Polémique dans la famille Charlie Hebdo

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« Je t’en veux vraiment, Charb ». Six petits mots dans le numéro de L’Obs du 14 janvier ont suffi pour plonger la famille de Charlie Hebdo dans l’une de ces violentes querelles qui agitent l’hebdomadaire satirique depuis l’affaire des caricatures de Mahomet, il y a bientôt huit ans.

« Je sais, ça ne se fait pas », écrit Delfeil de Ton à la fin d’un long article consacré à l’aventure de Charlie et en s’adressant à son « chef », exécuté le mercredi 7 janvier avec onze autres personnes. Evoquant un « gars épatant », mais « tête de lard », Delfeil reproche à Charb d’avoir mené sa rédaction à la mort. Un procès qui a fait bondir Maître Richard Malka, avocat du journal satirique depuis 22 ans, et beaucoup d’autres.

Delfeil de Ton, 80 ans, chroniqueur à L’Obs depuis 1975, est un des fondateurs de Charlie Hebdo. Il était déjà des aventures de Hara Kiri, puis de Hara Kiri Hebdo, avant de participer à la création du « premier » Charlie, en 1970, puis du « deuxième », en 1992. Il s’en était allé au bout de quatre mois – « je m’ennuyais à mourir avec Philippe Val », le nouveau patron, racontait-il à l’époque. Pour son numéro spécial consacré à la tragédie de Charlie Hebdo, le directeur de la rédaction de L’Obs, Matthieu Croissandeau, a donc demandé à son collaborateur de raconter aux lecteurs ses souvenirs sur deux pages.

Delfeil de Ton ressuscite ses souvenirs, croque ses amis, puis en vient à ce numéro de Charia Hebdo, que Charb avait décidé de publier, avec les caricatures de Mahomet, en novembre 2011. « Quel besoin a-t-il eu d’entraîner l’équipe dans la surenchère ? », accuse Delfeil. Peu après la sortie du numéro, les locaux de Charlie sont incendiés. Delfeil rappelle ce que son ami Wolinski, même âge que lui, en disait à l’époque : « Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C’est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire ». Ni recommencer, estime Delfeil : « Il fallait pas le faire mais Charb l’a refait, un an plus tard, en septembre 2012 ».

Ce n’est pas la première fois que Delfeil crée la polémique en consacrant sa chronique à Charlie. C’était à l’été 2008, lors d’une autre querelle qui avait largement dépassé les frontières de la rédaction de L’Obs et les troupes de Charlie. Après la publication d’un article du dessinateur Siné sur le mariage du fils de Nicolas Sarkozy, que Philippe Val avait jugé antisémite, le directeur de l’hebdomadaire avait décidé de licencier le dessinateur (Siné a depuis fait condamner Charlie pour préjudice moral et financier, et obtenu en appel 90 000 euros de réparations).

Lire aussi : « Charlie Hebdo » : les kiosques dévalisés dès l’ouverture

« Papier polémique et fielleux »
Déjà, comme si chacun pressentait qu’une autre partie, plus vaste, se jouait par-delà du sort d’une chronique et de dessins, une violente polémique s’était engagée, divisant la rédaction de Charlie, les partis de gauche, et jusqu’aux intellectuels. Le Prix Nobel de la paix, Elie Wiesel, avait pris le parti de Philippe Val, comme Bernard-Henri Lévy, Elisabeth et Robert Badinter, Pierre Lescure, Elisabeth Roudinesco, SOS-Racisme et d’autres. En défense de Siné, des dessinateurs comme Rémi Malingrey et Lefred Thouron, et au sein de la rédaction, Cavanna (qui évoquait en 2011 l’affaire dans son dernier livre, Lune de miel), Willem, Tignous, ou des journalistes comme Michel Polac et Sylvie Caster. Mais aussi, dans les colonnes du Nouvel Observateur, Delfeil de Ton, qui accuse depuis longtemps Val d’entraîner Charlie dans un combat sionisto-islamophobe.

Avocat de Charlie depuis 22 ans, Richard Malka a envoyé mercredi un texto scandalisé à Mathieu Pigasse, l’un des actionnaires de L’Obs (et du Monde), qu’il connaît bien. « Charb n’est pas encore enterré que L’Obs ne trouve rien de mieux à faire que de publier sur lui un papier polémique et fielleux, s’indigne Me Malka. Sur le plateau du Grand Journal, l’autre jour, le directeur de L’Obs, Matthieu Croissandeau n’avait pas de larmes assez chaudes pour dire qu’il continuerait le combat. Je ne pensais pas qu’il le ferait de cette manière. Je refuse de me laisser envahir par de mauvaises pensées, mais ma déception est immense ».

D’autres estiment que Delfeil a tort de ressusciter des propos anciens de Wolinski, « alors que ’Wolin’ est toujours resté fidèle à Charb, et se rendait toutes les semaines au journal ». « Il s’agit d’une chronique, répond calmement Matthieu Croissandeau. Nous avons reçu ce texte, et, après débat, j’ai décidé de le publier ; dans un numéro sur la liberté d’expression, il m’aurait semblé gênant de censurer une voix, quand bien même elle serait discordante. D’autant qu’il s’agit de la voix d’un des pionniers de cette bande ».

Delfeil, lui, refuse d’en dire davantage. « J’ai refusé de parler aux télés, aux radios, à tout le monde. J’ai gardé mon témoignage pour L’Obs, qui l’a d’ailleurs mal titré, et je ne suis pas prêt de l’ouvrir à nouveau sur le sujet ». Il précise seulement, en ne citant qu’un nom et en pesant chacun de ses mots : « Jeudi, j’irai aux obsèques de Wolinski ».

lemonde.fr

2 Commentaires

  1. Lack of judgment. That’s all this mess is about.

    On pose des actes irresponsables. On reflechit après coup.
    Les chefs d’Etats africains quietaient a la marche de Paris sont les plus pitoyables dans cette affaire.

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