Ousseynou Samba, Enseignant à la Faculté de Droit de l’UCAD: «Le vice congénital de la CREI a, en quelque sorte, entaché la procèdure»

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La cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) rend son délibéré ce lundi. Cela, après presqu’un mois de débat sur les exceptions. Ousseynou Samba, enseignant en droit privé à la faculté de droit de l’université cheikh Anta Diop de Dakar revient, dans cet entretien qu’il nous a accordés, sur les raisons des exceptions soulevées, leur chance de succès, le recours contre la décision de la cour relative aux exceptions, entre autres. Il soutient que « c’est le vice congénital de la Crei qui, en quelque sorte, a entaché la procédure»

Le procès de Karim Wade et ses présumés complices reprend ce lundi après un mois de débat sur les exceptions entre avocats de la défense et ceux de la partie civile. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Le temps de la justice n’est pas le temps des humains. Les gens avaient peut-être pensé, que dès l’ouverture du procès les choses allaient s’accélérer, et que l’interrogatoire sur le fond allait commencer. Or, dans une procédure pénale, la loi permet aux parties, avant même que le procès ne commence de soulever des exceptions. Que celles-ci soient des exceptions d’incompétence, d’irrecevabilité ou de nullité. Seulement, la loi dit qu’elles doivent être soulevées in liminelitis, c’est-à-dire avant toute défense au fond sous peine d’être frappées de forclusion. Juste pour dire que ces exceptions sont soulevées par les parties dans le cadre d’un procès équitable et du respect des droits de la défense. Il faut juste rappeler que le procès pénal a des règles dont l’inobservation permet aux parties de soulever les manquements devant la juridiction de jugement. Il ne s’agit peut-être pas des exceptions dilatoires, c’est-à-dire celles soulevées uniquement dans le but de retarder le procès. Mais je pense que les parties les soulèvent soit pour relever l’incompétence de la juridiction appelée à connaitre l’affaire soit pour demander l’annulation des actes pris durant la procédure soit refuser la constitution de partie civile de l’Etat etc. Par conséquent, le procès peut durer longtemps, les avocats peuvent à chaque fois soulever des exceptions. Il est encore possible que les avocats continuent à soulever des exceptions. Le jugement au fond ne pourra avoir lieu que lorsque toutes les exceptions auront été vidées par les juges. La longueur des débats sur les exceptions fait partie des règles de la procédure.

Les avocats de Karim et Co-prévenus soulignent que de l’enquête préliminaire jusqu’à l’instruction, la procédure, est entachée de nullité. Ils demandent, par ailleurs l’annulation de la procédure. Peuvent-ils obtenir gain de cause au regard des arguments développés devant la cour ?

Une enquête a été ouverte devant la section de recherches de la gendarmerie de colobane. Est-ce que les officiers de police judiciaire ont mené les opérations dans les règles de l’art ? C’est une question à laquelle je ne pourrai me prononcer. Tout de même, s’il est avéré qu’il y a des manquements dans les pièces du dossier relatifs au respect des droits de la défense, ou à la violation de certains aspects de la procédure pénale, les avocats ont effectivement le droit de soulever des exceptions et demander l’annulation des actes concernés. Dans le cas positif, la cour peut déclarer recevable en annulant les actes opérés sur cette base

Au cas où les exceptions seraient rejetées, pourront-ils exercer un recours contre une telle décision?

Le recours ne pourra être exercé qu’après le jugement. Si les exceptions sont vidées, la cour va maintenant statuer au fond. Le débat au fond va avoir lieu. Ce qui permettra aux parties de débattre sur l’enrichissement illicite ou non du prévenu. Maintenant, lorsqu’une décision aura été rendue, les exceptions qui n’avaient pas été soulevées ne pourront plus l’être en cas de pourvoi en cassation. C’est ce que les avocats ont compris en soulevant toutes les exceptions au risque de les voir rejeter en cas de pourvoi en cassation. Donc, on ne peut pas pour la première fois soulever une exception devant la juridiction de cassation. Raison pour laquelle, c’est à bon droit qu’ils soulèvent leurs exceptions, pour en cas d’insatisfaction les reconduire devant les juges de cassation lorsque le jugement aura été rendu.

