Les indicateurs les plus bas dans le domaine la planification familiale au Sénégal sont enregistrés dans la région de Diourbel, caractérisée par une faible utilisation des services de santé maternelle d’une manière générale. Cette situation est imputée à la polygamie et à la religion décrites comme étant les principaux obstacles à la planification familiale. Ainsi, les grandes multipares (celles ayant accouché plusieurs fois) s’intéressent plus à la contraception, contrairement aux jeunes femmes.
Religion et polygamie. Tels sont les facteurs les plus déterminants de la faible pratique de la planification familiale dans la région de Diourbel, située au centre du Sénégal. D’ailleurs, c’est dans cette zone, marquée par une démographie galopante (1.641.350 habitants), un fort taux d’analphabétisme des femmes (80%), un faible niveau de scolarisation des enfants (38,4%), un Indice synthétique de fécondité de 5,4 enfants par femme en milieu urbain et 6,7 en milieu rural, une mortalité maternelle élevée (115 décès maternels déclarés en 2016 dans les structures sanitaires), où est enregistrée la plus basse prévalence contraceptive au Sénégal, renseigne le Dr Balla Mbacké Mboup, médecin-chef régional. Ainsi, sur les 397.206 Femmes en âge de reproduction (Far), seules les 28.410 sont sous contraception. Soit un Taux de prévalence contraceptive (Tpc) d’environ 7% en 2016 dans cette région qui comprend 4 districts sanitaires Diourbel (7%), Mbacké (12,3%), Bambey (9%) et Touba (5,3%).
Le facteur le plus déterminant pour expliquer, d’une manière générale, la faible utilisation des services de santé maternelle, et en particulier la planification familiale est, selon le Dr Mboup, la religion. Seulement, estime le Dr Adama Haidara Mbacké, médecin-chef du district sanitaire de Mbacké, « la religion n’est pas un frein, dans la mesure où des chefs religieux laissent leurs épouses faire la planification familiale ». Elle indexe plutôt la polygamie d’être à la base de la quête effrénée d’enfants chez beaucoup de femmes de la région de Diourbel. Car « dans ces localités, les gens accordent beaucoup d’importance à la progéniture nombreuse », justifie-t-elle.
Donnant l’exemple de sa sœur, Maguette Sène Yade, secrétaire générale du groupement des femmes du quartier Boussobé (fief des Bousso), à Mbacké, révèle que cette dernière est dans un ménage polygame. « Elle évoque à chaque fois l’héritage pour justifier son souci d’avoir beaucoup d’enfants », témoigne Mme Yade, soulignant que sa sœur a même réussi à tomber enceinte à deux reprises en même temps que sa propre fille. « Ayant connu des complications lors de ses dernières grossesses, je lui ai signifié qu’elle ne sera certainement pas là pour jouir de l’héritage dont elle parle. C’est à partir de cet instant qu’elle a recouru à la planification familiale », explique Maguette Sène.
Dans le même sillage, fait remarquer le Dr Adama Haidara Mbacké, médecin-chef du district sanitaire de Mbacké : « C’est en période pré-ménopause que beaucoup de femmes font la planification familiale, parce qu’elles craignent de tomber enceinte en même temps que leurs filles ou belles-filles ». A titre illustratif, le médecin cite le cas d’une dame qui, après son 10ème enfant, est encore tombée enceinte. « Une semaine après son accouchement, sa propre fille a aussi accouché », rapporte le médecin, estimant que c’est généralement pour éviter « cette situation inconfortable » que certaines femmes se lancent dans la contraception. Une pratique décrite par Maguette Sène Yade comme « source d’équilibre de la famille ». Ainsi, elle doit être « l’affaire du couple et non pas de la femme uniquement ». Elle est, ce faisant, d’avis que « si on explique bien aux maris, ils vont adhérer ». S’exprimant sur la réticence des maris, la Badianou Gokhe (marraine de quartier) Fatou Samb, membre du groupement des femmes de Boussobé à Mbacké, estime que « c’est aux femmes de convaincre leurs époux de les laisser faire la planification familiale ». Selon elle, « ni la religion, ni la culture ne sont contre cette pratique qui est dans l’intérêt de la famille. Les femmes doivent éviter les grossesses rapprochées trop dangereuses pour leur santé et la famille dans son ensemble », plaide-t-elle.
