« Plutôt mourir qu’être jugé par la CPI », m’a dit Mouammar Kadhafi »

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MISRATA (LIBYE)-Jusqu’à la fin, il a été au côté de Mouammar Kadhafi. Mansour Dhaou était l’une des cinq personnes présentes dans la Toyota blindée de l’ancien Guide libyen lorsqu’elle a été stoppée par un tir de missile de l’OTAN, jeudi 20 octobre au matin. Quelques heures plus tard, Mouammar Kadhafi, capturé par des révolutionnaires de Misrata, mourrait dans des circonstances non élucidées. Mansour Dhaou, lui, a perdu connaissance sur le champ de bataille et ne sait de rien de précis sur la mort de son « maître ».
En revanche, il a été le témoin privilégié des dernières semaines du dictateur libyen, assiégé dans Syrte. Le Monde s’est entretenu avec lui, sous la surveillance d’un geôlier, dans son lieu de détention à Misrata. Mansour Dhaou, 56 ans, barbe poivre et sel et tenue grise, semble en bonne santé et dit être bien traité. Il n’aime pas qu’on le présente comme « le chef de la sécurité de Kadhafi ».

« C’était l’officier Ezzedine Al-Hencheri qui gérait sa sécurité personnelle, moi j’étais un accompagnateur, minimise-t-il. Mon titre officiel, depuis 1999, est chef de la Garde populaire. Je ne me suis occupé de la sécurité personnelle de Kadhafi qu’entre 1992 et 1997. Je n’étais pas au courant de tout. » Ezzedine Al-Hencheri a été retrouvé mort à Syrte, conséquence d’une exécution sommaire, semble-t-il.

Selon le récit livré par M. Dhaou, le convoi avec lequel Mouammar Kadhafi a fui aurait dû démarrer à 3 heures ou 4 heures du matin, mais la désorganisation a retardé le départ. « Il a fallu entasser les blessés dans les coffres, tout était chaotique. L’idée était de se rendre à Jaraaf (à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Syrte). C’est là que Kadhafi est né et que ses parents sont enterrés. C’est comme s’il avait voulu mourir chez lui. » Le cortège, composé d’une quarantaine de véhicules, transportait environ 200 personnes, les tout derniers défenseurs de Syrte : « C’étaient des civils, les soldats avaient été décimés par les frappes de l’OTAN ou avaient déserté. »

Mouammar Kadhafi est resté à Syrte pendant tout le mois précédant sa mort. Selon M. Dhaou, le Guide a fui Tripoli le 18 août, deux jours avant l’attaque de la capitale et son soulèvement simultané. « C’était l’idée de ses gardes de corps et de son fils Saïf Al-Islam, qui pensaient que Tripoli n’était pas tenable. » A juste titre, la ville est tombée en deux jours, notamment grâce à la trahison du commandant de la katiba Mohammed, la brigade chargée de sa défense : « Sur 3 800 hommes, seuls 160 ont combattu. Kadhafi était amer, il voyait le cercle de ses fidèles se réduire. »

Début septembre, le Guide libyen croit la reconquête encore possible. « Après quarante-deux ans au pouvoir, il ne pouvait pas penser autrement. Je pense qu’il croyait en sa propre propagande. Et ses fils, surtout Saïf, le poussaient dans ce sens. »

Mansour Dhaou assure qu’Abdallah Al-Senoussi, le chef des renseignements, et lui-même ont tenté à plusieurs reprises de convaincre Mouammar Kadhafi de démissionner. « Dans la première quinzaine de mars, il a failli le faire. Mais Saïf l’a convaincu de rester. Il voulait hériter du pouvoir après lui. Puis le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) a tout compliqué. La seule fois où j’ai entendu Kadhafi en parler, il a dit : « Plutôt mourir en Libye qu’être jugé par Ocampo (Luis Moreno Ocampo, le procureur de la CPI) ». »

Saïf Al-Islam Kadhafi a quitté Tripoli le 22 août – après une dernière apparition surprise à l’hôtel Rixos – pour Bani Walid, à 130 km au sud-est de la capitale. « Il est resté tout le long là-bas », assure M. Dhaou, selon lequel il était en contact avec son père par secrétaires interposés et par téléphones satellitaires.

Quant à Khamis, chargé de la 32e brigade, M. Dhaou pense qu’il est mort le 27 août près de Tarhouna. « Saïf était la tête politique, c’est lui qui décidait de la ligne. Khamis et Moatassem ne s’occupaient que de l’aspect sécuritaire des choses. »

Saïf Al-Islam, dont la trace a été perdue depuis la chute de Bani Walid, autour du 15 octobre, serait en contact indirect avec la CPI en vue d’une reddition. Les nouvelles autorités libyennes préféreraient qu’il soit jugé en Libye, où la peine capitale est en vigueur. Le témoignage de Mansour Dhaou risque de peser en défaveur du « dauphin » de Mouammar Kadhafi. Cela ne lui assure pas pour autant l’immunité pour son rôle dans la répression passée, sur lequel il reste très évasif.

Outre Mansour Dhaou, Ahmed Ibrahim, responsable des comités révolutionnaires, et Ahmed Ramadan, secrétaire particulier de l’ancien Guide, seraient détenus à Misrata, sans qu’il soit possible de confirmer où et par qui.

Tout début septembre, Mouammar Kadhafi envoie MM. Dhaou et Al-Senoussi en mission secrète à Sebha, un autre de ses bastions dans le Sud libyen, pour organiser la résistance. De retour à Syrte, Abdallah Al-Senoussi, lui aussi recherché par la CPI, s’est éclipsé pour aller enterrer son fils. Il n’est jamais revenu et se trouverait aujourd’hui au Mali. Mansour Dhaou, lui, est resté à Syrte, ce qui relativise sa timide prise de distance avec l’ancien régime.

Aux premiers jours de son séjour à Syrte, le colonel craignait bien plus les frappes de l’OTAN qu’un assaut des rebelles. « Il n’est jamais sorti en ville, ne recevait presque personne. Au début, il était à l’hôtel. Puis il s’est déplacé tous les quatre ou cinq jours, passant d’une maison à l’autre. Une vingtaine de personnes l’accompagnaient. » A la toute fin, il déménageait sans cesse dans le quartier No 2, sous le feu continu des rebelles.

M. Dhaou explique ne pas avoir eu de véritable conversation avec Mouammar Kadhafi pendant le dernier mois. « Il lisait le Coran et d’autres livres, écrivait beaucoup, dormait souvent. C’était un homme âgé, de presque 70 ans. La situation était très difficile, il n’y avait ni eau, ni électricité, ni téléphone. Nous étions coupés du monde. Ça le déprimait, il n’avait pas l’habitude, il était inquiet. »

Mouammar Kadhafi ne s’occupait pas de stratégie militaire – « il n’a pas tiré un coup de feu », assure M. Dhaou -, laissant cela à son fils Moatassem. L’ancien leader libyen en voulait tout particulièrement « à ceux qu’il considérait comme des amis et qui l’avaient trahi : le président français Sarkozy, Berlusconi, Erdogan et Tony Blair, plusieurs dirigeants africains », énumère l’homme qui tenait lieu d’aide de camp à Kadhafi.

Christophe Ayad
avec lemonde.fr

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