Ousmane Sow : Le Sculpteur Qui Venait Des Étoiles

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OUSMANE SOW : LE SCULPTEUR QUI VENAIT DES ÉTOILES

Amadou Lamine Sall
poète

La beauté du cœur est la lampe du visage aux confins de l’âge.
Ousmane avait du cœur. Ousmane était beau. Ousmane était bon. Ousmane avait 81 ans mais un visage ensoleillé. Je l’aimais. Nous l’aimions. Il faisait partie de ma famille. Il me rendait mon amitié, mon infinie tendresse. C’est à Gérard Sénac que j’ai pensé dès que j’ai appris la nouvelle. Il était son papa préféré. Il lui vouait un émouvant attachement. Je n’ai pas manqué de m’inquiéter quand j’ai remarqué son absence à la fête des 90 ans d’Eiffage Sénégal. Il ne ratait jamais un rendez-vous de son « fils » Sénac.

J’étais présent à Paris quand on le recevait à l’Académie des Beaux Arts. Je garde encore en mémoire cette célébration d’un des plus grands sculpteurs du 20ème siècle. Il aura participé de manière solide et durable au rayonnement culturel, artistique du Sénégal, comme Youssou Ndour dans la musique, Ismael Lô, Baba Maal. Ousmane était l’un de nos plus puissants ambassadeurs. Mieux: Ousmane Sow était presque devenu un visa. Son seul nom suffisait à situer le Sénégal, comme l’était hier et encore aujourd’hui Senghor.
Notre pays doit une vraie tombe à cette belle figure de l’art.

Ton exposition sur le Pont des Arts à Paris, mon cher Ousmane, a ouvert des solidarités humaines. Un jour, alors que j’étais dans la queue au poste de police de Roissy Charles de Gaulle, j’entends le fonctionnaire français demander à mon compatriote qui présentait son passeport avec apparemment quelques problèmes avec son visa, s’il était un parent d’Ousmane Sow le sculpteur, car il portait le même nom et prénom. J’avançais au guichet et répondis : « c’est son frère ». Le policier me regarda, puis souris et dit: « Je suis allé voir avec ma famille son exposition sur le pont des Arts à Paris. C’est inoubliable ». Il apposa son cachet. Il ne lui restait qu’à demander un autographe. J’étais fier de ce que la culture de mon pays avait donné au monde comme visage.

On ne s’habitue jamais à la mort. Elle nous glace toujours. Et pourtant elle est la seule grande vérité de notre espèce. Mais on peut échapper à la mort, se venger d’elle, quand on laisse comme Ousmane, une œuvre et un nom qui affronteront les siècles et les étoiles. Picasso l’a fait, pour ne citer sommairement que lui.

Si je devais remplacer le nom d’Ousmane Sow par un unique mot, ce serait: grâce. Oui, il avait la grâce. Il était parvenu dans la recherche et la créativité, à asseoir une marque et un cachet qui lui appartenaient. Sa signature était unique.

Au delà de son généreux physique qui ne laissait personne indifférent, au delà de la spécificité et de la surpuissance de son art, nous étions arrivés à penser qu’il était invincible. La mort est venue nous démentir. Quelque soit ce que Dieu vous a donné, vous finissez toujours par être battu soit par la mort, soit par le temps. Avec ces deux, nous finissons toujours par nous réfugier dans l’humilité.

Au-delà du phénoménal artiste, j’avais, mesurant son parcours, appris de sa vie au contact des obstacles qui ne manquent jamais sur la route de ceux qui travaillent et réinventent leur pays à la face du monde, que les plus grandes ressources naturelles de nos pays sont la paresse, la contestation, la critique, la médisance. Ousmane était un élu de Dieu dans ce dur et usant métier de sculpteur. Il suffit de regarder ses œuvres coulées dans le bronze pour résister au temps, pour être convaincu de ces miracles que toute sa vie durant, il réalisait au corps à corps avec la matière.

Ousmane n’avait rien attendu de l’État. Son art précédait l’État. L’art d’ailleurs, devance toujours l’État. L’art nait toujours de l’art. Ce ne sont pas tous les artistes qui attendent l’aide publique pour exister. Certains, au nom de ce qu’ils sont, ont préféré toujours répudier l’aumône. Ils ont porté très loin le nom de leur pays, sans rien attendre ou exiger de l’État. Ils ont refusé de faire partie des détaillants qui vont toujours chez le même grossiste, sans jamais donner des gages à la vraie création et au respect de l’art. Nous ne souhaitons pas que le destin des artistes soit de toujours demander à l’État de l’assistance pour se soigner et manger. Ce n’est pas de cette manière que nous inviterons les jeunes artistes à aller vers l’art. Ce n’est pas un peuple misérable d’artistes que nous voulons pour notre pays, mais un peuple d’artistes fiers, féconds, riches, généreux, humbles.

Ousmane représentait finalement quelque chose de plus grand que lui. C’est cela qui nous attachait à lui. Il voulait vivre et pour vivre, il faut rester soi-même. L’art est une maison. L’artiste est locataire ou propriétaire. Ousmane était propriétaire et la maison avait fini, par son génie, à lui ressembler. Il restera pour nous le fondateur d’une école artistique et sculpturale. Il a créé une sculpture natale. Il a fondé sa propre valse, son toucher propre. Il a créé de son vivant sa postérité, en montrant le chemin. Sa vie et son nom se prolongeront dans ce qu’il a apporté au monde, au nom de son pays le Sénégal. Il nous a finalement appris qu’il n’y a pas d’art. Il n’y a que des artistes pour toujours inventer l’art. L’artiste est la fusion entre l’illusion, l’imaginaire, la créativité, la grâce, le réel et l’irréel. Un vrai artiste s’inscrit plus dans la postérité que dans l’avenir.

Ousmane Sow vient d’épuiser son temps de vie parmi nous. Il lui reste son temps de joie éternel auprès de Dieu. Les anges et les oiseaux du paradis seront désormais ces compagnons, à la droite du Père. C’est notre prière au milieu de nos larmes, nous qui t’avons tant aimé Ousmane.

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