Omar Sy icône du cinéma : «Je ne suis pas un acteur noir»

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Le comédien le plus populaire de France incarne un sans-papiers dans Samba, le dernier film de Éric Toledano et Olivier Nakache. Son dernier rôle, son aventure hollywoodienne, la place des comédiens noirs au cinéma… Omar Sy nous dit tout.
Qu’avez-vous pensé en recevant le scénario de Samba, adapté du livre de Delphine Coulin Samba pour la France ?
J’ai trouvé ça très touchant. Mais c’était aussi un nouveau défi. D’abord pour les réalisateurs… Il s’agissait d’un sujet peut-être un peu plus grave que les précédents, mais qu’ils voulaient traiter comme ils savent le faire, en y mettant un peu de légèreté. Il ne fallait pas que ça devienne un film à charge ou une grosse comédie. Ça supposait pas mal de finesse. En plus, il y a de l’action, une histoire d’amour, un personnage féminin très développé : tout ça c’était des premières, pour eux. Mais ce film était aussi un challenge pour moi. J’interprète un personnage que je devais vraiment composer : parler avec un accent sénégalais en enlevant le sourire dans la voix. Samba a des fragilités, mais il émane quand même de lui de la force, du courage. C’est un homme grave, pas un amuseur, même s’il est parfois drôle. Bref, c’est un personnage plein de nuances.
Comment avez-vous préparé ce rôle ?
J’ai vu pas mal de documentaires ainsi que des fictions, comme par exemple La Pirogue, du Sénégalais Moussa Touré, qui évoque la traversée de migrants africains, film que j’ai trouvé essentiel pour imaginer l’arrivée en France de Samba. Et puis je me suis rendu dans des foyers de migrants. Il y en a un à Saint-Denis, où l’un de mes oncles habite. Je suis allé le voir et il m’a présenté des gens qui sont passés par la phase sans-papiers. Ils m’ont raconté leurs difficultés, ce qu’ils disaient à la famille restée au pays, la parano : la peur du facteur qu’on prend pour un flic… On est sortis ensemble dans la rue, je les ai observés : ils baissent la tête, ils ne regardent pas les gens dans les yeux. En comparaison, j’avais l’impression d’être arrogant lorsque je marchais à côté d’eux. Mon père est arrivé ici en 1962. C’était une autre époque : la France encourageait l’immigration, le voyage était plutôt simple, du boulot, il y en avait des tonnes…
«L’histoire de mon père, qui est originaire de Bakel, au Sénégal, n’a rien à voir avec celle de Samba»
Avez-vous puisé dans des situations que vous avez vécues pour les réinjecter dans le film ?
Non, pas du tout. Mon seul rapport à l’immigration est lié à mes parents. Or l’histoire de mon père, qui est originaire de Bakel, au Sénégal, n’a rien à voir avec celle de Samba. Il est arrivé ici en 1962. C’était une autre époque : la France encourageait l’immigration, le voyage était plutôt simple, les frontières étaient ouvertes, du boulot, il y en avait des tonnes… Pour ma mère, mauritanienne, ça n’a pas été difficile non plus, elle a bénéficié du regroupement familial. Moi, avec ce film, j’ai dû me coltiner l’immigration telle qu’elle se vit aujourd’hui.
Les réalisateurs ont-ils aussi rencontré des sans-papiers ?
Oui, plus que moi. Ils se sont rendus à la Cimade (une association d’aide aux étrangers), ils ont rencontré des bénévoles et des clandestins. Ils préparent bien leurs films.
Vous avez expliqué dans plusieurs entretiens qu’après le succès d’Intouchables on vous proposait toujours le même type de rôles, souvent un peu clichés.
On me proposait des versions déclinées d’Intouchables. Il aurait fallu que je reproduise un cliché de moi-même. Mais j’avais envie de jouer autre chose. Aujourd’hui, j’ai évidemment plus de choix.
Avez-vous l’impression qu’en France on propose aux comédiens noirs une palette très limitée de rôles ?
Je pense qu’il faut arrêter de se mettre soi-même dans une catégorie d’acteurs. Moi, je ne suis pas un acteur noir. Je suis un acteur. Je ne vais pas refuser un rôle ou accepter un rôle parce que je suis noir. Je ne me définis pas comme un Noir, je suis beaucoup plus que ça.