L’absence d’une chambre d’accusation (juridiction du second degré) pour connaitre les décisions de la commission d’instruction, n’a-t-elle pas accentué les débats sur les exceptions devant la cour ?

Malheureusement, la cour dans son fonctionnement revêt des imperfections. Le fait déjà que les décisions de la commission d’instruction ne soient pas susceptibles d’appel constitue une atteinte aux droits de l’homme et au procès équitable. En principe, toute personne jugée en première instance a le droit d’être rejugée en cas d’insatisfaction de la décision rendue. Malheureusement, pour la Crei, la loi n’autorise pas l’appel. Seul le pourvoi en cassation est possible. C’est ce vice congénital de la Crei qui, en quelque sorte, a entaché la procédure.

La défense a surtout insisté sur l’irrecevabilité de l’agent judiciaire de l’Etat et de ses conseils à se constituer partie civile. A –t-elle des chances de succès ?

En matière de procédure pénale, la partie civile est celle qui demande au tribunal la réparation du préjudice subi. Le code de procédure pénale en son article 2 dispose que « l’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par une infraction ». C’est dire, lorsqu’une personne se constitue partie civile, elle prétend avoir subi un préjudice. Cependant, elle est assujettie à l’obligation d’indiquer clairement le montant de sa demande et de la justifier.

Il s’agit d’un délit d’enrichissement illicite. A priori, la personne n’étant pas capable de justifier l’origine licite de son patrimoine, on considère qu’elle s’est illicitement enrichie. Si l’Etat se constitue partie civile, c’est parce que l’enrichissement est liée aux fonctions de la personne poursuivie. Il y a là, de ce point de vue, une différence entre le délit d’enrichissement illicite et celui du détournement de deniers publics. Dans le cas des deniers publics, on sait que c’est l’argent de l’Etat qui a été détourné contrairement à l’enrichissement illicite où la personne peut s’enrichir en vendant de la drogue ou en dirigeant une maison de proxénétisme. Dans ce cas de figure, l’Etat ne pourrait pas réclamer la réparation parce qu’il n’a subi aucun préjudice.

Par conséquent, l’Etat devra justifier le préjudice subi pour espérer obtenir une réparation. La loi dit clairement que la partie civile doit justifier non seulement le dommage mais également le montant. Est-ce que l’Etat pourra apporter des éléments de justification devant prouver que Karim s’est enrichi grâce aux deniers publics lui appartenant (à l’Etat)

Quelles peuvent être les conséquences de l’irrecevabilité d’une telle constitution ?

L’irrecevabilité d’une constitution ne changerait rien dans la mesure où les parties principales dans un procès pénal sont le ministère public et les parties poursuivies. Toute autre personne physique ou morale qui interviendrait dans la procédure n’est qu’une personne accessoire. Par conséquent, hormis l’Etat une autre personne qui se sent lésée peut valablement se constituer partie civile. Elle peut se constituer partie civile à tout moment tant que le parquet n’a pas pris son réquisitoire. C’est dire que l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’Etat ne modifie en rien la procédure.

Il n’est pas exclu que des personnes physiques ou morales se constituent parties civiles en cours de la procédure ?
La constitution de partie civile peut se faire tant que le parquet spécial n’a pas pris son réquisitoire. Une fois que le parquet a pris son réquisitoire, on ne pourra plus se constituer partie civile. Ce qui veut dire, qu’à toute étape de la procédure et seulement avant le réquisitoire du ministère public, toute personne qui se croit lésée par l’infraction ne peut se constituer partie civile. Elle intervient non pas pour parler de l’infraction mais du préjudice subi. Elle ne peut demander ni la condamnation de la personne poursuivie ni sa relaxe mais la réparation du dommage subi.

