Qui sont ces présidents qui ont dirigé le Sénégal de 1960 à 2019?(Par Pr Ndiaga Loum)

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À la veille des élections présidentielles de février 2019, Dr Ndiaga Loum, juriste, politologue, professeur titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie, directeur du Laboratoire PéRICOM – Politiques et régulation interdisciplinaire en communication, récipiendaire du Prix d’Excellence en enseignement à l’Université (Québec, 2018), dresse ici le portrait comparé des 4 présidents qui se sont succédé au Sénégal, décrit leur rapport à la communication politique, souligne leurs forces et leurs faiblesses, montre comment leurs personnalités propres et divergentes influent sur leurs façons singulières de gouverner. (Extraits de son dernier ouvrage à paraître bientôt, Karthala, « Mutations politiques et institutionnelles et emprise médiatique au Sénégal »)

Qui sont ces Présidents qui ont dirigé le Sénégal de 1960 à 2019 : Senghor, Diouf, Wade, Macky ?

1. Senghor (1960-1980) : le poète politisé et machiavélien

Le « Père » de la Nation sénégalaise, Senghor, fut un personnage énigmatique, paradoxal. L’on raconte qu’il n’hésitait pas à envoyer des lettres de félicitations aux directeurs de journaux qu’il savait pourtant « clandestins » pour les féliciter de la qualité grammaticale de leurs éditoriaux. Comme tout jeune sénégalais, nous avons grandi avec le mythe de Senghor : « Dieu fasse que tu sois aussi instruit que Senghor (sic) », telle était la prière de nos grands-mères. Nous avons entendu certains de nos pères, grands frères et oncles nous parler du « réactionnaire » Senghor, répressif devant l’éternel, et allié objectif du néocolonialisme ; un « valet de l’impérialisme français » comme le qualifiait son éternel rival Sékou Touré, l’ancien Président Guinéen qui disait oui à l’indépendance dès 1958, là où son homologue sénégalais hésitait encore entre une plus grande autonomie négociée et une rupture brusque avec l’ancienne puissance coloniale. Plus tard, nous avons compris qu’il s’agissait là des détracteurs de Senghor, anciens étudiants ou opposants politiques de gauche et de tous bords qui ont eu maille à partir avec son régime. Senghor avait ainsi bercé l’innocence de notre adolescence et de notre âge juvénile, avant qu’adulte, nous fumes confrontés aux réalités existentielles : le temps était venu de regarder d’un autre œil cet humain parmi les humains, qui avait taquiné un moment le statut divin.
Avec le recul de l’adulte, nous observons avec un œil plus critique toutes ces histoires autour du mythe-Senghor, aussi bien dans le sens de sa glorification par ses partisans que dans celui de son dénigrement par ses adversaires. Adolescent, nous avons été sans doute entrainés dans un manichéisme sans aloi. Il y a bien à dire et à redire sur la trajectoire de Senghor qui a été longue et n’a laissé personne indifférente, puisqu’il fut de toutes les générations du Sénégal contemporain. Nous avons écouté nos grands- parents nous apprendre que Senghor fut « le Noir qui enseignait le Français aux Français » et celui qui allait « briser les chaînes de la soumission » : « dokk buumu njaam ». Pendant les heures de rivalités politiques, il dirigea la lutte du « Second collège », c’est-à-dire celle des « sujets » des campagnes contre les « citoyens » des communes. Ses détracteurs disaient qu’il fut « un homme méchant », qui passa « de la poésie à la tuerie » en référence à la répression dont furent victimes ses adversaires de toutes sortes, Senghor avait répondu lui-même que « la construction d’une jeune nation ne tolérait pas de faiblesse coupable ». Ainsi s’expliquait son refus de grâcier les deux seuls cas de condamnation à la peine capitale (Moustapha Lô et Ndakhté Faye), suivie d’exécution au Sénégal, en 1967. Il résista même à la pression des chefs religieux qui essayèrent de leur obtenir la grâce présidentielle, cela, bien qu’ils fussent ses alliés les plus sûrs depuis toujours. L’influence machiavélienne, dissolvante de l’élégance poétique, l’aurait poursuivi jusqu’à la fin de sa vie politique où, l’on nous raconta qu’il rendît hommage à ses anciens « amis » devenus ennemis, tantôt trahis, tantôt combattus voire humiliés par le passé : « Vous les jeunes, lisez Cheikh Anta Diop, c’est le seul savant que je connaisse, et Mamadou Dia aussi, c’est le meilleur théoricien de l’économie sociale ». Vrai ou faux? Disons qu’on peut le croire pour quelqu’un qui, voulant mettre fin au bicéphalisme enfanté par l’apprentissage douloureux du régime parlementaire et lui substituer un régime hyper présidentialiste, avait osé accuser son rival de vouloir « fomenter » un coup d’État. Ses anciens partisans quant à eux le rangeraient fièrement dans le panthéon des Dieux : ils ne parlent jamais de lui sans passion.

