Rencontre avec Jean-Claude Mimran : Les vérités salées du roi du sucre – «Jai perdu beaucoup de temps et d’argent avec l’électricité au Sénégal»

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Que mettre pour aller rencontrer et déjeuner avec la 30e fortune de France, dans son chalet de Gstaad, station de ski huppée de la jet-set et de la haute-société internationale, nichée à 1 050 mètres d’altitude dans le canton de Berne en Suisse ? L’hôte est voisin de Johnny Halliday, du Prince Victor Emmanuel de Savoie, fils du dernier roi d’Italie Umberto II et de Marie-José de Belgique. Il partage les pistes de promenade avec le roi Constantin II de Grèce et la reine Anne-Marie de Danemark. Il croise régulièrement à la place du village les milliardaires Mohamad Al Fayed et Günter Sachs ainsi que les joailliers Laurence Graff, Franklin Adler et Carole Schenfele (Chopard), les Barclay ou le couturier Valentino Garavani, ainsi que le cinéaste Roman Polanski. Franchement dites-moi, à cette question, nous répondrions naturellement, «un costume sombre, strict, une chemise écarlate et des souliers noirs lustrés avec une formule à base de cire d’abeille». Jean-Claude Mimran ne mange pas de ce pain-là. Il a fait de la simplicité son signe de reconnaissance, sa marque de fabrique. On comprend alors le «casual wear» de son collaborateur Mamadou Diagna Ndiaye, celui qu’il couvre de l’attribut «ma main droite et ma main gauche». Ma première rencontre avec Jean Claude Mimran date de plusieurs années, du temps où il était Président de la Cbao et un certain Abdoul Mbaye en était le Directeur général. Il avait promis un entretien, une promesse qu’il avait du mal à tenir malgré nos multiples relances. Je n’en croyais pas mes oreilles quand, rappelé une nouvelle fois, M. Mimran lâcha : «Pourquoi vous ne venez pas demain ?» Face à Jean-Claude Mimran, on ne peut s’empêcher de laisser tomber sa veste pour être à l’aise. Jean-Claude Mimran est vêtu d’un pantalon Jean avec une liquette en lin blanc et des sandales aux pieds. Les seuls signes de richesse ou d’opulence dans la demeure sont le cigare entre les doigts et quelques tableaux de grands maîtres qui tapissent certains murs. Le rendez-vous était prévu pour la veille à Monaco. J’avais raté mon vol en partance de Dakar. Les conditions changent alors. L’agenda du «boss» ne lui permet pas de rester une journée de plus à Monaco. «Pour faire l’interview, il faut maintenant le trouver en Suisse.»
Dans la famille Mimran, le travail est érigé en culte. Le fils Nachson qui venait de finir de défiler avec la délégation olympique sénégalaise aux jeux de Londres est retenu à Monaco par le travail et s’excuse de ne pouvoir arriver à temps pour le déjeuner. Seules les petites filles, qui accompagnent leur mère Catherine, la fille aînée de Jean-Claude installée aux Etats-Unis, et qui ont débarqué à Gstaad la veille, semblent profiter des faveurs de cet été suisse. Entre l’aéroport de Genève, où il était venu me chercher et le chalet de Gstaad, le chauffeur de Jean-Claude Mimran recevra deux fois des appels de son patron. L’heure de route lui semble interminable. Je trouve sur place Mamadou Diagna Ndiaye. Après les salamecs, on avale rapidement un plat de pâtes avant d’entamer l’interview. Pas plus d’une heure trente d’entretien, car il faudra reprendre immédiatement la route pour ne pas rater le dernier vol pour Paris. Sur le chemin du retour pour l’aéroport, je ne peux m’empêcher de dire à Diagna Ndiaye : «C’est ça votre vie, la vie de milliardaire ?»
M. Mimran, vous travaillez au mois d’août ?
Même si je souhaitais ne pas le faire, le travail me rattrape toujours.
Vous êtes entre deux rendez-vous, entre Monaco et la Suisse ?
Oui, en cette période, où que je sois, je travaille et les vacances ne se prennent qu’à temps partiel…
Pourtant, cette idée est largement répandue : les mil­liardaires seraient à Cannes pendant le Festival, à Saint-Tropez en juillet, sur les côtes corses, italiennes et croates au mois d’août et en hiver dans les Caraïbes…
(Rires) Non. Ce sont des clichés. Ceux qui sont riches par leur travail et réellement responsables, se doivent de conserver un contact quotidien avec leurs entreprises. Tous les jours, des arbitrages sont nécessaires pour résoudre les difficultés qui se présentent à chaque instant. Peut-être que certains rentiers ne font rien, mais je ne suis pas de ceux-là. Pour ma part, je garde le contact et je reste aux commandes.