Compte-tenu de la prégnance de la religion et des barrières socioculturelles, le Dr Balla Mbacké Mboup, médecin-chef de la région médicale de Diourbel, pense qu’il est nécessaire de favoriser la création de la demande en mettant l’accent sur la communication et la formation des agents de santé pour que ces derniers aient la même compréhension de la planification familiale, avec comme principal axe l’espacement des naissances. « Il faut aussi affiner la communication, impliquer les leaders religieux », avance-t-il.
Sera-t-il facile de mobiliser les religieux autour de la planification familiale ? « Nous allons essayer, on peut espérer les avoir dans la mesure où il y a des personnes ressources qui peuvent être des porteurs de messages », rétorque le Dr Mboup, rappelant que lors de la réunion sur le Cadre stratégique national de planification familiale (Csnpf) qui a eu lieu dernièrement dans le département de Mbacké, « des religieux étaient présents ».
ESPACEMENT DES NAISSANCES : Des religieux s’engagent à sensibiliser les communautés
L’espacement des naissances n’est pas interdit par l’islam. C’est pourquoi des leaders religieux « se sont engagés à sensibiliser les communautés », indique Serigne Saliou Mbacké, président du Cadre des religieux pour la santé et le développement (Crsd). Une entité mise en place en 2014 pour« promouvoir la coopération entre les familles religieuses ».
Le Cadre des religieux pour la santé et le développement (Crsd) peut être un allié majeur dans la lutte contre la mortalité maternelle au Sénégal et la promotion de la planification familiale par l’espacement des naissances. Selon son président Serigne Saliou Mbacké, c’est une « association interreligieuse regroupant l’ensemble des familles religieuses, aussi bien islamiques que de l’église catholique ».
Créée en 2014, la mission du Crsd est de « promouvoir la coopération entre les familles religieuses ». « Nous travaillons sur un projet de contribution religieuse à la planification familiale sous l’angle de l’espacement des naissances prévu par les religions », explicite M. Mbacké, rappelant que « le Sénégal, comparé à beaucoup de pays à majorité musulmane, a un Taux de prévalence contraceptive (Tpc) bas ». Il est de 20,1%, selon l’Enquête démographique et de santé (Eds) de 2015.
Pour Khaoussou Bousso, résidant au quartier Boussobé de Mbacké, par ailleurs représentant du Crsd dans cette localité, les gens ont, pendant longtemps, assimilé la planification familiale à la limitation des naissances. « Ils ignoraient l’espacement des naissances et la lutte contre la mortalité maternelle », avance-t-il, rappelant que « l’islam a toujours préconisé un espacement des naissances d’au moins 2 ans à travers l’allaitement maternel ».
Dans le cadre de leurs activités, le Crsd a tenu récemment à Mbacké un atelier qui a regroupé plusieurs leaders religieux, renseigne Serigne Saliou Mbacké. Cette rencontre, ayant connu un franc succès, les leaders religieux présents « se sont engagés à sensibiliser les communautés sur l’acceptation de l’islam de l’espacement des naissances », informe-t-il, précisant qu’ils vont continuer à travailler pour augmenter le Tpc au Sénégal. Réaffirmant que l’espacement des naissances n’est pas interdit par l’islam, le Crsd compte aussi, selon son président, « travailler avec les médias pour booster le Tpc ».
Evoquant les réticences de certains religieux sur la planification familiale, M. Mbacké, souligne que le Crsd n’a pas connu d’opposition de façon directe. « Mais, nous savons qu’il y a des gens qui sont contre. Ce faisant, nous essayons de nous concentrer sur l’argumentaire religieux », indique-t-il.
