Patrimoine financier, Complicité de recel : Comptes et mécomptes d’Abdoul Mbaye

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Vers la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire ?

En exil au Sénégal depuis 1990, Hissène Habré, l’ancien président du Tchad, sera jugé à Dakar, en 2013, par une Cour spéciale. Mais avant, le garde des Sceaux ministre de la Justice Aminata Touré se dit prête à «enquêter sur le patrimoine financier de Hissène Habré». Elle a donc ouvert l’outre aux vents. Son chef de gouvernement, Abdoul Mbaye, Directeur de banque à l’époque des faits, aurait blanchi des milliards subtilisés par l’ancien dictateur… Enquête sur une affaire Habré-cadabrantesque !

Après avoir arraché le pouvoir suprême, le 7 juin 1982, il régnera huit ans durant, d’une main de fer, avant de s’enfuir en emportant avec lui une grande partie des fonds de l’Etat tchadien et en faisant tuer au passage des prisonniers politiques détenus à la Présidence. En «transit politique» au Cameroun, il trouvera plus tard refuge au Sénégal, «grâce au soutien résolu de son ami François Mitterrand (président de la République française), intervenu avec insistance auprès de son autre ami, Abdou Diouf».

Il est constant que l’ancien homme fort de Ndjamena répondra, dans les mois à venir, «des exécutions sommaires, massacres ethniques et crimes contre l’humanité». Mais, à côté, il est tout aussi exact d’affirmer qu’il a débarqué à Dakar avec environ 16 milliards Fcfa (avant dévaluation). «Son argent ne s’est pas envolé en un coup de baguette magique. C’est un pactole de 10 millions de dollars qu’il aurait volé des caisses de l’État tchadien, juste avant son départ. C’est bien connu : Hissène Habré a fait beaucoup de placements financiers sous forme de prête-noms», explique notre interlocuteur qui a été proche des gestionnaires de la fortune du Président Habré.

«Il y a de fortes chances qu’il ait placé son argent dans des affaires ici, au Sénégal, et ailleurs. Cela expliquerait sa générosité, toujours intacte, vingt-deux ans après son arrivée. Mais, là aussi, l’étau se resserre. Le ministère de la Justice se dit déterminé à enquêter sur son patrimoine», prévient une source judiciaire proche de ce dossier.

En débarquant à Dakar, en effet, le chef de l’Etat tchadien est arrivé à bord d’un avion de commandement avec toute une équipe (plus d’une vingtaine de personnes), mais aussi beaucoup d’argent, de diamants et d’or, selon des sources proches du chef d’Etat déchu. Son trésor (de guerre ?), indiquent nos sources, a été déposé dans les caisses de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale (BIAO), devenue plus tard la Compagnie bancaire de l’Afrique de l’Ouest (CBAO), alors dirigée par l’actuel Premier ministre du Sénégal, Abdoul Mbaye. Abreuvé aux meilleures sources, il nous revient que le banquier Mbaye, alors puissant Directeur général de banque, avait bel et bien « sécurisé » l’argent du dictateur tchadien. A ce stade de l’enquête, nous avons contacté un ancien ministre d’Etat devenu député. Il évoque «l’impérieuse nécessité de la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, pour faire la lumière sur le patrimoine financier de Habré».

Un ancien responsable socialiste, blanchi sous le harnais, affirme que «si Abdou Diouf a donné son accord à Mitterrand pour accueillir le dictateur déchu, il était en revanche, au départ, très sceptique et ne soutient pas cette opération de blanchiment d’argent du dictateur». Il aurait donc fallu de vives pressions de la part d’influentes personnalités politiques, pour que l’ancien chef de l’Etat finît par fermer les yeux, «surtout que le dictateur a participé à financer, à hauteur de 1 milliard Fcfa, le Parti socialiste, pour les élections générales de février ».