Nous ne voulons pas prendre part à cette querelle des aînés qui ont été pour ou contre lui, mais qui sont tous, peut-être, de bonne foi. Ce qui est incontestable, c’est qu’il est celui qui a construit les bases d’un État fort, d’une nation unie dans sa diversité ethnique, culturelle et religieuse. Il a bâti une éducation nationale qui a produit des cadres de qualité, il a fait rayonner la culture sénégalaise partout dans le monde. Il est et restera une référence historique qui a marqué le 20e siècle, quoi qu’on en dise ! Autant dans ses heures de gloire il a pu émouvoir, autant par certains de ses déboires, il a pu décevoir. Il faudrait se contenter de ce qu’il a laissé pour la postérité, loin des secrets qu’il a emportés dans son sommeil éternel, dans le repos auprès des siens qu’il avait tant souhaité : « Il ferait si bon de dormir sous les alizés » !

Le président Senghor rendit sa démission le 31 décembre 1980 après avoir réformé la constitution et inclus une disposition (le fameux article 35) qui permit son remplacement immédiat par son Premier ministre d’alors, Abdou Diouf.

2. Diouf (1980-2000) : l’administrateur froid et distant

Après 20 ans au pouvoir, l’image qu’il projetait à la fin de son mandat rompait avec son enthousiasme de départ. Décrit comme « un chanceux qui a tout obtenu sans avoir rien demandé », cet homme posé et réfléchi a occupé tous les postes de responsabilités étatiques : gouverneur, ministre, Premier ministre, Président. Pour avoir assumé très tôt et très jeune des responsabilités et profité des privilèges que confèrent les fonctions administratives, ses détracteurs disent que « ses apparences d’homme insensible à la souffrance de son peuple » s’expliquent par le fait même qu’il n’a jamais payé de factures et ne connait donc pas les difficultés qu’endurent ses compatriotes pour joindre les deux bouts. Vrai ou faux ? En lui tout seul, il a concentré l’expression des angoisses, les mécontentements populaires relayés avec insistance par des « forces » médiatiques « audibles » et « crédibles » qu’il a contribué à faire éclore par sa volonté d’ouverture démocratique dès son accession au pouvoir. Arrivé au pouvoir en ce début des années 80, on ne peut pas nier le fait que le contexte de crise économique l’ait desservi. Les conséquences désastreuses des politiques d’ajustement structurel ont attisé les tensions sociales, et les périodes électorales (1983, 1988 et 1993) ont donné l’occasion aux leaders de l’opposition, principalement, son chef historique, Abdoulaye Wade, de se faire les porte-voix des revendications d’une population désormais amplifiées par l’exceptionnelle couverture médiatique de la presse privée. Et c’est là qu’il faut souligner le rôle exceptionnel et historique joué par les groupes Sud Communication et Walfadjri dans le discrédit du pouvoir de Diouf. Il est clairement admis, aujourd’hui, que s’il y a eu une alternance démocratique à la tête de l’État du Sénégal en 2000, les groupes de presse privés, notamment Sud Communication et Walfadjri y ont joué un rôle déterminant. Profitant de la libéralisation radiophonique des années 90, ces deux groupes ont initié des programmes marqués par l’usage important de la langue nationale wolof, avec une couverture systématique des grands moments de l’histoire politique institutionnelle du Sénégal, entre 1993 et 2000. Bien évidemment, le fait que les résultats des élections législatives de 1998 et présidentielles de 2000 aient pu être donnés en direct par les reporters des radios privées, via l’utilisation des téléphones cellulaires, a contribué à la transparence du scrutin. Le régime socialiste quarantenaire (1960-2000) a été victime sous Abdou Diouf de l’usure du temps. La jeunesse a triomphé d’un pouvoir usé, dépassé par les événements et qui n’a jamais su innover ses pratiques nourries à la source d’un clientélisme, marqueur indélébile de l’État néo-patrimonial inauguré sous Senghor, renforcé par Diouf.
Abdou Diouf, administrateur « froid », n’a jamais pu prendre le pouls d’une population qui transpirait le changement et dont il ignorait en pratique l’ampleur des demandes sociales. Gouvernant le plus souvent par délégation (sous la dictée des institutions financières internationales) et reposant sa confiance sur un potentiel dauphin, Ousmane Tanor Dieng, dont les traits communs étaient une grande connaissance de l’État, la discrétion, la mise classique, Abdou Diouf a su gouverner pendant 20 ans, en alternant fermeté et souplesse. Acculé par son opposition, il a eu à inaugurer l’ère des gouvernements à majorité élargie pour apaiser un climat social et politique souvent perturbé par les contestations de l’opposition qui suivent les lendemains de scrutins électoraux manifestement entachés de fraudes. Poussé au devant de la scène par Senghor, d’abord comme Premier ministre, puis comme successeur à la tête de l’État, il n’avait d’autre choix, pour s’affranchir de l’ombre tutélaire de son ancien mentor, que de proposer des réformes qui allaient consolider la démocratie sénégalaise. Ce qu’il fit ! Devant faire face ensuite à l’intérieur de son propre parti à des « dinosaures » politiques produits de l’époque « senghorienne » et revendiquant une légitimité historique, il a favorisé l’émergence de nouveaux cadres, novices dans le jeu politique. C’était l’époque de ce que l’on nomma la « desenghorisation ». Mal lui en prît, mais avec des effets différés. Car les défections des rangs du Parti socialiste de personnalités aussi marquantes que les anciens ministres Djibo Kâ (1998) et Moustapha Niasse (1999) qui n’ont jamais accepté l’accaparement de la direction du parti par des « jeunes » dépourvus de légitimité historique, seront les premiers signes annonciateurs d’une défaite programmée mais différée, dès lors que les conditions d’une élection libre et transparente seraient réunies. De plus en plus esseulé et « enfermé » dans son palais, Abdou Diouf s’est davantage éloigné des préoccupations urgentes de son peuple dont les conditions d’existence étaient déjà profondément affectées par les conséquences sociales néfastes des politiques d’ajustement structurel, puis par la forte dévaluation du franc CFA, et enfin par les plans d’austérité du duo de technocrates aussi « froids » que leur « patron », Mamadou Lamine Loum et Pape Ousmane Sakho, à la manette de l’économie sénégalaise.
Diouf est en fait le contraire de son successeur, Wade.

