Naufrage Du Joola, An 13: Entre Souvenirs, Douleurs Et Regrets…par Devoir D’introspection…             Par Amadou Sy Diop. Usa

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26 Septembre 2002-26 Septembre 2011, il ya 9 ans le « Joola » faisait naufrage au large des côtes gambiennes avec à son bord plus de 2000 passagers…Je ne vais pas revenir ici ni sur les circonstances du naufrage…ni sur les responsabilités des uns et des autres…La commission d’enquête technique mise en place par le Président de la république Maître Abdoulaye Wade, avait fait un excellent travail… 
Les causes du naufrage du « Joola » sont connues de tous…La surcharge a été la cause principale de ce drame….Le président Wade avait été courageux en reconnaissant de suite la responsabilité de l’Etat..Je rappelle qu’Il (Président Wade) avait les moyens financiers pour remplacer les deux moteurs principaux tribord et bâbord du navire car les mêmes causes produisant les mêmes effets, un contrôle par magnétoscopie du vilebrequin du moteur principal bâbord aurait décelé les prémisses de la même avarie que celle qui avait coulé le moteur tribord quelques mois plus tôt..
Ce dont je suis certain, c’est que mon ami et frère , feu le commandant Issa Diarra (Que Dieu l’accueille dans son paradis) ayant su au départ de Ziguinchor que le navire présentait une gîte en sus d’une surcharge en nombre de passagers et au niveau du frêt, devait prendre les dispositions qui s’imposaient à lui en tant que Commandant, ( respect du nombre autorisé de passagers (550), arrimage des bagages dans les soutes, gestion des carènes liquides ( ballastage) pour résorber l’inclinaison transversale….ect) et naviguer dans d’excellentes conditions de sécurité…Ce n’était pas facile à faire , vu la pression des autorités politiques…mais il fallait encore une fois, qu’il le fasse…il y allait de la vie de 1863 personnes y compris de sa propre vie. Le commandant Diarra fait partie des disparus …Son corps n’avait pas été retrouvé…Au Sénégal, l’Ignorance, l’Arrogance et la Négligence nous ont conduit à la plus grande catastrophe maritime de tous les temps avec le naufrage du Joola. J’ai choisi trois personnalités que sont l’ancien ministre de l’équipement Mr Alassane Diali Ndiaye, l’ancien directeur de cabinet de Wade, troisième premier ministre de l’alternance  Mr Idrissa Seck, enfin l’honorable député, le professeur Iba Der Thiam pour illustrer mes propos. Nous sommes d’accord que ces trois personnalités ne sont en rien impliquées dans le naufrage du Joola. ..Avant la mise en service du bateau, la liaison maritime Dakar-Ziguinchor était assurée par le « Casamance Express ». Vieux navire à passagers qui, après chaque aller/retour devait s’arrêter pour d’interminables réparations :tantôt sur les moteurs, tantôt sur les groupes électrogènes, des avaries sur la coque, des pompes qui ne fonctionnaient pas, des tuyaux à remplacer…Je me demandais alors comment un Etat sérieux avait pu acheter ce cercueil flottant. A l’époque j’étais jeune cadre diplômé de l’école navale de Brest, et adjoint au chef du département service coque de l’ex Dakar-marine….Avec des charges d’exploitation trop élevées dues aux frais de maintenance, l’Etat sénégalais sous la présidence de Mr Abdou Diouf, décida de faire construire un navire moderne pour enfin désenclaver définitivement la région de Casamance. Quand j’ai eu vent de cette bonne nouvelle, je suis aller voir mon ami Oumar Gueye actuel ministre de la pêche et des transports maritimes ( il était à l’époque le directeur commerciale de la CGE) pour lui dire notre désir de rencontrer Mr le ministre de l’équipement d’alors Alassane Diali Ndiaye pour voir dans quelles mesures les cadres techniques de Dakar-marine ( Polytechniciens et diplômés de Brest) pourraient apporter leurs contributions dans l’établissement du dossier d’appel d’offre et aussi la possibilité d’envoyer un ingénieur mécanicien et un technicien spécialisés en construction navale, suivre de A à Z , la construction du nouveau navire…cela constituait une nécessité surtout que les futurs entretiens et réparations se feraient par ces mêmes personnes. Rendez vous est fixé avec Monsieur le ministre. Je rappelle qu’Alassane Diali Ndiaye était le responsable politique de Sangalkam, Yène et environ pour le parti socialiste et qu’Oumar Gueye le responsable des jeunesses socialistes des mêmes localités au moment des faits. Je me souviens de l’arrogance du ministre…lors de cette rencontre…Le Joola était son projet, il le mènera TOUT SEUL.N’avait-il pas réussi à monter la Sonatel…L’exploitation démarra avec d’importantes erreurs techniques notées:
-1) Sur la coque du navire : 
2) le coefficient de fardage :
-3) Légèreté sur les dispositions des aménagements intérieurs  
-4) le choix des moteurs, auxiliaires et leurs systèmes de réfrigération 
-5) sur le système de giration 
Ces faiblesses techniques pouvaient être évitées si Mr le Ministre avait été plus ouvert aux suggestions et si la construction avait été bien suivie ….. 