Crimes économiques

Le procès du président Habré ne devrait donc pas se limiter à ses exactions ou à ses «crimes contre l’humanité». Il devrait s’étendre aux «crimes économiques». Mais, fait remarquer un juriste très imprégné du dossier, que nous avons interrogé : «Il faudrait que le Gouvernement tchadien, seul habilité à le poursuivre pour ce type de délit, se constitue partie civile». Ce qui n’est jusque-là pas encore le cas. Notre interlocuteur croit savoir d’ailleurs qu’il serait illusoire d’attendre des nouvelles autorités tchadiennes qu’elles fassent preuve d’empressement pour ce procès, «car d’anciens responsables, sous Habré, sont encore aux affaires». Toutefois, les défenseurs des victimes n’excluent pas d’introduire l’aspect «réparation des torts causés par Habré» ; ce qui ouvrirait forcément une fouille méticuleuse de ses biens.

Hissène Habré, en plus de ses deux grandes villas où vivent ses épouses (lire reportage Ousmane Fall), aurait acquis un patrimoine immobilier digne d’un Ndiouga Kébé (milliardaire sénégalais des années 80). Villas de luxe dans les quartiers huppés de Dakar (Plateau, Fann-Résidence, Point E, Ngor-Almadies…) et des participations aux capitaux de grandes entreprises nationales et étrangères figurent dans un inventaire (très peu exhaustif) des biens de l’ancien chef de l’Etat, sans parler de ses largesses en direction d’hommes politiques, d’influents chefs religieux et de patrons de presse de grande renommée… Suivez mon regard!

En attendant qu’il soit jugé à Dakar, le rapport de la Commission nationale d’enquête précise que lors de sa chute, «rien que pendant les trois derniers jours, Hissène Habré, avec la complicité de certains responsables, avait collecté et emporté dans un dernier acte de cupidité et d’irresponsabilité, une somme d’environ 4 milliards de FCFA».

Pillage en règle…

La Banque Tchadienne de Crédit et de Dépôts (BTCD), le Centre des Chèques Postaux (CCP), la Banque Internationale pour l’Afrique au Tchad (BlAT, dépendant de l’ex-BIAO-Sénégal) et la Société nationale des Oléagineux sont les principales vaches à lait du président tchadien. Aussi, ressort-il du rapport de la Commission nationale d’enquête que «le vendredi 30 novembre 1990, après avoir rencontré l’ex-chef de l’Etat Habré, M. Chémi Kogremi, ex-trésorier général, avait signé et remis à son caissier central, M. Abderaman Hissène, un chèque de 3 milliards 500 millions de FCFA, pour encaissement. Celui-ci s’était présenté aux guichets de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) muni du chèque; ce qui d’ailleurs a surpris les dirigeants de cette institution, compte tenu des disponibilités du Trésor public, qui s’élevaient ce jour à 2,6 milliards de FCFA. Ce genre de prélèvement ne s’étant jamais effectué auparavant, l’opération fut reportée pour le lendemain 1er décembre 1990».

Pire encore, ce témoignage du Trésorier général du Tchad qui, n’ayant pas vu revenir le Caissier central, s’était lui-même déplacé pour insister sur «l’urgence de ce prélèvement et rassurer les dirigeants de la banque qu’une rentrée de 1,7 milliard devait intervenir le 1er décembre 1990». C’est ainsi que, précise le rapport, «les responsables de la Banque centrale avaient autorisé le prélèvement de 3 milliards 500 millions de FCFA». Entendu par la Commission d’enquête, le 11 novembre 1991, l’ex-trésorier a reconnu avoir prélevé des caisses de l’Etat de l’argent, sur instructions de Habré, et a déclaré ce qui suit: «J’ai rencontré le président, le 30 novembre 1990 à 9 h 45, sur sa convocation. Il m’avait reçu seul. L’objet de sa rencontre était de lui faire la situation de la trésorerie de l’Etat, parce qu’il voulait acheter des AML pour aller au front. Je lui avais dit que la situation était autour de 3 milliards et demi de FCFA. A cet effet, un chèque a été émis…