A l’occasion du débat sur les exceptions, les conseils de la défense ont appelé la partie civile à démontrer l’existence du préjudice subi et son lien avec l’enrichissement illicite. A la clôture des exceptions, la réponse à cette question n’a pas été fournie. La constitution de partie civile a-t-elle des chances de prospérer ?

La loi dit clairement que la personne qui se constitue partie civile a l’obligation d’énoncer avec exactitude le montant demandé et l’accompagner de pièces justificatives. C’est pourquoi, je disais tantôt, est-ce que l’Etat est capable d’apporter la preuve du préjudice subi du fait des agissements de Karim Wade. Une chose est de se constituer partie civile, une autre est d’apporter la preuve du dommage causé. Loin pour moi de dire que c’est impossible. Peut –être que l’Etat a des preuves de détournement, de malversations, de prise illégale d’intérêt. De ce point de vue, rien ne lui interdit de se constituer partie civile. Seulement, il faut apporter la preuve que les détournements sont évalués à un tel montant avant de pouvoir demander leur remboursement.

Sans la justification de la demande, la constitution de partie civile pourra-t-elle prospérer ?

Il faut que la demande soit chiffrée et que l’Etat soit en mesure d’apporter la preuve.

Les avocats de Bibo Bourgi sont allés jusqu’à demander l’intervention du chef de l’Etat pour l’évacuation de leur client à l’étranger. N’y-a-t-il pas là une contradiction entre un appel incessant à la séparation des pouvoirs et une demande pour un appui judiciaire

Je suis surpris d’entendre que les avocats de Bibo Bourgi aient demandé l’intervention du chef de l’Etat dans une affaire judiciaire. Nous sommes dans un Etat de droit. Le Sénégal a consacré de manière forte la séparation des pouvoirs. L’exécutif n’a aucun ordre à donner au judiciaire. Le judiciaire n’a aucune injonction à recevoir de l’exécutif. Le principe de la séparation des pouvoirs veut que chacun exerce ses pouvoirs de manière indépendante. Les magistrats dans l’accomplissement de leurs fonctions ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi et ils doivent rendre la justice en toute impartialité. Si par extraordinaire, le Président voudra intervenir, je me demande par quels moyens il pourra le faire.
L’évacuation de Bibo Bourgi ne dépend que de la seule volonté des juges de la cour. Si les rapports d’expertise sont de nature à convaincre les juges que M. Bourgi mérite d’être évacué à l’étranger, ils peuvent sans difficulté accepter son évacuation à l’étranger. S’ils ne sont pas convaincus, ils ont le droit de refuser que Bibo quitte le Sénégal. Le problème, c’est le lieu où il doit être évacué du fait de sa double ou triple nationalité. La France à l’instar du Sénégal n’extrade pas ses nationaux quelle que soit la gravité de l’infraction. Le risque, c’est qu’en acceptant son évacuation en France, il peut ne pas revenir au Sénégal. Nous ne pourrons pas compter sur la France pour l’extrader car, elle ne livre pas ses nationaux. De là, à demander l’intervention du président de la République, ce serait vraiment faire reculer notre démocratie. On ne peut pas crier à la politisation et en même temps demander l’intervention du chef de l’Etat. Le Président de la république ne peut pas s’immiscer dans une procédure judiciaire en cours. S’il le faisait, ce serait extrêmement grave.

Par Sudonline.sn

2 Commentaires

  1. Quand il s’est agit de la candidature de WADE tous les juristes qui le contestaient, évoquaient l’esprit de la loi; maintenant pour le cas de la CREI, la lettre dit clairement qu’elle viole la constitution que nos juristes refusent de dénoncer. Donc chers juristes , dénoncez ou taisez-vous ?

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