Régis Dubois, auteur de l’ouvrage Les Noirs dans le cinéma français, estime qu’il y a beaucoup d’archétypes liés à la couleur de peau dans la production cinématographique hexagonale. Il prend comme exemple Intouchables. Pour lui, on y retrouve à la fois le stéréotype du Noir qui est un voyou, mais aussi qui est un domestique et un comique, un rigolo qui a naturellement le rythme dans la peau. Que vous inspire cette critique ?
C’est sa vision, mais je ne suis pas du tout d’accord. Pour moi, c’est un rôle qui a fait progresser les choses et qui apportait de la nouveauté par rapport aux personnages qu’on nous proposait traditionnellement. Après Intouchables, on a vu beaucoup plus d’acteurs noirs dans les films. Et les préjugés dont il parle ne sont pas liés particulièrement au cinéma : je sais, moi, que je ne vais pas m’arrêter là et que je vais démonter tous ces archétypes pourris. Et puis quoi ? Je ne vais pas m’arrêter de danser parce que je suis noir uniquement pour casser les idées reçues ! Je ne vais pas m’arrêter de rire non plus ! Le cliché, ce serait de refuser ce qu’on est profondément. Moi, je me suis toujours tout autorisé. J’ai acheté une Harley-Davidson, alors qu’on me disait que c’était pour les Hells Angels, pour les Blancs. Rien à faire. Je monte dessus, et je bouge le sélecteur de vitesse avec mes baskets Air Jordan ! Je ne me définis pas comme un Noir, je suis beaucoup plus que ça.
Vous n’êtes pas parti aux États-Unis pour accéder à de nouveaux rôles ?
J’étais très bien servi en France : j’ai joué un médecin, un «keuf»… Dans Micmacs à tire-larigot, de Jeunet, et dans L’Écume des jours de Gondry, n’importe qui aurait pu jouer mon personnage. Bien sûr que la plupart du temps on écrit certains types de rôles pour les Noirs, mais je dis à ceux qui se plaignent : «Va chercher autre chose !» N’allons pas nous enfermer dans des rôles qu’on nous impose. On n’est pas obligés d’accepter ces règles du jeu, c’est à nous de provoquer les choses ! Être noir doit devenir aussi banal que de porter une moustache.
Il y a quand même une certaine stigmatisation. Les Oscars américains ont récompensé quinze Noirs américains alors que vous êtes le seul en France à avoir reçu un César…
C’est déjà un progrès ! Et puis, on n’a pas la même histoire. Les acteurs oscarisés sont des descendants d’esclaves… Il y a une forme de culpabilité qui a mené à la politique des quotas aux États-Unis. Nous, nous n’en sommes pas là. Et heureusement !
On vous a vu dans X-Men: Days of Future Past, vous apparaîtrez bientôt dans le prochain Jurassic Park… Comment avez-vous vécu vos premières expériences sur les plateaux américains ?
La grosse différence, ça peut paraître bête, mais c’est la langue. Comme je n’ai pas tous les mots, je suis plutôt timide. Je suis aussi impressionné par les moyens colossaux déployés pour ces grosses productions : des centaines de personnes présentes sur les plateaux, des décors énormes, des costumes, le temps entre les prises pour régler des questions matérielles… Ce qui ne change pas, en revanche, c’est le plaisir que j’ai à jouer.
Le représentant de la France dans les films ricains, c’est «ouam» ! Rien que pour ça, on progresse !
On vous demande souvent d’interpréter des gentils, ça n’est pas lassant ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai joué un méchant dans Good People (un thriller américain de Henrik Ruben Genz). Mon personnage dans X-Men est un gentil mais avec un très mauvais caractère… De toute façon, quand je me lasse, je passe à autre chose. Le Sav, par exemple, ça a duré sept ans. Quand j’en ai eu marre, j’ai arrêté. Aujourd’hui, j’ai cette chance de pouvoir zapper, je ne vais pas m’en priver. Être français à Los Angeles, c’est une carte intéressante à jouer ? En tout cas, je suis perçu comme le Français de X-Men ou le Français de Jurassic Park. Vous vous rendez compte ? Le représentant de la France dans les films ricains, c’est «ouam» ! Rien que pour ça, on progresse !

Jeuneafrique.com

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