Note de lecture
« Fawenatou » de Bathie Ngoye Thiam
Athéna.édif 248 pages
Fresque de la fraternité
Fawenatou, quatrième ouvrage de Bathie Ngoye Thiam, est un hymne à la fraternité à l’heure où de plus en plus l’individualisme prend le dessus sur la solidarité. Le roman constitue à lui seul une belle fresque avec une galerie de personnages, attachants, attendrissants et qui portent tous en eux un cœur débordant d’amour et exempt de haine, se prenant la main dans la main pour construire une chaîne de solidarité. L’espace temporel du roman se déroule au Sénégal et en France, entre les années 1950 et 1990. Plus d’un quart de siècle qui prend place sur une œuvre riche de 248 pages avec le talent d’un conteur qui tient son lecteur par la main pour l’introduire dans des vies, plusieurs vies qui peuplent ce roman à l’écriture simple, sans aucune fioriture, ni clinquant. Juste le ton juste à travers une prose fort poétique. Comme son auteur nous les livre souvent dans la presse par d’enrichissantes contributions dans une langue fluide et sans aucune aspérité. La marque de fabrique de ceux qui maîtrisent, et leur sujet, et la langue dans laquelle ils véhiculent leur pensée.
De son amour pour la jument, Fawenatou, Samba, enfant, quitte directement son Bambey pour la France, adopté qu’il est par un couple de Français dont la jument que le garçon chérissait dans l’écurie de l’employeur de son père, où ce dernier officiait comme vendeur dans une boutique, constituait leur cadeau de mariage. Pour ne pas séparer l’enfant de la jument, le couple l’adopte et le chérit dans leur modeste demeure en France comme leur propre fils. Il va grandir avec d’autres enfants du couple qui ne souffrirent point de la différence de couleur de leur grand frère dont la vie prendra un autre tournant avec la disparition de l’animal emporté par une maladie. Mais la jument vivra dans le cœur de Samba. Plus qu’un compagnon, la pouliche était son amour. C’est d’ailleurs l’hymne de l’amour qui fleurit dans les 248 pages de cet ouvrage dans lequel chaque tranche de vie rappelle à Samba son amour pour Fawenatou.
Odes de l’amour
Une galerie de personnages que porte Grand- Badou. Lycéen studieux promis à un avenir radieux sur qui ses parents portent un espoir en vue de les sortir de la pauvreté dans un Sénégal encore sous le joug colonial. Badou est titulaire d’une bourse d’études, il débarque en France. Etudiant discipliné suivant avec rigueur les conseils de son père, sa vie bascule quand il apprendra la mort de sa maman, celle pour qui, il existait. Avec d’autres compagnons aux destins opposés, Badou sombre dans l’alcoolisme qui le mènera à une vie de clochard avec d’autres personnages à la vie fissurée par des destins cruels et tragiques qui portent tous les stigmates d’une société qui avale ses produits. Par un procédé dont seul l’auteur a le secret, il nous brosse des portraits de femmes et d’hommes. Le Malien Mamadou, Anne, Bénédicte, Sandra, Marcel, Claudette à la vie souillée par son odieux beau- père Vincent, Véronique, Omar, Tamsir, Tanta Fanta, Nathalie, etc.
L’auteur nous plonge dans l’univers glauque des drogués, des alcooliques, décrit avec un réalisme bouleversant, l’existence de misère des immigrés. Bref, des tranches de vies. Des vies qui se terminent par des morts, des rencontres, des découvertes, des déchirures, des amours perdues et retrouvées, des réconciliations. Et comme tableau de fond, l’amour étanche entre Nathalie et Badou unis dans la vie par un personnage sorti de leurs amours passagères dont la voix, à travers une chanson dédiée à Samba pour l’amour de Fawenatou, fera découvrir à celui-ci le grand amour qui porte un visage humain, elle aussi sous le charme de cet hymne musical que porte Badou et sa fille Soda.
Fawenatou, c’est aussi le roman d’une époque avec la vision d’une jeunesse qui rêve d’un autre monde. C’est aussi notre société – française et africaine – avec ses contradictions. C’est également l’hymne de la fraternité humaine avec des hommes que tout différencie, mais qui marchent ensemble la main dans la main, se supportent, s’entraident. Une solidarité à visage humain sans aucun calcul. Juste pour le bonheur de l’autre. Et le moins que l’on puisse dire, en refermant cet ouvrage au ton juste, est que son auteur a réussi son histoire. Une histoire bien construite sur plusieurs destins. Un roman d’une poignante beauté. A lire absolument.
Alassane Seck Guèye
Publié dans LE TEMOIN du 12 avril 2015