« Organisation panafricaine de la propriete intellectuelle«, les firmes instrumentent l’Union Africaine

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La Vème Conférence des Ministres des pays membre de l’Union Africaine en charge de la science et de la technologie, vient de terminer ses travaux à Brazzaville le 15 Novembre dernier. Cette conférence avait comme un des points de son ordre du jour, l’adoption d’un projet de statuts pour une Organisation Panafricaine de la Propriété Intellectuelle (OPAPI OU PAIPO en anglais). Le projet final des statuts est potentiellement très dangereux pour ces mêmes pays de l’UA auxquelles il est proposé. De par le monde, les experts se sont émus de ce que l’Afrique, un continent connu comme ayant la pauvreté pour une de ses caractéristiques principales, veuille, elle-même, se doter d’une organisation qui est configurée de tel sorte à mettre en œuvre la vision maximaliste de protection et de défense des droits de propriété intellectuelle ; vision propre aux firmes internationales de la pharmacie et de l’audiovisuel. Cette vision maximaliste devrait pourtant émaner des détenteurs directs des droits de Propriété Intellectuelle (DPI) mais, même dans cette configuration, ceux-là devraient avoir contre eux les représentants des Etats africains qui, entre autres, ont pour mission d’assurer la protection de leurs citoyens.
Aussi, en Afrique, des experts dans le domaine, ont pris leur plume pour éclairer les autorités des Etats afin que l’on ne leur fasse pas tout avaler. Ce combat semble, momentanément en tout cas, avoir porté ces fruits, car ladite Conférence des Ministres de l’UA en charge de la Science et de la Technologie, a autorisé qu’il y ait de plus amples consultations sur le contenu du projet final des statuts de l’OPAPI. Il reste à savoir comment l’UA, dont une des commissions est l’auteur du draft décrié, compte t-elle manager lesdites consultations car, l’opacité avec laquelle a été élaboré le projet de statuts, en ne procédant qu’à une consultation lapidaire des structures étatiques en charge des questions de propriété intellectuelle, ne laissent pas augurer d’une réelle volonté des animateurs du processus de doter l’Afrique d’une organisation qui défende ses intérêts en matière de propriété intellectuelle.
Au fil du temps, il s’est développé un domaine juridique qui protège la propriété intellectuelle et le droit que ce domaine codifie est, philosophiquement, un droit qui doit absolument équilibrer les intérêts des innovateurs et autres créateurs avec ceux de la société toute entière. Autrement dit, il s’agit d’un côté, de récompenser ceux qui innovent pour le bien-être qu’ils apportent à la société et, de l’autre côté, donner à la société les possibilités d’accéder aux connaissances nouvelles produites par les innovateurs car, sans la société aucune innovation n’est envisageable pour la simple raison que le savoir en circulation est la matière première de toute innovation. Le savoir est cumulatif et non rival et sa propriété fondamentale revient à la société. Il s’agit avant tout de protéger l’intérêt général en assurant la diffusion universelle des connaissances et des inventions, en échange d’une protection consentie par la collectivité aux auteurs et innovateurs pour une période limitée.
Le consensus qui a été avait jusqu’ici respecté par les législateurs des nations du monde moderne était de considérer que toute norme juridique relative à la propriété intellectuelle devrait être construite sur la base de la philosophie humaniste ayant présidé à la révolution française de 1789 et à l’élaboration de la Constitution américaine, produite par les « pères fondateurs » de cette fédération. Il faut se reporter aux déclarations du Président Thomas Jefferson sur le « fair use » et sur la non rivalité du bien qu’est la lumière, c’est-à-dire la connaissance. L’on peut citer également les positions de Adam SMITH et de tant d’autres philosophes et théoriciens du libéralisme économique et donc, défenseurs de la concurrence. C’est d’ailleurs sur cette base théorique que s’est appuyée l’Amérique pour imiter, sans retenue durant toute la phase de son développement, les brevets européens qu’elle ne s’est finalement résolue à reconnaître qu’en 1836. Le Japon et la Chine n’ont fait que la même chose. L’Afrique devrait également pouvoir bénéficier de ce type de période de grâce sans laquelle tout développement ne sera que vœux pieux. Il ne s’agira nullement de légaliser la contrefaçon car elle tue l’innovation et l’industrie des hommes mais il est question d’aménager une période suffisante sous forme de moratoire ainsi qu’une une vaste zone d’accès publique aux connaissances de base qui sont un patrimoine de tout le genre humain. Il s’agit à la fois de lutter contre la contrefaçon mais tout en prenant sans ambigüité l’intérêt de la société en charge. C’est pourquoi, la lutte contre la contrefaçon, bien qu’elle doive être menée par tous les pays membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ne devrait nullement, à elle seule, figurer au fronton d’une organisation panafricaine de la propriété intellectuelle au détriment de la prise en charge des intérêts des populations africaines.