Quand l’avarie sur l’un des moteurs a immobilisé le navire à quai pendant 13 mois environ, je suis allé voir le commandant Diarra pour lui faire des propositions…Nous nous sommes retrouvés à bord, dans son bureau. Il m’avait demandé de lui faire un rapport sur les travaux additifs nécessaires pour la sécurité de la navigation. Apres trois semaines… je décidai d’améliorer le rapport et de le porter à la connaissance du président de la république…D’une douzaine de pages au départ, le rapport passa à 15 voir 16 pages…Parallèlement, j’avais essayé de rencontrer Mr Kombo, chef d’état major de la marine nationale pour une séance de discussion sur l’impératif des travaux à faire d’urgence pendant le prochain carénage…sans succès…Il m’était impossible de mettre la main sur Mr Kombo, malgré plusieurs passages à son bureau…Rapport en main, je partis à la présidence de la république ….Au secrétariat, l’on m’assura que le rapport sera remis à Me Wade dès le lendemain…Il y avait une course contre la montre, le moteur neuf allait bientôt être là et il fallait intégrer d’autres travaux …Un mois passa …On était au mois de février 2002 !!! Sans aucune réaction de la présidence, je partis rencontrer Mr Ibrahima Dia, un ami qui était conseiller de Mr Idrissa Seck, tout puissant directeur de cabinet de monsieur le président de la république…pour lui remettre le rapport qu’il devait transmettre à Idrissa Seck…pour une réaction positive…Rien. Pourtant Mr Dia est connu pour sa rigueur et sa compétence. C’est aussi un ingénieur spécialisé en télécommunication. Il avait bien mesuré l’importance du document que je lui avait remis. Avait-il transmis le rapport à Idy ? La réponse est oui car il me répétait que le directeur de cabinet était trop occupé mais qu’il lui avait remis le document et qu’ils avaient prévu de tenir une réunion pour en discuter…Les jours passèrent…et rien ne se passa. Pour la première fois de ma vie, je commençais à être découragé par la lenteur des évènements…Je ne comprenais pas qu’un jeune ministre, directeur de cabinet du président et son staff ne réagissaient pas .Pendant des années, je n’ai pas pardonné à Idy cette négligence…Je savais l’homme compétent pour l’avoir fréquenté à maintes reprises avant l’alternance. Il incarnait le Sopi et était la tête pensante de Me Wade. Que le Président soit très occupé je le comprends mais qu’Idrissa Seck se focalisa principalement à faire venir les transhumants du PS au PDS ( C’était son activité principale en tant que directeur de cabinet ) sans jouer son véritable rôle d’avant garde, de rempart , de facilitateur, à recevoir les informations sensibles et en informer le Président, à aider ce dernier à prendre les bonnes décisions… Ou était-il pendant que Me Wade mettait 18 milliards cfa pour réparer son avion alors que le Joola avait juste besoin que de 500 millions pour les moteurs tribord et bâbord ? Ignorance, arrogance ou négligence? Je n’arrivais plus à dormir et je ne pouvais en parler à aucun de mes collègues, vu que ma démarche avait été solitaire et que je n’avais pas été mandaté par la direction générale pour faire ce travail d’inspection. Elle ignorait l’existence de ce rapport. Je rappelle qu’au moment des faits, j’étais le chef du bureau d’étude de la dite entreprise. Ma femme sentit que j’étais troublé par quelque chose. Elle sait lire sur mon visage quand cela ne va pas..Quand je lui ai raconté mes démarches elle me dit “ Pourquoi pas au Pr Iba Der Thiam? N’est-il pas le député du peuple?” Oui pourquoi pas l’honorable député Iba Der Thiam me suis-je dit! Je changeai l’entête du document, l’adressai au professeur, pris ma voiture et partis pour l’Assemblée Nationale…Sur place, le gendarme en faction m’informa sur l’absence pour voyage hors du Sénégal du Professeur et m’indiqua sa boite à lettres ou je glissai le rapport…J’allais pouvoir vérifier ce qu’un ami m’avait dit un jour …  « Iba Der Thiam est la seule personnalité du pays qui répond à tous les courriers qu’il reçoit!