3. Wade (2000-2012) : l’intellectuel brillant et mégalomane

Populiste, ayant une connaissance empirique des masses qu’il savait entraîner dans son élan populaire, grâce aussi, reconnaissons-le, à son exceptionnel charisme. Verbomoteur, amoureux des médias, surtout quand ceux-ci savent se montrer déférents à son égard, Wade a eu à créer dans le passé des supports médiatiques qui ont bénéficié de la collaboration de journalistes professionnels, et qui ont connu à un moment donné de l’histoire politique sénégalaise, un succès retentissant. Intellectuel brillant, calculateur, mégalomane sûr de son prétendu « génie », Wade est arrivé au pouvoir avec plein d’idées, une réflexion stratégique qu’il a par la suite déroulée avec un volontarisme assumé au point de pouvoir se prévaloir incontestablement d’un bilan élogieux, en termes de réalisations infrastructurelles. Sensible aux louanges, autoritaire, rhéteur hors pair au verbe facile explorant le registre d’une expertise multiple, il ne lui déplairait pas de se voir « coller » l’étiquette d’un « despote éclairé ».
C’est cet homme politique « rusé » comme le décrivait le président Senghor, courageux, résilient, éprouvé par 26 longues années d’opposition, que les Sénégalais ont élu le 19 mars 2000. Il avait une légitimité sociologique qui allait au-delà de sa majorité électorale. Il a surfé sur cette vague de popularité durant les 7 premières années de son « règne », en construisant, en inaugurant, en continuant à promettre, à faire rêver. Ce rêve de grandeur a certes transformé positivement le Sénégal, mais il a aussi consacré l’émergence de « nouveaux riches » dont le comportement arrogant a dérouté et détourné bien des attentes de personnes qui se sont senties trahies dans la réalisation de l’idéal symbolique du « Sopi » (changement), et qui ont fini par exprimer leur déception, parfois de manière violente. Une violence à laquelle répondait la répression tout aussi violente et aveugle du régime de Wade à la veille du scrutin présidentiel de 2012, alors que la candidature de ce dernier à un troisième mandat, validée par le Conseil constitutionnel, était rejetée par une grande partie de la population, surtout les jeunes qui l’adulaient auparavant. On se demande toujours comment un homme politique aussi avisé, de la dimension de Abdoulaye Wade, visionnaire, personnage mythique de l’histoire politique sénégalaise, a pu sortir par la « petite porte » ?
Pour saper les fondements de son parti et susciter la colère du peuple, Wade n’avait pas cherché loin. Abdoulaye Wade a combattu, humilié et brimé ses compagnons de parti pour le plaisir de son fils Karim Wade. Amour du fils contre désamour de son parti et mépris du peuple, la coupe était pleine. Répétons-le, en politique comme en amour, toutes les fautes s’expient et ne se réparent jamais ! « Le pouvoir ne s’hérite pas, il se mérite », disaient les communicants du fils du président Wade, postulant que ses réalisations légitimeraient ses futures prétentions à nous diriger. Mais, il fallait y ajouter, pour préserver toute la rigueur de l’analyse, que le charisme d’antan du père ne s’hérite pas, sa proximité culturelle avec les votants, non plus. Et l’on aurait alors vite compris que l’entreprise était vouée à l’échec, en plus de saper les repères fondamentaux d’un parti historiquement légitimé qui n’a pas supporté l’émergence sur ses marges d’une excroissance monarchique nommée prétentieusement « Génération du concret ».

Le 25 mars 2012, Abdoulaye Wade a perdu l’élection présidentielle au terme d’un 2e tour qui l’a vu faire face à des forces coalisées qui dépassaient manifestement le cercle de son opposition classique. Il est remplacé par son ancien Premier ministre devenu son opposant, Macky Sall.