J’avais pensé que vous aviez une vie sur un yacht ?
Effectivement, j’en possède un, et lorsque je m’y trouve je suis en liaison permanente par e-mail, par fax ou par téléphone satellitaire avec toutes les sociétés, pour résoudre les problèmes ponctuels et décider, recevoir les statistiques hebdomadaires de vente ou de production, analyser les bilans mensuels et demander des explications sur tous les chiffres surprenants ou anormaux, etc.
Pour l’exemple, ce dernier ven­dredi (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 10 août 2012), toute la journée a été consacrée à la recherche de solutions pour une cargaison de farine, bloquée dès l’entrée en Guinée. C’était une vente entre pays de la Cedeao, à partir de Dakar, avec des droits de douanes spécifiques aux accords de la sous-région. Subitement, à l’arrivée en Gui­née, les droits de doua­nes préférentiels de la Com­munauté des Etats ont été ignorés et une taxe de 33% a été exigée. Malgré les contacts avec le président guinéen et son directeur des Douanes, la situation n’a pu se décanter et la marchandise a dû être retournée sur Dakar ! Voilà un cas de péripéties graves qui arrive en plein milieu de l’été et pour ne parler que de l’Afrique…
Dernièrement le magazine Chal­lenge vous a classé par­mi les 30 hommes d’affaires les plus ri­ches de France… Quels sont vos commentaires?
C’est leur opinion et leur classement, mais je m’interroge. Je suis effectivement Français mais n’ai jamais habité ou vécu en France. De plus je ne possède aucune affaire dans ce pays.
Alors, le Président Senghor décida de lancer ce projet par le biais de l’Etat et envoya son ministre du Plan de l’époque (qui deviendra le Pré­sident Abdou Diouf) à Bruxelles pour solliciter une aide de l’Europe en faveur du Sénégal. De Bruxelles, Abdou Diouf a téléphoné au Pré­sident Senghor pour l’informer de leur refus. Im­médiatement, le président saisit l’opportunité de la présence de Abdou Diouf en Europe, pour le dépêcher en Suisse à la rencontre de son ami Jacques Mimran afin de lui présenter ce projet. A la fin de cette entrevue, mon père a téléphoné au président Senghor pour lui dire entre autres : «…Sans avoir été au Séné­gal dans la région de Richard Toll, j’accepte tout de même de créer ta sucrerie…». Ensuite, il m’a envoyé dans le Walo dès l’année 72 et c’était le début de l’aventure sucrière sénégalaise…
Vous deviez être bien jeune à l’époque !
J’avais 27 ans !
Qu’est-ce que cela vous faisait de venir mettre la main à la pâte à cet âge ?
Démarrer ce projet de zéro m’a procuré un immense plaisir et Richard Toll n’était qu’un tout petit village, avec 1 500 ou 2 000 habitants. Avec un seul téléphone à la poste c’était, en 1972, un peu le bout du monde ! Se lancer à cette époque, aux portes du désert et découvrir aujourd’hui l’évolution de la ville, des bourgades environnantes, notre propre transformation dans la sucrerie, c’est une merveilleuse aventure. Mais par-dessus tout, ce qui me satisfait le plus c’est, dès ces années-là et sans rien rajouter, d’avoir repris les enseignements de mon père pour devenir comme lui, un partisan acharné de l’industrialisation de l’Afrique et de la promotion de son développement rural. Quarante ans après, ce sujet est toujours à l’ordre du jour en occident. Pour s’en persuader, il suffit d’écouter Arnaud Montebourg ou le Président Hollande ainsi que les responsables de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international.
Le Peuple africain est d’essence rurale et attaché aux valeurs de la terre. Ces masses d’émigration du monde agricole vers des villes sans suffisamment d’emplois, sont néfastes. Les populations devaient et doivent être fixées, encouragées et formées pour cultiver leurs produits de première nécessité. En d’autres mots, «l’autosuffisance alimentaire». Ce n’était pas l’avis de certains membres d’institutions internationales, voire de gouvernements étrangers, qui préféraient vendre à bon compte, aux pays d’Afrique, leurs surplus agricoles subventionnés au profit de leurs propres producteurs.
Aujourd’hui tout change ; les surplus se font rares et les pénuries de denrées alimentaires menacent le monde. Les gouvernants s’inquiètent et réagissent avec difficulté. Ils ont en charge un développement industriel ou agro-industriel dont les projets essentiellement étatiques, au Sénégal ou ailleurs, réussissent rarement. Alors, ce développement doit être soutenu par les Etats mais naître des initiatives privées ; ces privés qui trop souvent, recherchent des retours sur investissements plus rapides que ceux obtenus dans l’agriculture. En effet, les engagements agro-industriels sont lourds et le retour sur investissement est lent.
