Notes de lecture. LES FLAMMES DE NDER, UN PONT ENTRE LE PASSE ET LE PRESENT. Par Ousmane Touré

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L’écrivain s’essaie dans un genre nouveau. Une nouveauté bâtie sur la construction d’un pont entre le passé et le présent. La clé de voute de l’histoire est l’expression émotive d’une solidarité morale, produit d’un fait altruiste. Il se passa à Nder un acte extraordinaire de courage car un jour des femmes ont refusé d’accepter la défaite et surtout l’esclavage. Chemin faisant, Sémou MaMa Diop, à l’image de Dan Brown dans le Code Da Vinci, s’empare des faits et de l’histoire pour écrire une autre histoire pleine de rebondissements avec comme toile de fond l’utilisation de la religion comme outil d’aliénation mentale dans le village de Nder. Une belle infidélité à l’histoire orchestrée de manière magistrale. L’écrivain gravit les sentiers de la réussite à travers un processus tangible qui tend vers une maturation en devenir. Aucun de ses livres ne s’inscrit dans une logique uniforme et comme disait Sartre : «  Ce n’est qu’a partir du moment où je serai un écrivain que je cesserai d’écrire. ». L’écriture devient un champ possible et fertile qui permet l’éclosion morale d’une forme aseptisée de pensée profonde, socle d’une rationalité active. Que nous propose Sémou MaMa Diop dans cet ouvrage ?

Sémou MaMa Diop nous offre un pont de réconciliation entre le passé glorieux d’une terre éprise de ses valeurs et un présent tumultueux marqué par l’arrivée du terrorisme. Dans un style unique avec une écriture dépouillée et un vocabulaire riche, Sémou MaMa Diop concocte tous les agrégats nécessaires pour développer une grande fresque historique sur Nder avec des accents burlesques parfois, des faits pittoresques, un soupçon de picaresque : le mythe des femmes qui ont été l’expression d’un féminisme fort et qui ont commis un suicide altruiste au nom d’un idéal moral, celui de la dignité humaine tout court. Une belle aventure qui se dessine dans une logique narrative avec un dialogue riche entre les personnages. Ces femmes ont refusé de céder à la dictature du patriarcat au nom d’un symbole fort celui du refus de la domination masculine. L’érection d’une phallocratie, produit illicite d’une violence exacerbée exercée sur les femmes, montre les enjeux du roman. Sémou parvient avec une forme de majesté morale à inscrire un climat de terreur qui sévit dans l’inconscient collectif. Le terrorisme jaillit comme une fontaine de jouvence d’eau noire dans une forêt des âmes blanches. Sémou mène le jeu des personnages avec brio, tact et surtout leur afflige une forme de connotation morale parfois défaillante, parfois intègre. Cela donne des allures kafkaïennes à son œuvre. La limpidité du récit, le débit des mots, la description du cadre physique laisse présager un roman plein de promesses avec une forme de déferlante morale pernicieuse, insidieuse et même odieuse. Car, par moment la religion devient comme une maladie pour certains hommes rongés par le démon de l’égocentrisme.

Sémou axe son œuvre sur une forme de dualité didactique en posant deux questions : la religion est-elle le ferment passionnel qui unit la communauté ? La religion est-elle ce merveilleux outil dont se sont appropriés les apprentis amoureux de l’obscurantisme ? La réponse réside dans le for intérieur de tout lecteur. L’idée du terrorisme est utilisée pour montrer ce dilemme cornélien bien ancré dans nos sociétés sur la pratique religieuse. La religion est-elle encore une affaire intime ? Sémou nous invite à la discussion. L’autre fait est de se demander si on pratique la religion pour les autres ? Le dialogue riche, la pensée juste avec des mots qui ne cohabitent pas seulement mais servent à interroger le lecteur avec un talent fourni dans le descriptif, un descriptif poussif, évolutif.

 

La religion est un thème majeur où l’on découvre comment le pouvoir de persuasion et la terreur peuvent nourrir les consciences et même compromettre l’inconscient collectif. Une forme de prosélytisme très fort qui porte sur l’interprétation masculine du coran à des fins personnelles et utilitaires. La stigmatisation des femmes fait son bonhomme de chemin. L’hypothèse de l’auteur est la contribution négative de cet endossement mental orchestré par des hommes épris de perversion. Une perversion narcissique des hommes à vouloir dominer et manipuler. Sémou construit toute une opération descriptive pour montrer la vanité des hommes à se muer en terroriste pour se venger de la société. Ainsi jaillit le fléau de la pauvreté qui comme un phénomène rampant tourne autour des consciences et de l’ego collectif comme un spectre, celui de la violence symbolique (verbale) et réelle. Tout un programme de programmation mentale qui se dessine et se peaufine grâce au marabout dont la grossièreté morale est une panoplie de richesse mentale.

Chapitre après chapitre, on assiste à un récit épique plein de rebondissements avec une belle ferveur morale qui propulse la question du terrorisme et de la religion dans une nouvelle dynamique d’analyse avec comme toile de fond un symbole très fort l’histoire de Nder et de ses femmes. Souvent on dit des héros qu’ils ont le courage de la vanité mais une vanité saine. Tous ces personnages dont Fatim Mbarka Dia, Père Gorgui, Adama le disc Jockey, Alioune Sidiya et Amy sa sœur, les jumelles, Walo et Dièry auront-ils le courage de la vanité nécessaire pour se battre contre les vilains perfides que sont Badou, Bouba, le marabout et l’émir Ould Moctar ? Chaque paragraphe comporte son lot de tension et d’intrigue avec une description physique des lieux. Un particularisme unique est associé au roman, un environnement physique qui traduit un esprit de terroir, une bestialité voluptueuse terrestre qui détermine une atmosphère ambiante, romantique parfois, tragique souvent. Cette volupté naturelle de Nder lui donne un parfum original car la résistance des femmes n’est que l’expression d’une irrévérence morale. Cet amour du terroir exprimé par Sidiya et Fatim prouve l’effet positif de la symbiose entre l’esprit et le corps.

 

A l’heure ou Boko Haram sévit au Nigeria et Al Qaeda un peu partout en Afrique, ce livre ouvre des perspectives nouvelles sans tomber dans une caricature brutale qui consiste à exorciser le zèle malveillant de ces soldats de l’infortune humaine.

Nder est et restera un symbole fort de la réconciliation entre le passe et le présent, un pont qui ne cède pas au son de la terreur mais plutôt offre un message d’humanité et d’amour.

Ousmane Touré

Paru aux Editions et Diffusion Athéna Avril 2016

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