Mais de plus en plus, en occident, des groupes d’intérêt se constituent et se donnent comme ambition de vider les systèmes démocratiques de tout sens en y privant les parlements du pouvoir de ratification des accords et traités internationaux. Cette privation est préconisée par le biais d’« harmonisations » des législations nationales de telle sorte qu’elles servent, essentiellement, les agents privés du marché et non les peuples et les Etats.
C’est ainsi que ces dernières années, des gouvernements de pays puissants, manipulés par leurs propres milieux d’affaires, ont comploté pendant trois longues années pour sortir de leur chapeau un accord inique de lutte contre la contrefaçon (Anti Conterfeiting Trade Agreement-ACTA), de l’adoption duquel ils ont cherché à exclure leurs propres parlements, c’est-à-dire les représentants de leurs populations.
De l’accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce en passant par l’ACTA jusqu’aux dernières tentatives en cours, surtout en Afrique, une volonté mercantile maximaliste vise à considérer tout médicament générique comme un médicament contrefait ; ce qui est absolument faux ! Cette lame de fond avait atteint le Kénya qui a été poussé à adopter le « 2008 Anticonterfeit Act » ; texte qui a abouti a l’interdiction des génériques du marché Kényan. Face à l’hécatombe que cela provoquait chez les malades, fort heureusement le Gouvernement a fini par l’abolir en 2012.
L’Inde dont l’orientation commerciale et politique, consiste à développer une industrie des médicaments génériques afin de satisfaire la demande en médicaments des pays en développement, est la victime d’attaques multiples de la part de ces groupes internationaux d’intérêts que sont les grandes firmes pharmaceutiques et de l’audiovisuel. Certaines d’entre ces firmes se sont jurées de mettre hors circuit l’industrie indienne du générique par des stratégies parmi lesquelles il faut citer, les réglementations et législations actuellement impulsées au niveau mondial et qui visent à mettre la production de génériques sous le label «contrefaçon ». Non contents de faire arraisonner les bateaux indiens transportant les médicaments génériques vers l’Afrique, ces firmes se cachent derrière leurs gouvernements pour se plaindre au sein des instances de l’OMC. A l’heure qu’il est l’Inde fait face à la firme NOVARTIS. La firme, considérant qu’un générique indien détruit son marché, avait déposé un brevet en Inde pour un médicament contre le cancer : l’imatinibmesylate, que le laboratoire commercialise sous le nom de Glivec dans de nombreux pays et de Gleevec aux Etats-Unis. L’Inde a rejeté cette demande de brevet en janvier 2006, car ce médicament était une nouvelle formulation d’un médicament existant déjà et, selon la loi indienne sur les brevets, il ne pouvait pas être breveté en Inde. Novartis a fait appel en 2009 et a été débouté en 2011. Actuellement, en 2012, NOVARTIS a saisi la plus haute instance juridique indienne : la Cour suprême et le verdict est très attendu. Car, il aura des conséquences incalculables sur le commerce mondial des génériques, donc sur les pays en développement. Il est à noter que de cette décision dépendra, à n’en pas douter, la survie de millions de malades. De plus, l’Inde vient d’être inscrite par le Ministère américain du commerce sur la « 2012 Special 301 List » des pays « mauvais partenaires commerciaux à sanctionner » pour cause de sa législation sur les Brevets jugée contraire aux intérêts de la libre concurrence. L’Inde est instruite de réformer complètement son droit des brevets !