Personnellement, je me suis toujours ac­commodé de cela et avec ténacité, j’investis volontiers et continuerai à le faire. Coûte que coûte, nous nous devons de développer l’industrie et l’agriculture au Sénégal, en Côte d’Ivoire et partout ailleurs. Tous ces pays qui importent du riz, du maïs, etc. doivent les produire eux-mêmes, pour devenir autosuffisants.

Comment le vieux Jacques avait perçu le projet que vous avez réussi ? Il n’a, peut-être pas eu trop le temps de le voir mûrir…
Malheureusement non, car au mois de mai 1975, l’usine tout juste en marche, mon père est décédé à Dakar, après avoir vu les premières plantations de canne qui venaient de démarrer. L’essentiel était fait et je n’ai eu qu’à prendre la suite.
Mais depuis ce temps, vous avez bien fait croître l’empire Mim­ran !
Oui, et le Groupe Mimran continue de s’accroître avec l’engagement d’un programme d’autosuffisance en sucre pour le Sénégal, qui a nécessité près de 90 milliards de francs Cfa.
Quand avez vous lancé ce nouveau programme ?
Il y a trois ans.
L’investissement a-t-il été soutenu par l’Apix ?
Absolument pas, cette possibilité n’a pas été retenue car nous autofinançons ce projet avec le soutien des banques locales.
Vos industries passent pour avoir des activités qui n’ont pas bénéficié d’exonérations comme la plupart des nouveaux investisseurs au Sénégal.
En fait, le Groupe a bénéficié du soutien de l’Etat grâce à un protocole d’agrément pour la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) qui accordait des facilités, sur plusieurs années. Hélas, ce protocole n’a pas pu être activé sur sa période de couverture. En revanche, la compagnie a obtenu d’autres facilités sur les matériels nécessaires au développement. A ce sujet, je considère que sous bon contrôle de l’Etat, cela doit être le cas pour tout investissement dans l’agriculture ; aussi bien sur le matériel utile à la préparation des terres que celui indispensable pour cultiver, ainsi que pour les engrais ou les produits herbicides, avec pour finalité, rendre les paysans compétitifs.
Le groupe Mimran passe au Sénégal, du moins aux yeux de certains responsables de l’administration fiscale, pour être un groupe «fiscalement civique», excusez-moi l’expression. Pourquoi tenez-vous à payer vos impôts … ?
Je suis un républicain et j’aime la liberté que la République apporte. Par contre, celle-ci ne peut être portée que par des lois appliquées à tous et consolidée par un Etat qui lui, ne fonctionne qu’avec les impôts collectés. En payant mes impôts, je participe à cet équilibre et depuis toujours, je mène bataille au Sénégal pour que ses lois soient respectées de tous. Hélas, certains acteurs économiques, peu citoyens, ne respectent rien en cherchant constamment des passe-droits! D’ailleurs, si ces fraudeurs sont pris, ils doivent payer lourdement leurs fautes et ne pas continuer à faire librement leurs affaires sous prétexte de leur «grade».
Par contre, si un citoyen vole une poule pour nourrir sa famille, il finira en prison ! Alors, je ne trouve pas normal que de grands fraudeurs détournent par centaines de millions de francs, des sommes dues à l’Etat, et que eux restent libres de se promener au vu et au su de tous !
Vous avez transformé la zone de Richard Toll, en un pôle économique. Qu’est-ce qui vous empêcherait de penser à d’autres régions du Sénégal, ou n’avez-vous pas une telle ambition ?
Notre premier objectif est de finaliser nos investissements pour atteindre l’autosuffisance en sucre au Sénégal. Une fois cet engagement terminé, d’ici un à deux ans, nous pourrons nous orienter vers d’autres projets. Notre présence à Richard Toll, me rend la tâche plus facile pour développer d’autres activités le long du fleuve Sénégal. Excepté la Casa­mance, la vallée du nord avec son potentiel hydrique, est l’endroit idéal pour planter du riz ou développer d’autres cultures. Je le ferai sans crainte dès que la décision sera prise, mais à chaque chose sa priorité, on ne peut pas tout faire en même temps.
Vous pensez à l’autosuffisance en sucre du Sénégal. Mais on voit aussi que la Compagnie Sucrière sénégalaise développe l’exploitation de l’éthanol ?