4. Macky (2012-2019) : le pragmatique ordinaire et habile

Ce dernier, pragmatique, ordinaire, calme, est l’antithèse de son prédécesseur. Pas populiste du tout, sans charisme, ni éloquence, il sait combler ses déficits politiques naturels par une intelligence tactique éprouvée depuis sa rupture avec le Parti démocratique sénégalais (PDS), en 2008. En jouant à fond la carte « victimaire », il a aussi brillé par sa cohérence en rompant sans ambages avec son ancien mentor. Conscient de la force symbolique que peut constituer dans la pratique politique africaine la proximité sociale et spatiale, il a intelligemment exploité son capital politique de départ : un ancrage local politico-historico-culturel : le Fouta et le Sine. Il a investi très tôt le Sénégal des profondeurs, démarrant sa campagne électorale au moment où ses potentiels concurrents dans l’opposition misaient sur la seule hypothèse d’une invalidation par le Conseil constitutionnel de la candidature du président de la République sortant (Abdoulaye Wade). Il a pu compter sur le soutien de nombreuses personnes (ressources politiques locales) « déçues » des années Wade, lesquelles s’accommodent plus facilement de sa nature moins autoritaire, de sa posture plus modeste, pour espérer bénéficier d’une plus grande attention de sa part. Toutes qualités qui sont importantes quand l’on est dans la dynamique de la conquête de pouvoir, mais qui peuvent se révéler handicapantes à l’heure de la gestion du pouvoir. C’est une hypothèse qu’on peut avancer pour expliquer les impressions de tâtonnements, de confusions et d’incohérences qui habitent les premières années de la gestion du pouvoir de Macky Sall. Un président de la République sensible aux pressions, qui subit plusieurs influences, qui a du mal à se décider, à l’autorité chancelante, voilà l’image que renvoie le président de la République du Sénégal, Macky Sall. Cela reste une hypothèse, mais qui peut se vérifier sur plusieurs questions où la voix présidentielle est automatiquement battue en brèche par ses propres partisans : la question de la réduction du mandat de 7 à 5 ans appliquée au mandat en cours, en est, par exemple, une parfaite illustration. Pendant 4 ans, il a répété urbi et orbi sa volonté ferme de respecter son engagement électoral, alors qu’au même moment, des voix dissonantes et malhabiles, sans aucune apparence de considération de la parole présidentielle, s’exprimaient ouvertement dans le cercle de ses propres partisans. On peut parier, dans une forme de prospective intellectuelle, qu’il nous reviendra un jour que sa propre volonté n’a pu résister à celle contraire de ses partisans ou de ses proches dont l’influence démesurée s’apprécie à l’aune de l’expression de contradictions médiatiquement assumées. Élu sur la base des promesses de rupture, il est adepte de ces slogans creux qui sont à la pensée ce que le défilé militaire est à la danse : « la patrie avant le parti » ; « gouvernance sobre et vertueuse ». Ce qui ne l’empêcha pourtant pas de faire avez un zèle insoupçonné et surprenant les éloges de la transhumance politique qu’il fustigeait auparavant, comparant les transhumants à des « rats ». Si avaler sa propre vomissure est une pratique courante chez l’homme politique ordinaire, peut-on l’admettre pour un président jeune élu sur la base des promesses de ruptures symboliques ? Un président jeune, né après l’indépendance (1960), censé incarner la rupture ne peut, ne doit pas faire la promotion de la transhumance. S’est-on trompé de penser que cette pratique « nomade » aux antipodes des valeurs cardinales promues historiquement par une société hyper moralisatrice qui célèbre ses héros (Serigne Touba, El