Présidentielle de 2012 : Sénégal, ville de France ?

Depuis le retour du chef de l’Etat de sa visite éclair à Benghazi, fief des rebelles libyens, tout se passe comme si Dakar n’était plus la capitale du Sénégal. Même si Wade tient gaillardement les amarres et que le débat politique est vivace, certains faits imputables à la France, qui déteignent sur la pratique diplomatique, augurent d’une volonté d’immixtion de Paris dans les affaires internes de son ex-colonie.

Tout est parti, début juin, de la rencontre que Bourgi a eue avec Idrissa Seck dans un grand restaurant parisien. A ce moment-là, le climat politique au Sénégal est pollué par l’affaire du projet dit du ticket présidentiel. Conséquence donc de ce climat délétère, le 23 juin, les Sénégalais prendront la rue pour dire leur ras-le-bol. Le 27 juin, des jeunes, outrés par les délestages devenus intenables, remettront ça. Et, comme si la France n’attendait qu’une faute du pouvoir libéral, Bourgi, conseiller officieux de l’Elysée, charge. Dans une interview accordée à Rfm le 7 juillet, il ébruite délibérément une supposée conversation téléphonique qu’il aurait eue avec Karim Wade. D’après l’avocat français, le ministre d’Etat, ministre de l’Energie, lui aurait demandé d’intervenir auprès du pouvoir français pour aider à éteindre le feu qui couvait à Dakar ce jour-là. La suite ? Tout le monde se souvient du long feuilleton Robert-Karim qui est d’ailleurs loin d’avoir livré tous ses secrets. Un feuilleton qui a ébranlé les fondements de la République et terni l’image du Sénégal avec son lot de révélations croustillantes. Mais, là, il est encore trop tôt pour voir la main de la France derrière une certaine logique de coup de pied dans un essaim d’abeilles. Seulement, pour les observateurs avertis, le ton et l’insistance de Bourgi sont loin d’être le fait d’une simple audace d’un homme qui a ‘les habitudes des pouvoirs africains’ pour avoir été proche de nombreux chefs d’Etat du continent.

Mais, le 9 juillet, coup de théâtre à l’hémicycle en France. Devant les députés, en parlant du Sénégal, Allain Juppé fait feu sans retenue. ‘Ce pays (le Sénégal, Ndlr) est un pays ami qui nous aide notamment dans l’affaire libyenne. Le président Wade a très clairement pris position pour le départ de Kadhafi. Je serais tenté de dire qu’il faut éviter que les mêmes causes se produisent dans son pays’. L’allusion est claire pour être esquivée. Le chef de la diplomatie française parle du Sénégal comme si c’était un préposé à la basse besogne. ‘Un pays qui nous aide’, le culot est total.

Au-delà donc d’autres gracieusetés comme ‘rester au pouvoir par tous les moyens, se faire élire avec 25 % et le refus d’engager des réformes’, Paris montre enfin son nouveau visage : celui d’un ami qui dicte sa volonté. Depuis lors, toutes les occasions sont bonnes pour s’immiscer dans les affaires internes du Sénégal et vis-à-vis. La visite de l’ambassadeur de France à un opposant, Idrissa Seck, en son domicile et, surtout, la réception le lundi dernier du même leader de Rewmi par le Quai d’Orsay s’inscrivent dans ce schéma de contrôle et de modelage de l’avenir politique du Sénégal.

En somme, tous ces actes posés par la France vis-à-vis de son ‘ami’, semblent liés à un agenda : la présidentielle. Lassée de Wade, la France ne chercherait-elle pas un homme sûr pour lui succéder? En tout cas, la proximité de Idrissa Seck avec le pouvoir français trahit un soupçon qui n’est pas loin d’être fondé. Mais, cette option de la France est-elle judicieuse ? Le Sénégal du 23 juin est un indicateur dans la balance. Car, désormais, pour faire commerce avec le Sénégal, dans tous les domaines par ailleurs, il faut absolument contenter sa rue qui a pris conscience de son pouvoir.

Mohamed MBOYO & Ibrahima ANNE walf.sn