… » m’avait-il dit. Le temps passait, le moteur neuf du Joola était arrivé, la date du prochain carénage fixée…Entre temps le commandant Diarra me confirma ce que je craignais…Il s’agira d’un carénage simple..Pas de travaux additifs, l’Etat n’a pas d’argent lui a-t-on dit en haut lieu. Seule une décision venant d’une haute autorité de l’Etat pouvait faire changer la donne…c’est en cela que la réaction du professeur Iba Der Thiam , vice-président de l’Assemblée Nationale était importante…. 
Deux semaines plus tard, mon portable sonna…C’était Iba Der Thiam au bout du fil…Enfin j’allais pouvoir parler du Joola à quelqu’un. L’honorable député me fixa un rendez-vous chez lui d’abord à Liberté 5 (nous nous sommes rencontrés à deux reprises chez lui…). Il était décidé à faire quelque chose. Il me donna rendez-vous dans son bureau à l’Assemblée Nationale pour que je lui explique bien les détails techniques , et la nécessité de faire des travaux additifs indispensables pour la sécurité du navire…L’Etat débloquera une rallonge budgétaire s’il le faut…me disait-il…Dans son bureau le professeur me posa toutes les questions qu’Il jugea utiles…pris des notes et me dit qu’il allait informer Madame le premier ministre Mame Madior Boye ainsi que le ministre des transports maritimes pour une séance de questions orales au sujet du Joola…L’initiative était louable…mais le temps était contre nous…d’autant qu’il devait se rendre à Paris pour une réunion ou conférence de l’Unesco…Le Joola passa en cale sèche pour un carénage simple…Les essais prouvèrent que la sécurité du navire n’était pas au point…( je ne vais pas revenir sur les circonstances dans lesquelles se sont déroulés les essais techniques…) A quai le navire présentait déjà une gite, les ballasts ne fonctionnant pas bien, bref la liste des travaux additifs contenus dans le rapport avait été totalement ignorée… Le commandant Diarra n’était pas quelqu’un qui savait taper sur la table..Il était plutôt un homme de soumission aux ordres ….Négligence quand tu nous gouvernes…. 
Le 25 Septembre 2002 vers 18 heures, je rencontre le commandant Diarra qui se préparait activement à partir à Ziguinchor pour son premier voyage commercial…”On se verra a mon retour” me lança-t-il à bord de son véhicule devant le portail d’entrée de la Marine Nationale…C’était la dernière fois que je le voyais… Le 26 Septembre 2002, vers 10 heures, la presse annonça le naufrage du Joola…1863 morts et disparus officiellement…Quand j’ai entendu la triste nouvelle, je me suis enfermé dans mon bureau pour pleurer…C’était vraiment la première fois de ma vie que je pleurais….Ironie du sort c’est en ce moment là que mon téléphone sonna, c’était l’Honorable député Iba Der Thiam ..”.le Joola a coulé…toi seul savait.” dit-il !. Non professeur, je ne savais pas que le Joola allait couler !…Cela seul le bon Dieu le savait. Je voulais simplement que les règles de sécurité en matière de navigation soient respectées…Si l’honorable député Iba Der Thiam maitrisait les notions de la sécurité maritime comme il maitrise l’Histoire (qu’il enseigne avec brio à l’université..) il aurait très certainement agi autrement, annuler son voyage à Paris par exemple et saisir les autorités concernées….Je me suis souvent dit quand je suis plongé dans mes souvenirs sur le naufrage du Joola que si j’étais un « toubab » un monsieur Dupont , quelqu’un, parmi les personnalités que j’avais  voulues saisir, allait forcément réagir… « emancipate yourself from mental slavery » disait Bob Marley ! Je dirai « from mental colonialism » aussi….