La stratégie générale des firmes pharmaceutiques et audiovisuelles consistant à mettre en place ce que le projet des statuts de l’OPAPI a appelé « a world-class IP systems» transparait à travers les exemples suivants cités par Philippe Quéau (1999) : « Depuis le début du siècle, le Congrès américain allonge régulièrement la durée du copyright au détriment du domaine public. En 1998, le 27 octobre, le Congrès a voté le Sonny Bono Copyright Term Extension Act qui fait passer la durée du copyright de soixante-quinze à quatre-vingt-quinze ans après la mort de l’auteur. On peut interpréter cet allongement unilatéral de la protection, sans aucune contrepartie pour le «bien commun», comme faisant essentiellement le jeu des grands groupes de communication, et on pourrait y voir aussi une tendance lourde à la disparition pure et simple du domaine public. Cette évolution a été voulue par les éditeurs – et obtenue sans réel débat ». Cette tendance de fond à renforcer (sans contrepartie pour l’intérêt général) les intérêts catégoriels peut aussi se lire à travers l’évolution du droit de la propriété intellectuelle sur le vivant ou sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) (5). Certaines firmes cherchent à empêcher la réutilisation des graines produites par les fermiers eux-mêmes car elles sont «protégées» par un droit de propriété intellectuelle ».
Dans un tel contexte, chaque Etat africain devrait se doter de l’expertise nécessaire à une juste appréciation des implications économiques, sociales et culturelles des clauses juridiques contenues dans les accords et traités qu’il signe, au lieu d’en confier l’examen à des cabinets d’étude ou à des clercs, très souvent incompétents et très intéressés, dont la préoccupation majeure semble être les gains privés qu’ils peuvent tirer de leurs positions de responsabilité ou de consultants.
Ainsi, en est-il de ceux qui ont conçu et mis en œuvre le processus d’élaboration du projet des statuts de l’OPAPI. Outre l’opacité et le secret qui a entouré le processus jusqu’ici, il y a aussi que le draft ignore royalement les acquis que les pays africains ont obtenus dans un combat commun, au prix d’efforts soutenus, à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), combats menés depuis les années 80 à nos jours. Parmi ces acquis, il y a eu un ensemble de décisions qui ont réaffirmé le principe humaniste de la nécessité de sauvegarder les droits de la société en matière de législation et de réglementation sur la propriété intellectuelle. L’on peut citer la difficile obtention de la révision de l’accord sur les ADPIC, notamment en son article 31 ; il ya aussi la Déclaration de la Conférence de Doha et la Santé Publique. Tous ces acquis, ont fini par consacrer le droit pour les PVD qui en ont les capacités technologiques, de produire des génériques et c’est de ce droit qu’use l’Inde pour servir les PVD en médicaments de bonne qualité et à moindre coûts.
La création de l’OPAPI, préconisée, sans doute innocemment, par les Chefs d’Etat Africains afin de renforcer les capacités technologiques, de recherche et d’innovation des pays du continent, est en train de virer au drame par une corruption de l’objectif initial du fait de clercs non avertis ou coupablement intéressés.
Ces clercs envisagent, dans le projet des statuts, que la nouvelle organisation aura un Conseil des Ministres et son bureau, un Comité des Experts et son bureau; une Commission de Recours et la Direction Générale dirigée par un Directeur Général nommé, non pas par l’Assemblée Générale de l’UA mais par le Chef de la Commission de l’UA. Il serait intéressant de chercher à savoir comment un tel Directeur pourrait-il ne s’appuyer que sur un Comité d’experts, du reste dont le choix est envisagé très indirecte et sélectif, pour engager les destinés de tout un continent en ayant, à priori, la liberté de signer des accords et traités internationaux dans le contexte actuel de la propriété intellectuelle, lourd d’enjeux de survie des populations !
