Le tourisme au Sénégal traverse des moments très difficiles, selon le président de l’Association des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration (Aphore). Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Pape Béranger Ngom revient sur les causes de la crise dans le secteur et trace des voies de sortie. Toutefois, il prévient que tout ministre échouera s’il ne s’occupe pas du problème particulier au niveau de l’accueil à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, vitrine du Sénégal.
Quelle appréciation faites-vous de la gestion de votre ministre de tutelle, Youssou Ndour, depuis sa prise de fonction ?
Je n’ai pas encore vu un programme adéquat qui répond aujourd’hui aux besoins des hôteliers du Sénégal. Youssou Ndour est en train de mettre un programme pour promouvoir la destination de Ziguinchor. Il est même en train de mettre en place l’aérodrome là-bas.
Ce n’est pas une bonne chose à votre avis ?
Si, c’est une bonne chose, mais il ne devait pas commencer par là. Il fallait commencer par le commencement. La capitale du Sénégal, c’est Dakar où viennent énormément de touristes d’affaires. Il y a énormément de séminaristes qui sont là. En somme, on a un tourisme d’affaire à Dakar. Dakar, c’est un secteur porteur. Il y a aussi d’autres secteurs porteurs comme les stations balnéaires, comme celles de Saly Portudal. Nous avons détérioré cet espace-là. Il y a trop de manquements. Il fallait qu’il se focalise sur ces deux axes d’abord. Une fois qu’il a fini de les rétablir, de les mettre à niveau. Mais avant cela, il faut assurer la sécurité de l’aéroport. Je suis sûr que tout ministre qui arrive, s’il ne met dans ses urgences l’histoire de l’accueil à l’aéroport, va échouer. Parce que l’aéroport, c’est la vitrine du Sénégal. Tout le monde sait que l’accueil est très important dans un pays en voie d’émergence et à vocation touristique. C’est très important. Et si nous ne mettons pas cela avant, ça ne marchera point.
Qu’est-ce qui se passe concrètement à l’aéroport ?
L’accueil n’est pas bon à ce niveau. Quand le client descend à l’aéroport, il est assailli, acculé, bousculé et même agressé au point de se décourager. Et quand on est découragé d’entrée, on n’a plus envie de revenir. Et quand on n’a plus envie de revenir, ça nous fait une mauvaise publicité parce que ça ternit l’image du Sénégal.
Vous parliez aussi des auberges qui freinent le tourisme?
Oui, les auberges poussent comme de petits champignons. Et c’est la faute à l’Etat qui doit mettre un service de contrôle pour identifier tous les hôtels clandestins qui ne répondent pas aux normes. Pour les fermer ou les régulariser. Parce que ces réceptifs constituent une insécurité totale.
Par exemple ?
Ces auberges favorisent la prostitution. Parce que ces gens ne vont pas dans des hôtels dignes de ce nom où ils sont identifiés. Or, dans ces auberges, personne ne s’intéresse à l’identité des entrants et des sortants.
Sur quoi porte essentiellement l’insécurité ?
L’insécurité est là. Aujourd’hui, dans les alentours de l’aéroport, avant de rentrer dans votre voiture, vous pouvez-même être tué. Parce qu’une fois que tu sors de l’aéroport, il n’y a plus de sécurité. Au niveau des auberges, les gens y entrent comme ils veulent. Aucun contrôle. Ils y font ce qu’ils veulent. Quelqu’un peut vous tuer sans grand risque parce qu’on aura du mal à l’identifier. Il y a aussi le problème d’hygiène qui constitue une insécurité à ce niveau. Si ces établissements ne répondent pas aux normes en vigueur, c’est de l’insécurité.
Quel bilan tirez-vous, concrètement, de la gestion de Youssou Ndour ?
Personnellement, je n’ai pas encore vu ce que j’attendais de Youssou Ndour. Je ne dirai pas non plus que c’est très tôt pour le juger. Mais, moi j’attends de lui un programme adéquat. S’il le pose et que l’argent ne suit pas, on n’accusera pas Youssou Ndour de n’avoir pas fait son travail. Donc, il doit poser un programme. Aujourd’hui, les touristes ne viennent plus. Les établissements hôteliers marchent au ralenti.
Quelles sont les conséquences de cette panne des activités hôtelières ?
Je crois qu’il y a le chômage qu’il faut citer en premier. Quand, au niveau international, on donne un carton rouge au Sénégal, sur l’insécurité qui est là, on le vit au quotidien. Pourquoi l’Etat ne trouverait-il pas des sites de recasement de tous les marchands ambulants et de les organiser ? Les autorités peuvent créer une agence de régulation des marchands ambulants ? C’est important parce que ça pourra permettre aux étrangers qui viennent dans notre pays de pouvoir identifier les gens et les sites. C’est vraiment au ministère de le faire. Il y a des techniciens et agents capables de le faire parce qu’ils connaissent le problème. Et tant qu’il n’est pas réglé, rien ne pourra fonctionner dans ce secteur. Parce que les touristes n’auront aucun courage de revenir au Sénégal. Mais, si le tourisme est bien organisé au Sénégal, les tourismes vont revenir. Et tout pays en voie d’émergence a besoin de ça. Et ça ferait beaucoup d’emplois. Parce qu’il faut savoir qu’il y a, selon les statistiques, 14 mille emplois directs et 21 mille autres emplois indirects. Et sur les recettes générées par an, en 2007, c’était 306 milliards de Fcfa. Ce sont donc des milliards de nos francs. C’est pourquoi, on devrait mieux s’occuper de ça au lieu de faire du folklore.
Vous êtes le patron de l’Aphore. Que pensez-vous de la préférence nationale à ce niveau ?
Notre position n’aura pas beaucoup d’impact tant que l’Etat ne nous accompagnera pas en mettant en place une banque pour permettre aux hôteliers qui travaillent et qui ont l’expertise de pouvoir construire des établissements hôteliers avec un taux de remboursement allégé qui nous permettra de mettre en place des structures hôtelières et d’occuper la place. Parce qu’il faut que le tourisme revienne de droit aux nationaux. Mais l’Etat doit nous aider. Sinon, on ne pourra pas le faire. Source : La Tribune
