«Per diems» dans la presse sénégalaise : entre ignorance et perfidie

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Le phénomène des « per diems » ou « frais de transport » gangrène la presse sénégalaise. La pratique a pris une telle ampleur que le CORED vient de tenir une conférence publique pour débattre du sujet.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de partager avec les jeunes journalistes ce qu’un de nos professeurs nous avait dit dans un cours de « Démarche journalistique » à propos des « cadeaux » offerts aux reporters. Il nous avait conseillé, dans l’exercice de notre futur métier de journaliste, de refuser même une tasse de café offerte par une source d’information si nous savons, à priori, que nous ne serons pas à mesure de lui en payer à notre tour prochainement.
Ces propos pleins de sagesse qui viennent d’un journaliste chevronné contrastent avec ce qui se passe au Sénégal où il n’y a rien de plus banal et de plus « normal » que la distribution de « per diems » à des reporters en exercice sur le terrain. Ce qui vient d’être confirmé par des journalistes à travers des témoignages recueillis dans un reportage diffusé le 24-08-2016 dans le bulletin d’information de 12 h 00 de la RFM; en prélude de la rencontre organisée le même jour par le CORED. Voici en résumé une partie de leurs propos concernant les « per diems» : on prend lorsqu’on nous en donne surtout s’ils sont substantiels. Mais, ajoutent-ils, on n’attend pas et on ne court pas après les organisateurs pour en recevoir. Ces aveux de taille de ces « professionnels » cachent mal un « affairisme » certain chez plusieurs journalistes et une méconnaissance des règles élémentaires de la déontologie journalistique.
Une pratique similaire a existé au Québec (Canada) jusque dans les années 1960-70. «Les enveloppes brunes » ont disparu depuis lors mais pas par enchantement. En effet, cette pratique a été bannie en raison du fait que les patrons de presse et les journalistes ont réalisé qu’elle minait et détruisait leur modèle d’affaires d’une part et d’autre part, leur profession. Cette prise de conscience de l’époque a entrainé la mise sur pied de code de presse dans certaines entreprises de presse et d’associations professionnelles. C’est dans cette lancée qu’il faut aussi situer l’instauration dans la « Belle province » d’un tribunal des pairs (le Conseil de presse du Québec) pour assainir les pratiques journalistiques.
À notre avis, le paysage médiatique sénégalais doit faire sa révolution en matière de « per diem » à l’image du Québec. En vérité, qu’ils soient réclamés ou pas, qu’ils soient acceptés ou pas, les « per diems » doivent disparaitre au moins pour deux raisons. Il y a d’abord le fait qu’ils enlèvent aux journalistes toute crédibilité et toute respectabilité aux yeux de ceux qui leur en donnent. Des témoignages recueillis lors de discussions informelles cet été à Dakar auprès d’organisateurs de séminaires ou de conférences de presse ne laissent aucun doute. Pour nos interlocuteurs, c’est à cause de ces « per diems » que l’image de marque de bon nombre de journalistes est à jamais ternie en raison non seulement de leur « perfidie » mais aussi de leurs limites intellectuelles et de leur connaissance peu approfondie du métier.
La règle de déontologie journalistique dominante sur les conflits d’intérêt constitue le second facteur qui milite pour le bannissement des cadeaux (bijoux, voyage, « per diems ») offerts aux journalistes. Cette règle stipule que les journalistes ne doivent pas les accepter en raison du « contrat social » qui les lie au public. En effet, grâce à cette « entente symbolique », le journaliste s’engage, dans l’exercice de ses fonctions, à donner aux citoyens des comptes rendus rigoureux, à relater des faits véridiques et impartiaux afin de leur permettre de prendre des décisions éclairées dans leurs choix (politiques, économiques, sociaux, etc). Or, cet engagement du journaliste auprès du public est foulé aux pieds dès l’instant où il reçoit des cadeaux ou des récompenses pouvant être l’élément déclencheur d’un compte rendu, d’un reportage, d’un commentaire téléguidés et orientés.
L’exemple des entreprises de presse des pays anglo-saxons qui interdisent les journalistes de recevoir des privilèges peut être présenté comme un modèle à la presse sénégalaise. Dans ces pays, pour éviter que leurs journalistes soient corrompus, les patrons de presse les mettent dans des conditions matérielles et morales de travail qui leur garantissent : honnêteté et impartialité. Ce qui n’est pas assurément le cas dans le pays de la Téranga. Toutefois, malgré le manque de moyens criards des entreprises de presse du Sénégal, les patrons de presse doivent s’inspirer de leurs homologues anglo-saxons en prenant sans tarder les mesures suivantes : interdire aux journalistes de demander et/ou de recevoir des « per diems » et tout ce qui pourrait ressembler à un privilège susceptible d’influer négativement sur leur travail; utiliser les fonds alloués par l’Aide à la presse pour payer à leurs journalistes : les frais de transport, les entrées aux concerts, au théâtre, aux stades, les livres, etc. /.
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Mansour Joseph Thiaw
Maître ès Arts en communication publique
Toronto, Canada
[email protected]

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