RECRUTEMENT DANS LES PROGRAMMES : Les jeunes femmes ne s’intéressent pas à la planification familiale
Croyant qu’elles auront des difficultés à concevoir après la pratique de la contraception, nombreuses sont les jeunes femmes mariées qui refusent la planification familiale dans la région de Diourbel. Ce faisant, les services sont dans la plupart des cas demandés par des multipares.
A 30 ans, Ma Guèye, rencontrée au dispensaire municipal de Mbacké, a déjà 7 bouts de bois Dieu. Enceinte pour la 8ème fois, elle avoue n’avoir jamais pratiqué la planification familiale et ne pas vivre dans un ménage polygamique. « Ce qu’on voit surtout dans cette zone, c’est comment avoir un enfant, pas comment faire la planification familiale », renseigne le Dr Adama Haidara Mbacké, médecin-chef du district sanitaire de Mbacké.
Des propos confirmés par Oulimata Dieng du groupement des femmes du quartier Boussobé de Mbacké. « Nous discutons beaucoup avec les jeunes filles mariées, mais elles refusent catégoriquement la planification familiale ». Selon Mme Dieng, « ces jeunes femmes croient que si elles commencent la contraception, elles auront des difficultés à tomber enceinte plus tard au moment voulu ». Une opinion corroborée par Sassi Diop Diouf, sage-femme et point focal Pf au Centre de santé de Bambey. « Les jeunes femmes n’aiment pas faire la planification familiale. Elles craignent de ne pas avoir beaucoup d’enfants. De ce fait, nous recevons en majorité de grandes multipares », révèle-t-elle.
Pour résoudre cette barrière qui freine l’utilisation de la contraception dans la région de Diourbel, Oulimata Dieng pense que les « Badianou Gokh » (marraines de quartier) peuvent permettre de relever le défi de faire recruter des filles qui se marient très jeunes dans les programmes de planification familiale. En tout cas, Ma Guèye est bien décidée, après son accouchement, « à prendre des contraceptifs pour me reposer, car j’éprouve de plus en plus de difficultés lors de mes grossesses », confie-t-elle, précisant que l’espacement des naissances n’est pas interdit par l’islam. « Je veux vraiment recouvrer ma santé, car je deviens de plus en plus fatiguée », souligne cette femme qui se dit toujours surprise par ses grossesses. « On m’a toujours informée des bienfaits de la planification familiale. Mais, je donnais à chaque fois mon consentement sans pour autant passer à l’acte. Ainsi, quand je constatais l’absence des règles, un sentiment d’inquiétude m’habitait », raconte Ma Guèye, déterminée cette fois à recourir à la planification familiale. « J’ai déjà parlé à mon mari, mais il n’a encore rien dit. Je crois qu’il va accepter », espère cette multipare qui fait toujours sa première Consultation prénatale (Cpn) après 4 mois de grossesse.
Assise à côté de Ma Guèye au dispensaire municipal de Mbacké, Khady Sadio, 32 ans, évoquait au début les rumeurs pour rejeter la contraception. Mais, elle la pratique depuis 5 ans. « J’ai 3 enfants, et c’est moi qui ai pris l’initiative de faire la planification familiale pour me reposer et mieux m’occuper de mon petit commerce ». Selon elle, son époux n’était pas d’accord au début, c’est par la suite qu’il a accepté. Elle est contre le fait d’avoir beaucoup d’enfants, parce qu’on vit dans un ménage polygame, même si elle reconnaît que c’est une réalité dans sa localité. « Je me préoccupe de ma santé et de celle de mes enfants, mais il y a des femmes qui ignorent cela, refusant ainsi catégoriquement la planification familiale », soutient Khady Sadio.
