste verbe, son implication en amitié. Cette brillantissime carrière, Jean Miot n’y était point prédestiné. Il aimait à nous conter ses pérégrinations, jeune enfant, gambadant derrière son père accordéoniste qui allait de village en village et de maison en maison pour égayer les gens. Certains diraient qu’il n’était parti de rien. Jean Miot faisait partie de ces miraculés du destin et cela lui avait forgé une humilité et un sens du partage et de la solidarité. Le Président Abdou Diouf avait eu à le décorer dans l’Ordre national du Lion du Sénégal, pour saluer ses œuvres caritatives en direction des populations démunies du Sénégal. C’était du temps où Miot faisait les beaux jours du groupe Hersent. Il a toujours montré sa fierté pour cette décoration sénégalaise. Il a eu tous les honneurs et toutes les casquettes. Nous l’appelions «Monsieur les Présidents», tant il était sollicité pour diriger tout ce qui se faisait comme belle initiative dans le monde des médias en France et dans le monde francophone.
Jean Miot est ce grand-frère, tel un ange-gardien, qui oriente la jeune garde. Il le montrait à chaque occasion et en toute circonstance. Devant une porte, il vous la tient pour vous dire d’une voix généreuse : «La jeunesse d’abord, l’expérience ensuite.» Cela finissait par un franc éclat de rires. De son vécu, de ses expériences des hommes, Jean, le vivant, captivait son interlocuteur et offrait leçon après leçon. Il se plaisait de faire ressortir les bonnes tournures de la grammaire française. «Monsieur le Président, j’aime entendre parler les Sénégalais, le Sénégal est le seul pays où on parle encore du vrai français», aimait-il à me dire avec sa voix rocailleuse. On parlait de proverbes et de sagesse populaires. Il était un villageois comme moi. Sa conversation a toujours été passionnante et nourrie d’idées. Il aimait rire, avait un formidable sens de l’humour et de la répartie. Il avait surtout foi en la vie.
Hospitalisé pendant de longs mois, diminué, Jean Miot ne voulait jamais désespérer. Il savait trouver les bons mots pour rendre espoir et confiance à ses visiteurs. Personne ne pouvait le croire sur la fin. Il tenait même, sur son lit d’hôpital, à répondre aux courriels et autres messages sur son téléphone. Quand, il y a quelques semaines, il sortait de l’hôpital pour aller dans son Berry, il faisait savoir qu’il voulait aller chercher le bon air. On voulait s’amuser avec lui de tout, comme pour défier la mort. Nous osions dire à un de nos amis qui demandait de ses nouvelles, il y a quelques jours, que «l’ami Miot est allé s’offrir du bon temps dans son Berry». Nous ne pouvions pas nous imaginer que c’était pour aller y prendre un repos éternel. Il s’est bien payé notre tête. Je le vois tirer sur son cigare, le nœud papillon bien accroché et sa coupe d’eau de vie à «bonne température», avec un petit sourire en coin. La légende voudrait que Jean Miot ait toujours dans la poche de son veston un thermomètre pour bien jauger la température de son vin. A 77 ans, quand des amis lui suggéraient d’y aller doucement avec les bonnes choses, Jean Miot éclatait de rires en disant : «Mon médecin me considère comme une curiosité de la nature.» Il considérait que «la bête était increvable». Cela m’a toujours marqué de Jean, devrais-je dire même intriguer. Chaque fois que nous étions ensemble, quelque part dans le monde, il tenait à disposer de sa terrasse pour s’y attarder, le soir, à son «heure du cigare». Ce rituel, Jean l’avait instauré pour partager avec ses visiteurs. Il était iconoclaste. Il vous citait Sacha Guitry par exemple ou les grands auteurs de la littérature française, avec une précision stupéfiante. Tout comme il avait par cœur toutes les grandes citations des hommes politiques français.
Jean Miot avait initié le Prix de l’humour politique en France. Son propos prenait sa source au Berry et toutes les leçons de sagesse lui venaient de son patelin. Il avait la générosité de vous appeler pour vous suggérer de lire un bel article publié quelque part.
En 2015, nous avions été ensemble à Lomé dans le cadre d’une mission préparatoire des Assises de l’Union internationale de la presse francophone (Upf) dont il était un des vice-présidents. Au petit-déjeuner, il recevait un appel lui annonçant le décès brutal d’un de ses vieux amis. Jean Miot garda un moment de silence avant de soupirer : «Tous mes amis sont en train de partir. Qui sera à mon enterrement ?» J’avais essayé de le reprendre pour lui dire : «Oh, cher ami. Tu as le temps de voir venir. Ton rendez-vous avec la mort ne sera pas avant vingt ans au moins. Tu peux en croire mes dons de petit sorcier africain.» Il rétorqua : «Que tu es gentil mon cher ! J’espère que tu y seras.» Nous avions cherché à débrider l’ambiance, mais je me jurais ce jour-là que je n’avais pas le droit de ne pas lui rendre hommage. Si je lui survivais. Jean, tu me pardonneras si je ne pourrais retenir une petite larme devant ton cercueil.
L’authenticité de Jean dans ses relations et dans son travail est pour moi une source de motivation. Je suis sûr que tous, parmi nous qui l’avons côtoyé professionnellement ou amicalement, sentirons à un moment ou un autre le vide que laissera notre ami Jean. Je me refuse à accepter ce vide et pense qu’il est à combler à l’image de Jean. Etre aussi vrai que possible, nous donner à cœurs et âmes pour les idéaux que nous partageons, ne cesser de lui rendre hommage et d’entretenir sa mémoire. C’est de la sorte que nous ferons face à ce qui a été laissé en suspens par sa disparition. Pour un tel amoureux de l’écrit, remplir les pages qu’il nous a léguées de nobles lettres serait une joie inouïe pour lui. Un homme nous a été offert, chanceux nous fumes de l’avoir croisé, à nous de le porter haut comme il a toujours fait pour nous. Il semait la concorde et l’amitié autour de lui. Miot, tu n’es pas mort. C’est l’Africain qui te le dit.

Par Madiambal Diagne

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