hadj Malick etc.) en rappelant leur attachement aux principes les plus vertueux, aurait disparu avec l’avènement de la deuxième alternance en 2012 ? Ce qui est le plus surprenant dans les propos du président sénégalais légitimant la transhumance, c’est sa posture flegmatique, désinvolte, en abordant la question. La gravité des propos trouve d’abord sa source dans la légèreté avec laquelle on les a tenus. Quand le président de la République assimile la transhumance à la mobilité professionnelle en pointant l’exemple du journaliste, il pense célébrer les vertus d’une liberté attachée à la personne et que nul ne saurait remettre en cause, a fortiori, lui, le gardien des lois et libertés. Non, le président Macky Sall n’aurait jamais dû légitimer publiquement une telle posture et vanter la vilaine transhumance. Si nous poussons le raisonnement jusqu’au bout, c’est pour souligner les dérives que peut générer la légèreté avec laquelle une Institution s’exprime sur une question aussi grave et préoccupante pour l’éthique publique et la morale sociale qu’est celle de la transhumance politique.
La grande prouesse politique de Macky Sall est d’avoir réussi en partie et avant terme la promesse qu’il s’était faite : quand il disait qu’il va réduire l’opposition à sa plus simple expression, il ne parlait pas seulement de son opposition déclarée mais aussi de ses oppositions potentielles. L’analyse qu’il a faite au départ s’est avérée redoutablement juste, et les erreurs qu’avait commises son prédécesseur dans la gestion de ses alliances l’ont beaucoup instruit. Le Président Sall s’est dit dès le départ qu’en cooptant la majeure partie des partis au pouvoir (le PS, l’AFP, le Rewmi, la LD, le PIT etc.), ces derniers n’auront plus jamais les mêmes forces quand se posera un jour l’éventualité d’une rupture. Une partie restera avec lui pour garder des privilèges acquis et une partie se retrouvera éventuellement dans l’opposition parce que frustrée de voir des ambitions personnelles diluées dans une alliance bâtie plus sur des compromissions que sur des compromis. Dans tous les cas et dans les faits, leurs forces seraient considérablement réduites à défaut d’être anéanties. Regardons froidement la situation de tous ces partis et demandons-nous si oui ou non Macky Sall a réussi son pari ? Il faut quand même lui reconnaître ici une grande capacité de manœuvrier politique. Cependant, la dextérité politique est une chose, le niveau de satisfaction des populations destinataires ultimes de toutes actions politiques en est une autre. Or, donc, le bilan ne s’appréciera pas seulement en termes de réalisations visibles. Mais plus, nous croyons modestement, en termes de résolution des urgences sociales (c’est en cela que nous pensons, au passage, que les bourses familiales sont d’une redoutable efficacité politique) et de préservation de certaines valeurs et symboles. Sur ce dernier point (les valeurs et les symboles), nous pensons humblement que le jugement risque d’être plus sévère, car en encourageant ouvertement la pratique odieuse et honteuse de la transhumance, en renonçant à sa parole et donc à refuser de réduire son mandat de 7 à 5 ans, en ayant une approche sélective dans la gestion de la traque des biens mal acquis, en laissant éclore une certaine arrogance qui rappelle à bien des égards un passé récent avec les régimes précédents, les promesses de rupture d’un certain printemps 2012 risquent de sombrer dans un désespoir profond dont il va falloir vérifier s’il s’exprimera dans les urnes et non dans les rues.