RENFLOUEMENT DU JOOLA? Le renflouement du navire est une opération très délicate qui était faisable dès les premières années qui ont suivi le naufrage. D’ailleurs l’Union Européenne l’avait estimé à environ trois milliards de francs Cfa à l’époque. Ce montant est aujourd’hui erroné 13 ans après. Le Joola a échoué dans une zone parmi les plus corrosives du monde. En effet le taux de salinité de la mer à cet endroit est très élevé           (proche des Salins du Sine Saloum) donc une vitesse de dépréciation des épaisseurs des tôles trop importante.(!!!). A mon avis deux solutions s’imposent: 
-1) Faire une sépulture (plateforme) flottante portant les noms de tous les disparus…
-2) Faire une opération de récupération partielle de quelques éléments encore résistants de la coque et de ses appendices….(mât, gouvernail par exemple). 
Je pense que l’introspection dont parlait le Président Wade juste après le naufrage, doit être faite par chacun d’entre nous à partir de nos comportements…Nul n’est indispensable, nul ne connait tout en tout…La corruption a joué un rôle important dans le dossier du Joola…Fléau numéro un au Sénégal…ceci expliquait d’ailleurs le pourquoi du retrait de la gestion du navire au Port de Dakar…Après le naufrage du Joola, par devoir d’introspection, nous avions élaboré un document sur la sécurisation et la modernisation des pirogues de pêche…Le Sénégal compte environ 40.000 pirogues traditionnelles pour la pêche artisanale , réparties entre Dakar, Mbour, Kayar, Saint Louis, Ziguinchor…Les conclusions contenues dans ce rapport sont en cours d’exécution aujourd’hui, même si pour nous l’élément le plus important pour la sécurité des pêcheurs n’est pas pris en compte à savoir l’inscription du nombre de personnes que peut supporter chaque pirogue…car c’est bien d’immatriculer chaque pirogue, de subventionner les gilets de sauvetage et de rendre le port obligatoire…mais si le piroguier ignore le nombre de personnes que son embarcation est en mesure de supporter…le danger est toujours  là..et nous étions en mesure d’élaborer un logiciel pour régler ce problème. J’avais glissé en annexe de ce document l’urgence de réhabiliter le pont Faidherbe à Saint-Louis…Ce que le Président Wade a finalement réalisé… Au Sénégal et presque partout en Afrique, quand vous remettez un document à une autorité (ministre, député)… elle en fait sienne et souvent vous ignore totalement après réception du document. Ces mêmes autorités n’hésitent pas payer à coût de milliards à des cabinets étrangers pour souvent des études de bien moindre importance et de qualité médiocre…Sachant bien cela , j’avais pris soin de retirer du rapport ce point concernant le logiciel qui devait permettre d’inscrire sur chaque pirogue le nombre de passager…tenant compte des dimensions de la pirogue, de son poids utile, du moteur hors-bord, des filets, et autres liquides embarqués ( essence, eau). Bref nos autorités ne savent pas qu’en fait le meilleur dirigeant  (manager) c’est celui qui sait écouter, un « open-mind », qui sait utiliser au mieux la compétence de ses agents… Le naufrage du Joola c’est le résultat combiné de la corruption, de l’ignorance, de l’arrogance et de la négligence… 
Mr Amadou Sy Diop 
Diplômé de l’E.T.N.C.A.N de Brest . 
Inspecteur en méthodes non destructives des ouvrages maritimes et industrielles 
Membre de l’A.S.N.T…American Society for Non Destructive Testing 
e-mail: [email protected] 
Cincinnati, Ohio. Usa

 

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