Ousmane Sembène, féministe jusqu’au bout de la plume

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Aux côtés des masses populaires, l’écrivain Ousmane Sembène a fait de la lutte contre les forces de domination, de l’obscurantisme, un sacerdoce. Féministe avant-gardiste, il était convaincu qu’on ne peut pas laisser les femmes en rade et aspirer à la libération, au développement.
Le Professeur Amadou Ly de l’Université Cheikh Anta Diop présente l’écrivain Ousmane Sembène comme un cas à part. Son cursus même en fait un homme engagé, dit-il. Toute sa production littéraire, depuis «Le Docker noir» jusqu’à «Guelewar», en passant par «Les Bouts de bois de Dieu», «Xala», est marquée par l’expression de sa lutte aux côtés des masses contre les forces de domination, de l’obscurantisme, de la religion qui prône la soumission, la résignation.
Son œuvre majeure «Les Bouts de bois de Dieu» retrace la grève des cheminots du train Dakar-Niger dans les années 40. «La grève a été très dure, très longue et s’est soldée par la victoire des travailleurs, évoque le Pr. Ly. Il y a eu des morts, des trahisons, des reniements». Le spécialiste de la littérature africaine note le féminisme de l’écrivain à travers les femmes qui jouent un rôle capital, aussi bien dans «Les Bouts de bois de Dieu» que dans «L’Harmattan» et «Le Mandat».
Ousmane Sembène est aussi communiste. Il a observé la société dominée par la phallocratie (domination des hommes), la gérontocratie (domination des vieux) et la religion. L’écrivain a vécu dans un pays communiste, fait ses études dans les pays de l’Est, où la femme est totalement libérée, où il existait déjà des femmes soldats. Il a estimé (le Pr. Ly) qu’avec les femmes qui constituent la moitié de la population, on ne pouvait pas les laisser derrière et aspirer à la libération, au développement. «Ce sont des agents économiques importants et donc, il a pris la décision de porter le combat du féminisme», selon l’universitaire.

Féministe avant-gardiste
Sembène a été plus féministe que les femmes, il était à l’avant-garde de nos écrivains femmes qui, plus tard, viendront porter le combat». Ce que l’on peut retenir du style de Sembène, notamment dans «Les Bouts de bois de Dieu», c’est une écriture à mi-chemin entre le roman et la littérature orale, avec une certaine propension au dialogue. Le style est très simple et ne sert qu’à encadrer les dialogues et les personnages. Dans d’autres romans comme «Guelewar», il s’inspire du cinéma comme des scénarii, des scripts de film. Il n’a pas fait d’études littéraires poussées. Il transcrit ce que le peuple a dit. Son collègue Alioune Tine (de la Raddho), dans un article, parlait d’oralité feinte dans l’écriture de Sembène. Avec une subtilité, il recrée le style oral : un système de dialogue simple, plus élaboré. À part «Le Docker noir» (son 1er roman), le Pr. Ly soupçonne Sembène d’avoir toujours écrit dans la perspective du cinéma. Selon lui, il a crée des personnages bien typés avec des scènes qui se succèdent comme au cinéma (traveling, zoom…).  L’écrivain a décrit des lieux, des hommes, par exemple, la marche des femmes de Thiès à Dakar (lors de la grève des cheminots). Il a écrit dans la perspective d’exalter les combats de son peuple à travers des personnages symboliques comme Bakayoko dans «Les bouts de bois Dieu», Thioune dans «Guelewar». Les personnages sont nobles avec un sens élevé du devoir.
La critique nigériane Muriel Ijere, citant A. Chemain-Degrange dans «Emancipation féminine et roman africain» (Les Nouvelles éditions africaines, Dakar, 1980, p. 310), décrit dans la revue «Ethiopiques», n°48-49, une démarche constructive entreprise par Sembène Ousmane qui repense les traditions, pour en isoler les formes qu’il estime parasitaires comme la polygamie. D’autre part, relève M. Ijere, il essaie de concevoir un monde socialiste dans une perspective résolument féministe. Selon elle, la culture islamique donne à la femme africaine, dans la société traditionnelle, un rôle de second plan tandis qu’elle met l’homme en évidence. Sembène Ousmane dépeint la condition féminine dans tous ses romans et y pose le problème délicat de la polygamie. Le thème revient sans cesse dans son œuvre, fait qui nous montre l’importance qu’il y attache. «Cet auteur est musulman, mais nous pouvons déceler en lisant ses romans qu’il n’est pas un adepte de la polygamie, remarque Muriel Ijere. Soutenu par quelques autres écrivains africains tels que Mongo Beti, Ferdinand Oyono et Ahmadou Kourouma, il dénonce la condition de la femme africaine et propose des solutions pour l’amélioration de son existence. Ces romanciers sont certains que la libération de l’Afrique et celle de la femme africaine se feront conjointement.

Par E. Massiga FAYE

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