Bref, dans 10 ans, les historiens pourront-il écrire que la rupture promise par Macky Sall était l’une de ces subtiles escroqueries politiques auxquelles les aspirants au pouvoir ont habitué leurs peuples? Comme ses prédécesseurs et ses nombreux autres pairs africains, Macky Sall ne fera pas la révolution mentale qui consacre le retour symbolique aux valeurs. La révolution des symboles moraux est aussi importante que celle de l’autosuffisance alimentaire, des infrastructures. On gouverne par l’exemplarité, parce que le poisson pourrit par la tête, d’abord. Les peuples n’élisent pas des dirigeants pour espérer ensuite qu’ils les gèrent par leurs défauts. C’est dans ce sens que cette boutade célèbre parce que souvent répétée comme excuse aux attitudes les plus négatives des gouvernements, est une absurdité monumentale : « Les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. » Non! Continuer à soutenir une telle assertion découle d’un effroyable laxisme épistémologique. Qui peut affirmer sans risque de se tromper que les Centrafricains ou les « ex-Zaïrois » par exemple, dans leur majorité, ressemblaient à Bokassa et à Mobutu et seraient capables de reproduire les mêmes « dérives » une fois placés aux mêmes fonctions? Les pires dictateurs peuvent nourrir leurs peuples, construire des routes, mais ils ne seront jamais capables de les hisser dans le respect des valeurs et des principes sans lesquels, le progrès ne se limitera jamais qu’à sa dimension matérialisée et matérielle. Gouverner sobrement et vertueusement, c’est veiller comme à la prunelle de ses yeux, à l’application de tous ces principes et valeurs symboliques pour lesquels les Sénégalais ont fait l’alternance de 2000 et la deuxième alternance de 2012; cette dernière étant censée corriger d’un point de vue radicalement éthique les manquements de la première. S’il faut reprendre les mêmes pour perpétuer des pratiques identiques prédatrices et entretenir les germes « corruptogènes » d’une caste politique clientéliste qui essaiment sur les administrés appauvris et résignés, il y a lieu de mener une vaste réflexion sur le sens du vote et des changements de personnes à la tête des États en Afrique.
Enfin, et pour finir avec ce tableau « réaliste » qui redessine le parcours et la personnalité des 4 présidents qui se sont succédé à la tête de l’État, il reste à préciser que nous n’écrivons pas pour plaire ou pour déplaire. Notre préoccupation est d’interpeler, dans une perspective de critique sociale, tous ceux qui de par la nature des fonctions qu’ils occupent, peuvent changer les choses dans le bon sens, c’est à dire dans le sens qui fait sens pour la collectivité qui leur a délégué son pouvoir dans un système de représentation démocratique. On peut rejoindre Serge Halimi dans cette perspective qui résume le rôle de l’intellectuel dans sa société : « La critique sociale n’est pas un exercice de style destiné à être élégant, original, salué par ses collègues. Elle est la marque de la volonté de transformer le monde social, ou au moins d’avoir des effets sur lui. » Un intellectuel attiré par les sirènes du pouvoir aurait fait autrement pour rester dans la bienséance. Mais quel service aurait-on rendu alors à la collectivité qui nous rétribue pour réfléchir et partager avec elle les fruits de notre réflexion? « En passant la ligne sacrée de la bienséance, disait Bourdieu, on donne des armes à ceux qui n’ont pour eux que le respect de la bienséance, qui fait la dignité du corps des professionnels. Je me suis dit qu’il n’est pas possible, quand on est un peu responsable, de garder le silence, de ne pas essayer de dire un peu de ce qu’on croit avoir appris, aux frais de tous, sur ce monde. »
Pr Ndiaga Loum, professeur titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie,
Directeur du Laboratoire PéRICOM.

