Quand l’équité manque à la justice… par Madiambal Diagne

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Ces dernières semaines, les membres de la Commission d’instruction de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) ont posé, coup sur coup, des actes qui les mettent au devant de l’actualité et de manière pas très avantageuse. Bécaye Sène, qui avait déjà fait l’objet d’une condamnation par la même juridiction, avait été désigné administrateur provisoire de la société Abs. Très vite, la méprise a été relevée et l’administrateur provisoire discrètement changé. Dans la foulée, Papa Alboury Ndao du cabinet Rma a lui aussi été nommé administrateur provisoire de la société Dp World Sa. Cette administration provisoire a défrayé la chronique pour des actes de gestion scandaleux.
La Crei décidera de lever l’Administration provisoire à la demande du Procureur spécial Alioune Ndao. Dans cette affaire, la Commission d’instruction a accepté pour le Parquet spécial ce qu’elle avait refusé, une semaine auparavant, aux avocats de Dp World. Cette commission de quatre magistrats, présidée par Cheikh Tidiane Bèye, n’aura pas non plus la main heureuse dans la désignation d’un administrateur provisoire pour la société Ahs. Abdoulaye Sylla et le cabinet Add-Value Finance ont été décriés au point que les plus hautes autorités de l’Etat ont fini par leur demander de renoncer à la mission d’administrateur provisoire.
Ces revers ou dysfonctionnements de la Crei ont tant ému l’opinion publique, qu’il s’est avéré nécessaire de regarder de plus près sur cette juridiction. Et on constate des incongruités qui vont conduire fatalement à des dénis de justice ou sans doute à l’annulation de toutes les procédures initiées. La Crei est aux antipodes d’une bonne distribution de la justice.
L’idée de justice a fait l’objet de personnification allégorique. La symbolique judiciaire détermine les attributs de la «justice» en utilisant souvent l’image d’une femme aux yeux bandés, portant parfois un glaive à la main droite et une balance à la main gauche. Le bandeau qui couvre les yeux de «dame justice» est un symbole d’impartialité. Il indique que la justice est (ou devrait être) rendue objectivement, sans crainte ni faveur, indépendamment de l’identité, de la puissance ou de la faiblesse des accusés : la justice, comme l’impartialité, est aveugle. Le glaive, tenu dans la main droite, symbolise aussi le pouvoir de la justice qui tranche les problèmes et litiges. Mais il est à double tranchant car les puissances de la raison et de la justice peuvent s’exercer aussi bien en faveur qu’au détriment de chacune des parties. La balance soupèse de façon contradictoire les forces de soutien et d’opposition dans une affaire. D’autres interprétations représentent la justice sous les traits d’une femme enceinte, dans son deuxième trimestre de grossesse, car elle n’est pas une jeune fille sans expérience.
Toutes ces représentations trouvent leur essence dans le concept de procès équitable selon le principe que «toute personne a le droit d’être jugée par un juge indépendant et impartial, dans le cadre d’un procès équitable». C’est justement ce qui manque le plus au niveau de la Crei ! La procédure y est inquisitoire. C’est-à-dire que le maître des poursuites n’a pas à prouver ce dont il accuse les personnes déférées devant la Crei. Il appartient à ces dernières d’établir la preuve que les faits allégués par le Procureur spécial ne sont pas avérés. Notre système judiciaire a renoncé à cette forme de procès depuis plusieurs siècles. Il s’y ajoute que la rupture des principes d’égalité et de loyauté entre les parties au procès devant la Crei est totale. On l’a vu plus haut, la Crei a accepté pour le Parquet spécial, en l’espace de quelques jours, ce qu’elle avait refusé aux avocats de Dp World. Mais le plus grave se trouve au stade de règlement de l’instruction judiciaire. Les inculpés ne peuvent faire appel d’une quelconque ordonnance rendue par la Commission d’instruction encore moins d’une ordonnance de renvoi en jugement. A l’opposé, la loi sur la Crei donne au Procureur spécial le droit de faire appel d’une ordonnance de non-lieu rendue par la Commission d’instruction. Où est l’égalité des armes ? Et le cas échéant, l’appel sera évoqué par la juridiction de jugement. C’est comme qui dirait que la Commission d’instruction décide qu’il n’y a pas lieu de saisir la juridiction de jugement et que cette même juridiction de jugement se saisit malgré tout. Cela n’existe dans aucun système judiciaire au monde. Mieux, Karim Wade avait reçu une mise en demeure de justifier son patrimoine, mais ni Bibo Bourgi, ni Pierre Agboba, ni Pape Abdou Diassé, ni Pape Mamadou Pouye, ni Mbaye Ndiaye n’avaient reçu de mise en demeure. Personne ne leur a donné la latitude de justifier l’origine licite de leurs patrimoines respectifs. La Crei part du postulat que rien ne leur appartient, tout est à Karim Wade. Et si d’aventure Karim Wade, dans un geste de défiance, refusait ou simplement serait incapable de justifier son patrimoine, serait-il équitable que les autres paient pour les turpitudes ou carences de Karim Wade ? Ces questions de droit seront fatalement tranchées par la Cour suprême du Sénégal qui ne pourra manquer d’être saisie par un recours en cassation. Et le risque est très gros de voir cette haute juridiction statuer en cassation contre le bien fondé des procédures initiées par la Crei. On se demande d’ailleurs jusqu’où les autorités de la Cour suprême n’avaient pas songé, subtilement, à alerter le ministère public sur les dérives et les risques encourus. Le thème de la dernière cérémonie solennelle de rentrée des Cours et Tribunaux, en janvier dernier, portait, comme par hasard, sur «le droit à un procès équitable». Le fin mot de toutes les interventions de l’auteur du discours d’usage, le magistrat Souleymane Teliko, du Bâtonnier de l’ordre des avocats Me Alioune Badara Fall, du Procureur général près la Cour suprême Abdoulaye Gaye et du Premier président de la Cour suprême, Pape Oumar Sakho, avait été que le rôle de la justice est de rendre la justice en respectant l’équité. On se demande alors comment la Cour suprême pourrait se bander les yeux devant ce principe sacro-saint de la justice qui fait du respect des droits de la défense et de la contradiction, les principes directeurs du procès. Il n’est pas besoin de pouvoir lire dans une boule de cristal pour prédire qu’on va tout droit vers une impasse ou à tout le moins, un imbroglio juridique. En effet, il est clair que devant la Cour suprême, les avocats des inculpés ne manqueront pas de soulever des exceptions en inconstitutionnalité de la loi sur la Crei. Bonjour alors les dégâts, avec des demandes de récusation de membres du Conseil constitutionnel qui auront déjà siégé au niveau de la Crei ou qui auraient exprimé un point de vue public, même académique, sur cette juridiction controversée. Seulement, comme disait l’autre, «il n’est point d’impasse là où on peut faire marche arrière».