Après avoir encaissé et rangé ladite somme dans les coffres du Trésor, les clés avaient été remises à l’ex-président Habré. Le samedi 1er décembre 1990 à 5 heures du matin, quand la ville se vidait de sa population, je m’étais également enfui pour me réfugier à Kousseri. Le même jour, vers 8 heures, le président Habré, qui se trouvait aussi à Kousseri, m’avait fait appeler pour me remettre les clés des coffres du Trésor. Accompagné d’Abdoul Galmaye et six combattants, j’étais revenu à Ndjamena pour récupérer la somme de 3 milliards de FCFA. Les 500 millions de FCFA rangés dans un autre coffre n’avaient pas été touchés. Quand nous avions rattrapé l’ex-président Habré à Maltam, celui-ci avait désigné son frère Abdelkerim Habré pour me surveiller. Et la voiture dans laquelle je me trouvais était entre deux véhicules bondés de combattants. Quand nous étions arrivés à Maroua vers 18 heures, l’ex-président m’avait demandé de faire descendre les sacs d’argent. Après cela, je ne l’ai plus revu.»

Un procès Habré…cadabrantesque !

Qui ne veut pas que Habré soit jugé ? Ce n’est sûrement pas les proches des victimes, encore moins les défenseurs des Droits de l’homme. Ce n’est pas non plus les autorités belges qui ont été confrontées à des plaintes de ressortissants d’origine tchadienne.

Près de 22 ans de vie au Sénégal ont fait de l’ancien président tchadien un «citoyen d’honneur» du village lébou de Ouakam, proche de cette communauté. Aussi, nombre d’habitants de cette bourgade ont-ils du mal à croire aux exactions dont il serait l’auteur, au regard de sa piété et de sa largesse envers les guides religieux et les plus démunis. Mais la question qui revient toujours sur les lèvres est de savoir pourquoi les présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade n’ont jamais jugé utile de traduire l’ex-dictateur devant la justice, comme l’ont constamment réclamé les organisations de défense des Droits de l’Homme et certaines victimes ou parents de victimes, dont les Sénégalais Abdourahmane Kane et un certain Diop, préfet d’un département au Tchad.

La nonchalance d’Abdou Diouf s’expliquerait par le soutien des anciens chefs d’Etat français, François Mitterrand et Jacques Chirac, mais aussi et surtout par l’insistance des parrains sénégalais de Hissène Habré, parmi lesquels, un éminent khalife général qui ne pouvait accepter que son «disciple» puisse être l’auteur de toutes ces atrocités, et le très influent juge Kéba Mbaye, qui aurait mis les compétences financières et bancaires de son fils aîné Abdoul Mbaye à sa disposition.

Abdoulaye Wade, qui tenait en petite estime Hissène Habré, a également fait l’objet de pressions constantes pendant douze ans. Mieux, l’avocat de Hissène Habré, Me Madické Niang, a même été son ministre de la Justice, avant d’être promu au poste des Affaires étrangères.

Même dans son propre pays, confie un avocat proche du dossier, «Hissène Habré bénéficie encore de protection, car d’anciens caciques de son régime sont encore dans les arcanes du pouvoir». A quel niveau se situent ces pro-Habré ? «Jusque dans les sphères les plus élevées de l’Administration et même dans l’entourage du chef de l’Etat Idriss Deby qui, lui-même, pourrait être éclaboussé par ce dossier, au cas où il était jugé sur place», précise notre source. D’ailleurs, fait-elle remarquer, «à Ndjamena, très peu de personnes consentent à parler de cette affaire Habré, la plupart préférant « oublier » ou ne pas s’y aventurer».

Notre interlocuteur, qui a très souvent séjourné au pays du défunt François Tombalbaye, rappelle d’ailleurs les relations que le premier chef de l’Etat tchadien entretenait avec le défunt marabout et milliardaire sénégalais, El Hadji Djily Mbaye, à qui il aurait confié, selon certaines indiscrétions, le fruit de la vente de la bande d’Aouzou. Ce qui est évident, rappellent certains observateurs, c’est que «deux enfants du défunt président Tombalbaye ont été vus, à plusieurs reprises, dans les résidences du milliardaire lougatois», et affirment même que ce cousin d’Abdou Diouf aurait suivi et financé les études de la progéniture du chef de l’Etat assassiné, jusqu’à leur majorité.