9 Commentaires

  1. Pragmatique ordinaire et habile pour détruire la démocratie (fruit d’une longue quête), la magistrature, la concorde entre ethnies, l’éducation, ..pragmatisme pour détruire les fondations d’une nation, l’âme d’un peuple..un libéral plus mackyavélique que celui que tu décrit en premier
    Un collègue qui ne cherche pas à manger dans le râtelier sale et puant…Bon vent cher collègue
    Certains vont lire en riant…

  2. Eh oui Mr. Loum, les peuples ont bel et bien les dirigeants qu’ils méritent, car la force ultime reste le peuple. Si une contre-valeur venait par accident au pouvoir, il serait obligé de changer dans le sens du peuple ou se faire bouter dehors par le peuple, car il(le peuple) ne saurait le souffrir. Le pouvoir corruptogène du despote ne saurait prospèrer dans un environement saint, car la résistance la plus farouche, viendrait de son cercle immédiat.

  3. le Sénégal n’a jamais eu un président digne de ce nom, il suffit de regarder l’état dans lequel le pays est. mais le vérité est que c’est le peuple sénégalais qui est corrompu. c’est le peuple sénégalais qui n’aime pas son pays

  4. Monsieur Loum
    Je ne sais pas si je suis d’accord ou pas mais khamnalene de, Senghor ne maîtrise pas mieux cette langue que vous. BILAHI !ta plume est savoureuse et la lecture délicieuse. Waaaw…kham Khan piiir machala

  5. Bill tu as tout dit
    C’est le peuple qui est corrompu
    Il suffit de regarder ceux qui sont respecté
    Un grand marabout ne demandait il pas un patron pour Karim ?
    Avez vous vu un marabout demander le pardon pour les voleurs de poules ?
    Jamais
    C’est sont le peuple qui est profondément corrompu même si tout le monde faut semblant de …….

  6. Sénégal liniou kham moy farando kou far si liniou gueum khamouniou analyse. Merci pr pour les éclaircissements vraiment les mêmes erreurs au pouvoir se répètent et l’exemple est palpable

  7. Sénégal liniou kham moy farando kou far si liniou gueum khamouniou analyse. Merci pr pour les éclaircissements vraiment les mêmes erreurs au pouvoir se répètent et l’exemple est palpable

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