INFORMATION, SENSIBILISATION : Doter les « Badianou Gokh » de plus de moyens
La stratégie « Badianou Gokh » (marraines de quartier), des femmes leaders choisies dans leurs communautés respectives pour sensibiliser sur la santé maternelle, néonatale et infantile, est initiée au Sénégal depuis 2010 pour améliorer les indicateurs sanitaires. Dans la région de Diourbel, elles sont 775 à officier au profit des femmes en état de grossesse, allaitantes, des nouveaux nés, des enfants, bref pour le bien-être de la communauté. « Nous servons de relais entre les communautés et les structures sanitaires dans la lutte contre les grossesses rapprochées par exemple », explique Fatma Diop, présidente régionale des « Badianou Gokh » de Diourbel.
Compte tenu du rôle primordial qu’elles jouent dans l’amélioration du bien-être général dans les communautés, Mme Diop réclame plus de moyens leur permettant de s’acquitter convenablement de leur mission, même si elles exercent à titre de bénévoles. « Nous voulons qu’on nous dote de moyens, surtout pour nos déplacements, afin d’assurer un meilleur maillage du territoire régional ». Elle ajoute qu’elles ont aussi besoin de téléphones portables dotés de crédit pour qu’elles puissent mieux faire leur travail.
Adjaratou Fatou Ndiaye Sène, coordinatrice Sr régionale plaide aussi pour qu’on augmente le nombre de « Badianou Gokh ». Selon elle, le déficit est évalué à plus de 800 dans la région de Diourbel. A son avis, c’est à cause de l’insuffisance de ce personnel d’appui et des moyens que le Plan d’actions annuel (Paa) déjà finalisé ne peut pas être exécuté. Son plaidoyer intègre également la formation et le recyclage de ce personnel d’appui.
Le district sanitaire de Mbacké réclame un bloc de Soins obstétricaux d’urgence
« En période d’affluence, nous rencontrons d’énormes difficultés », informe le Dr Adama Haidara Mbacké, médecin-chef dudit district qui plaide pour la mise en place d’un bloc pour les Soins obstétricaux d’urgence (Sou). Quid d’affluence ?, Mme Mbacké fait allusion à « la période de pic des accouchements située entre août et janvier ». Durant cette période, nous pouvons avoir 20 à 25 accouchements par jour. Ainsi, il peut arriver que des parturientes soient référées dans les hôpitaux de Touba (Ndamatou ou Matlaboul Fawzeini) et à Diourbel. « D’où l’urgence d’avoir un bloc Sou », plaide le médecin-chef du district sanitaire de Mbacké. D’ailleurs le Centre de santé dudit district est en train d’être réhabilité dans le cadre du Projet d’appui à l’offre et à la demande en santé (Paodes). La fin des travaux est annoncée pour le mois d’août prochain.
« Nous aurons aussi besoin d’un personnel supplémentaire après les travaux de réhabilitation. Nous n’avons, par exemple, pas de pédiatre pour prendre en charge les complications des nouveau-nés », explique le Dr Adama Haidara qui espère également bénéficier du programme d’accouchement humanisé suite aux travaux d’extension du centre de santé. « A cause de l’étroitesse de nos locaux, il n’était pas possible de faire l’accouchement humanisé. On voudrait maintenant entrer dans le programme », sollicite-t-elle.
Mais le principal défi auquel fait face le district sanitaire de Touba est relatif à la collecte des données. « Pour la planification familiale, si on intègre les données des hôpitaux, on peut avoir 8 à 10% », estime le médecin-chef qui évoque aussi comme frein à la pratique de la contraception la réticence de certaines belles-mères et de ceux qui développent des arguments contre la planification familiale. « L’adversité de ceux qui développent des argumentaires religieux contre la planification familiale nous pose problème. Certains refusent même qu’on parle de planning dans les réunions. N’empêche, nous avons formé des relais pour parler aux femmes. Nous impliquons également de plus en plus les leaders femmes et nous mettons l’accent sur l’espacement des naissances et non la limitation des naissances pour faire accepter la planification familiale », explique le Dr Mamadou Dieng.
Dossier réalisé par Maïmouna GUEYE
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Et c’est tant mieux pour la région de Diourbel. Pourvu que ça dure.
Xeme, le commentateur le plus réac du web sénégalais.