Celui-là, aujourd’hui, confie ne point oser s’aventurer dans le pays d’Idriss Deby, de nos jours, car sa vie n’y serait pas en sécurité. Et quand nous avons lancé l’idée de nous rendre à Ndjamena, afin d’approfondir notre enquête, ce militant acharné des Droits de l’Homme nous a vivement recommandé de ne pas nous y aventurer. «Pour rien au monde, je ne me rendrai au Tchad pour une enquête, en ces temps qui courent, car tout pourrait arriver», confie-t-il. Précisant son idée, il fait remarquer que «n’importe qui pourrait vous tuer et accuser l’autre partie ; que ce soient les proches des victimes ou ceux de Habré et même de l’Etat».

Au regard des stations qu’ils occupent encore, ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont trempé dans cette affaire, ont intérêt à ce qu’elle soit définitivement close. Quel que soit leur niveau d’implication, ils ont collaboré avec l’ex-dictateur, avant de rompre avec ses pratiques. Et pour ceux-là qui réclament son procès, «il est évident qu’ils ne feront jamais preuve d’empressement».

Ancien président d’Amnesty international, Me Demba Ciré Bathily, un des avocats des victimes de Hissène Habré, lors d’un entretien qu’il nous a accordé, n’a pas voulu trop s’épancher sur la question, dès lors que «l’affaire est toujours en instruction et n’est pas encore jugée». Tout ce qu’il concède à confier, c’est que «la défense a réuni suffisamment de preuves pour faire inculper Hissène Habré». Sans dévoiler le secret de son plan de défense, nous sommes presque sûrs que le livre cité (lire ci-dessus), produit par la Commission tchadienne d’enquête, sera sa principale source.

De l’autre côté, nous avons vainement tenté de joindre Me El Hadji Diouf, un des avocats de Hissène Habré. Mais vu son activité parlementaire débordante à l’Assemblée nationale, où il siège en qualité de député, l’avocat vibrionnant n’a pas eu assez de temps pour accéder à notre demande d’entretien.

Une cour ad hoc pour Hissène

Avec l’avènement au pouvoir de Macky Sall qui n’aurait aucun lien direct ou indirect avec Hissène Habré, il y a de fortes chances que l’ancien président tchadien soit «enfin» jugé au Sénégal. C’est la conviction des représentants de l’Union Africaine et du gouvernement.

Ils ont proposé la création d’une Cour d’assises formée de magistrats africains et sénégalais, et plus précisément de « chambres africaines extraordinaires » au nombre de quatre, dont deux pour l’instruction et l’accusation, en plus d’une Cour d’assises et d’une Cour d’appel. Toutes doivent être présidées par un magistrat africain, assisté de deux juges sénégalais.

L’annonce a été saluée par le Comité international pour le jugement équitable d’Hissène Habré, qui regroupe des ONG et l’association des victimes. «C’est une satisfaction pour les victimes d’Hissène Habré, qui ne cessent de se battre depuis plus de 20 ans avec ténacité et persévérance», a déclaré Reed Brody, de l’association Human Rights Watch. Un des avocats de l’ex-président du Tchad, Me El Hadji Diouf en l’occurrence, avait déclaré, il y a quelques jours, que «Hissène Habré ne peut plus être jugé et ne peut plus être extradé non plus».

En fin juillet, la Cour internationale de justice de La Haye avait ordonné au Sénégal de juger « sans délai » ou d’extrader Hissène Habré, accusé de génocide commis par son régime (1982-1990). Le Sénégal ne doit cependant poursuivre Hissène Habré que pour les crimes présumés commis après la ratification par le Sénégal de la Convention sur la torture en 1987. Le président Macky Sall s’est engagé, dès l’entame de son mandat, à faire tenir un procès équitable et a déjà convenu d’un budget évalué à 12 milliards fcfa avec les contributions des Etats-Unis, de l’Union Européenne, de l’Union Africaine et du Sénégal.

lesenegalais.net

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