Madiambal Diagne
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2 Commentaires

  1. Ce diable et fumiste de madiambal ose encore parler d’Ethique…lui qui a eu la fumeuse et fumiste idée de publiquement demander que le Pdt Sall « pardonne » a cet énergumène de Me Sall. Se souciait-il du coup il portait a la crédibilité et de l’appareil judiciaire et au Pdt Sall? Non cet énergumène n’avait d’yeux que pour sa propre influence et le Senegal souffre encore de la faiblesse du Pdt Sall car des impénitents comme bara gaye s’engouffrèrent dans la breche et … dérapèrent.
    Fate xaju fi, Madiable, l’on se souvient tjrs très bien des 200 millions de wadd-calamity « perdu » entre toi et ton acolyte de CDP-Garab-gi Tierno Lo. Mais pourquoi diable la Crapule-en-chef t’a donne 200 millions?
    Fate xaju fi, madiable, le souvenir de ton instrumentalisation du journal leQuotidien pour attaquer lâchement les Mbaye brothers pour … déficit de publicité chez toi entre autres raisons mercantilistes et mercenaires.
    Finalement la forfaiture fiscale du Pdt Sall, détournant 7 milliards du fisc sénégalais, est devenu une réalité sous ton influence maléfique.
    Ce n’est que dans un pays comme le Sénégal ou la mémoire n’est même pas existante que des hurluberlus comme Madiable peuvent se faire passer comme des journalistes.

    Cato

  2. Vous avez la ,Mr Diagne ,’un aperçu du comportement atavique de vos amis de l’A.P.R..Vous posez ,contrairement a votre précédent article,un débat scientique,vous récoltez des insultes et des procès en sorcellerie .Vous soulevez la de réelles questions qui inquiètent les juristes surtout par rapport a ce que représentait le système judiciaire sénégalais mais dont notre fantasque et délirant ministre de la justice ,englue dans la politique politicienne des vainqueurs, n’a cure.

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