Pire, les auteurs du draft des statuts de l’OPAPI ne semblent avoir tenu compte d’aucune observation critique nationale et ils se sont entêtés à s’envisager un ensemble d’autres habilitations et attributions exorbitantes que les Gouvernements du Continent devraient, absolument, veiller à ne jamais leur donner. Parmi ces habilitations et attributions, qui privent, les pays africains de la souveraineté d’élaborer eux-mêmes, leurs politiques nationales de santé, de recherche, d’accès à l’éducation, au savoir et d’innovation ; on peut citer l’autorité légale de :
(i) signer des contrats et des accords, -notez : à la place des Etats et de leur parlements respectifs, sauf seulement, – dans le domaine de la gestion collective du droit d’auteur et des droits connexes;
(ii) disposer de biens mobiliers et immobiliers propres
(iii) disposer d’une personnalité morale au plan juridique et administratif
Afin d’exécuter les missions suivantes :
1 Etablir les normes de propriété intellectuelle à l’intention des Etats membres et des Communautés Economiques de l’Union Africaine
2 d’enregistrer et de délivrer les titres de propriété intellectuelle; ce que font déjà l’OAPI et l’ARIPO ;
3 Faciliter la réalisation de l’harmonisation des normes à tous les niveaux de l’Union Africaine;
4 Faciliter l’usage de la propriété intellectuelle pour promouvoir la créativité et l’innovation sur le continent;
5 Assister les Etats membres dans l’élaboration de politiques et dans le traitement des questions actuelles et émergentes en matière de propriété intellectuelle, sans doute pour qu’elles soient conformes aux objectifs de l’OPAPI ;
6 Inititier des stratégies qui assureront et développeront le système de propriété intellectuelle ;
7 Renforcer les organisations régionales existantes et de telles autres organisations en tant que de nécessaire ;
8 Renforcer les organisations-notez étrangères- de gestion collective du droit d’auteur et de faciliter leur installation dans les Etats n’ayant pas de tels types d’organisations au plan national
9 Prendre des mesures d’autorité de promotion de la protection et de l’exploitation des droits de propriété intellectuelle au sein des Etats membres, y compris la conclusion et la signature d’accord bilatéraux;
10 Collecter, traiter et diffuser des informations de qualité sur la propriété intellectuelle aux Etats membres et soutenir la création de bases de données sur les ressources génétiques, les savoirs traditionnels et les expressions culturelles traditionnelles pour que les Etats en tirent le maximum de profit ;
11 Développer des orientations modernes et des modules de formation permettant aux Etats membres de créer un système de classe internationale en matière de propriété intellectuelle ; et enfin,
12 Faire tout ce qui sera nécessaire pour l’atteinte des objectifs de l’OPAPI.
Parmi les pouvoirs consacrés par le projet des statuts, les points (i), (ii), et (iii) constituent respectivement une revendication pour se substituer aux Etats sur un aspect crucial : la signature des accords et traités et la consécration de l’autonomie juridique de l’OPAPI de tout organe de contrôle réel, y compris même de l’UA. Quant aux attributions codifiées par les points 1, 2, 3, 5, 7, 8, 9, 11 et 12, on voit qu’elles sont chacune plus inique que l’autre, si l’on comprend la stratégie mondiale actuelle des firmes en matière de protection, de défense et d’exploitation des droits de propriété intellectuelle.
Aucun Etats, un tant soit peu averti, ne devrait déléguer de tels attributs, qui sonnent comme un blanc-seing, à des clercs, de surcroit choisis et nommés selon un processus incroyablement protégé et bureaucratique. Les Présidents et les Gouvernements Africains qui adopteraient de tels statuts devront, plus tard, rendre compte à l’histoire d’avoir, à un moment de leur magistère, tourné résolument le dos à la santé de leurs populations, à l’accès au savoir de leurs chercheurs, inventeurs et autres innovateurs, à l’accès à la culture et au bien-être de tous leurs concitoyens. Ils auront ouvert la porte à des rapaces qui feront de tout un objet de marchandage, au grand dam de l’orientation plutot développementaliste, dominante malgré tout dans le continent jusqu’à présent. L’UA est un organisme qui avait été mis en place pour le développement des pays africains mais non dans le but de servir d’officine pour les livrer mains et points liés aux affairistes internationaux. Le projet des statuts de l’OPAPI est même allé jusqu’à priver les pays africains du moratoire et de certaines flexibilités que le tant décrié Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent aux Commerce (accord sur les ADPIC) leur avait concédé à l’issue de combats retentissants ! Et c’est des Africains qui comptent faire cela aux Africains ! Les peuples devraient se lever et créer partout des organisations civiles de la propriété intellectuelle afin de mener un processus permanent de veille qui produise des outils d’aide à la décision pour ne pas laisser des clercs incompétents, avides et sans scrupule abuser les décideurs de nos Etats.
Ibrahima DIOP
Consultant en Economie et Management de l’Innovation et de la Propriété Intellectuelle. [email protected]

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