Quand la politique et l’émotionnel font le procès du droit

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Depuis quelques jours, la justice sénégalaise est sous le feu des projecteurs. Critiquée par-ci pour un jugement déjà rendu, mise sous pression par-là pour un jugement en délibéré, Dame Justice est en train de subir un véritable procès en règle. Cela, au mépris de son autorité.

Il y a de cela quelques semaines, des habitants de Colobane, tout de rouge vêtus, sont sortis dans la rue pour dénoncer la condamnation de deux jeunes de leur quartier à 20 ans de prison par la Cour d’Assises de Dakar. Ces derniers sont accusés du meurtre du policier Fodé Ndiaye, tué lors des évènements pré-électoraux de 2012.

Un collectif a été même mis en place pour porter le combat de la libération de ces deux jeunes de Colobane. Dans la foulée, un « mercredi rouge » a été décrété. Il consiste, tous les mercredis, à porter des brassards rouges en signe de contestation et de rejet de cette décision de la justice.

Une manière de réclamer tout bonnement et simplement la libération des deux détenus. Si d’aucun estiment que ces derniers sont innocents et seraient victimes d’une condamnation sur la base de témoignages d’une « attardée mentale », d’autres ne manquent pas de soutenir, de façon sibylline, que les deux condamnés auraient commis leur acte au cours d’une manifestation pour une bonne cause : la non-candidature de Me Wade à la présidentielle de 2012.

Autrement dit, pour leurs défenseurs, cette mobilisation de la jeunesse au cours de laquelle ce drame est arrivé, a été un coup de pouce à Macky Sall, le futur tombeur du président Wade.

Dans l’un comme dans l’autre, c’est l’autorité de la chose jugée qui en prend un sacré coup. En fait, celle-ci interdit de remettre en cause un jugement en dehors des voies de recours prévues à cet effet.

Pourtant, les deux condamnés ont la possibilité d’interjeter appel et nourrir ainsi l’espoir de voir le verdict cassé. Hélas ! leurs souteneurs ont décidé de battre le macadam et même d’observer une grève de la faim pour avoir gain de cause.

La rue comme prétoire

Au moment où ces habitants de Colobane refusent d’admettre cette décision de justice condamnant des jeunes de leur localité, les avocats de Karim Wade, eux, ont fini de bouder le procès de l’ancien ministre d’Etat et non moins fils de l’ex-président Abdoulaye Wade. Ces robes noires dénoncent un verdict politique avant terme. Ils sont aidés en cela par le Front populaire pour la défense de la République (Fpdr).

Ce cadre de lutte politique se substitue à l’instance de défense qu’est le pool des avocats. D’une question technique (un procès instruit à charge et à décharge), la traque est représentée sous les traits d’un débat politique. Du coup, le leader de cette coalition, l’ancien président de la République, a publiquement averti que jamais il n’acceptera le verdict qui sera prononcé contre son fils. Et la presse rapporte qu’il aurait demandé à ses partisans de prendre d’assaut le tribunal le jour du prononcé du verdict.

Pour intimider le juge au cas où la décision serait défavorable à Karim Wade ? On donne notre langue au chat. Mais toujours est-il que le président Wade, lors d’une réunion du Pds, au lendemain de son dernier meeting à la Place de l’Obélisque, a laissé entendre que si jamais son fils est condamné, « on verra au Sénégal ce qu’on a jamais vu ».

Là, au moins, les propos ont le mérite d’être plus explicites. C’est une façon subtile de mettre la pression sur la justice et de peser sur le cours de ce procès qui, depuis près de neuf mois, tient en haleine le pays.

Faire pencher la balance de la Justice

En écho à ces propos du chantre du Sopi, la Fédération nationale des cadres libéraux du Pds a, lors d’une conférence de presse, la semaine dernière, martelé son refus d’accepter le verdict de la Crei. Ils exigent, ni plus ni moins, la libération de leurs militants et dignitaires à court terme. Cette sortie fait chorus à celle des conseillers de Karim Wade qui ont fait face à la presse le vendredi passé. Leur sortie fait suite au réquisitoire du procureur de la Crei qui a demandé la condamnation de Karim Wade à sept ans de prison.

Après avoir boudé la cour depuis le 20 janvier, ils ont fait leur plaidoirie en dehors du tribunal plus précisément dans un hôtel de la place devant la presse. Pour ces robes noires, le jugement de leur lient est « une parodie de justice, un tour de passe-passe remettant en cause les règles les plus élémentaires de la procédure ».

Pour faire pencher la balance de la justice de leur côté, d’aucun n’hésitent plus à user de la violence verbale voire même physique. Si dans les deux cas évoqués supra, jusque-là, les contestations d’une décision de justice déjà actée ou en cours de l’être se sont limitées à des propos et invectives ponctués de menaces à peine voilées, par contre, par le passé on a eu à vivre des situations où le sang a coulé.

Par exemple, en 2012, des disciples du célèbre guide religieux Béthio Thioune, ont, une matinée durant, procédé à un véritable saccage en règle de biens publics et privés au centre-ville de Dakar. Les pare-brises de dizaines de véhicules ont été réduits en miettes, des édifices publics mis à sac et des bus Dakar Dem Dikk incendiés. Une vendetta juste pour réclamer la libération de ce marabout alors sous les verrous pour complicité présumée d’assassinat de deux de ses disciples. Il a fallu que, de sa cellule, ce dernier lance un appel au calme pour que ces hommes en furie retrouvent leur sérénité.

Pareille situation a été vécue en 1994 lors des mémorables évènements dits du « 16 février » au cours desquels six policiers ont été tués sur les allées du Centenaire. Ce jour-là, le meeting de l’opposition d’alors dirigée par Abdoulaye Wade a dégénéré dans une violence inouïe.

Certains de ses souteneurs, en l’occurrence les « Moustarchidines Wal Moustarchidates », qui réclamaient depuis quelques temps la libération de leur leader Serigne Moustapha Sy, incarcéré trois mois plus tôt pour des propos désobligeants à l’endroit du président Abdou Diouf, sont accusés d’avoir été les principaux responsables de ces débordements et qui ont causé la mort de ces six policiers.

Quand la politique tord le bras? de Dame Justice?

Des personnalités comme Abdoulaye Wade, Landing Savané, Pape Malick Sy, frère de l’actuel Khalife des Tidianes, furent arrêtés, de même qu’une centaine de membres du mouvement des Moustarchidines. Dans la foulée, cette organisation fut interdite d’activités sur toute l’étendue du territoire par le ministre de l’Intérieur d’alors, Djibo Kâ. Alors que Dame Justice était en branle pour tirer cette affaire au clair, des logiques politiciennes sur fond de pression et de tension sociale mirent fin à toutes les poursuites.

En effet, un an plus tôt, le 15 mai 1993, le vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, avait été assassiné entraînant l’emprisonnement de certains responsables libéraux dont Abdoulaye Wade lui-même. La Présidentielle et les Législatives de 1993 étaient contestées. Les syndicats d’enseignants sont en pleine grève. L’année universitaire 1993-1994 est déclarée invalide, la dévaluation du franc accentue le marasme socioéconomique.

Devant cette situation donc, la machine judiciaire a du freiner des fers pour donner une chance à la décrispation politique et sociale. Cela s’est traduit par la mise en place d’un gouvernement élargi aux opposants. Une deuxième entrée de l’opposition dans le gouvernement qui, comme la première, en 1991, fera long feu.

Le Soleil via seneplus

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