En effet, depuis plusieurs années, l’usine est opérationnelle pour produire de l’éthanol et faire que le Sénégal soit le premier pays d’Afrique de l’Ouest à utiliser dans ses véhicules, un mélange de carburant à base d’éthanol. A l’époque, les discussions avec le ministère de l’Energie n’ont pas abouti et après de longs mois de tractations inutiles, j’ai transformé la distillerie d’éthanol en une unité de production d’alcool, distribué sur le marché sénégalais.Cet alcool, essentiellement vendu aux producteurs de parfums, est également utilisé par la parapharmacie. Le reste est destiné aux sociétés de transformation en alcool de bouche, notamment à l’exportation vers la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Burkina Faso.
Il semble que vous gagnez pas mal d’argent avec cela ?
Pas autant qu’on le dit, et notre objectif principal reste la production de sucre plutôt que celle de l’éthanol.
Justement on vous reproche de négliger la production de sucre au profit de l’éthanol.
Je me demande comment ? A Richard Toll, l’éthanol est obtenu à partir des sous-produits du sucre. Donc pour distiller de l’éthanol, il faut d’abord produire du sucre.
Donc plus vous faites du sucre, plus vous faites de l’éthanol ?
Oui et non, car l’amélioration des performances de l’usine, diminue le volume des sous-produits utilisés par la distillerie d’éthanol.
En Côte d’Ivoire, vous vous impliquez dans le riz, pourquoi pas au Sénégal ?
Encore une fois, tout ne peut se faire en même temps. L’augmentation de la capacité de production en sucre au Sénégal d’abord. Et quand j’aurai fini l’investissement des 90 milliards de francs, je m’orienterai vers d’autres activités dans ce pays. Bien entendu, cela se fera en accord avec le gouvernement, dans un climat de franche collaboration. Des préalables seront nécessaires, car les investisseurs sont toujours un peu frileux, même si je le suis moins que les autres.
En revanche en Côte d’Ivoire, la possibilité de faire du riz est plus simple. C’est un pays humide où il pleut souvent et comme le Président Macky Sall, le Président Ouattara est déterminé pour accroître le développement d’une production de cultures vivrières. Des bases d’accord ont rapidement été trouvées mais rien n’est encore concrétisé ; cela se fera avant la fin de l’année, je pense.
En Côte d’Ivoire non seulement vous faites du riz, mais vous êtes aussi engagé dans l’énergie ?
Nous travaillons avec les services ivoiriens sur un programme de l’Etat. En effet, le Président Ouattara m’a demandé de m’intéresser aux problèmes d’énergie en Côte d’Ivoire et nous sommes en cours d’étude pour une centrale de 400 mégawatts.
Ne pensez-vous pas que les Séné­galais se sentiraient frustrés d’apprendre que Jean-Claude Mimran est en train de faire de l’énergie en Côte d’Ivoire alors que l’électricité reste la première difficulté du Sénégal ?
Il faut que l’on garde un niveau de vraisemblance. Il y a cinq ou six ans, pour cette question de l’électricité au Sénégal, je me suis investi à la demande du Président Wade. J’ai perdu beaucoup de temps et d’argent avec un résultat nul, car j’ai dû régler tous les frais d’experts qui sont venus pour rien.
Pourquoi ?
Sans doute, d’autres propositions étaient plus intéressantes que les nôtres et on a pu constater le résultat ! Notre Groupe n’était peut-être pas souhaité dans le secteur de la production d’électricité.
Comment ne pourrait-on pas avoir besoin de vous dans la mesure où la production d’électricité est en déficit ?
Cette réponse, il vous faudra la demander aux responsables de l’époque qui m’ont envoyé de services en bureaux ou de directions en commissions sans qu’une décision soit prise. Très vite, vous détectez si les décideurs concernés adhèrent ou pas à votre projet et là, j’ai eu le sentiment que l’on traînait un peu trop. Je suis profondément désolé que rien n’ait été fait car il semblait que des groupes et investisseurs intéressés étaient légion.
Vous sembliez avoir des atomes crochus plus avec Senghor et Abdou Diouf qu’avec Abdoulaye Wade.
J’ai beaucoup de respect pour le Président Wade, parce qu’il a été l’architecte de l’alternance et que c’est un homme d’un certain âge. Beaucoup de Sénégalais ont découvert avec son élection, la valeur de leur bulletin de vote, que la démocratie était le fruit de leur acte citoyen. Lors de son premier mandat, il a été un chef d’Etat riche en idées et les avancées ont été nombreuses. Plus tard, le cap de la gouvernance n’était plus tenu avec la même vigilance. L’autorité du chef de l’Etat diminuait et certains collaborateurs ne lui rendaient plus compte avec la même intégrité. Mais j’ai gardé de bons rapports avec le Président Wade.
Mais estimez-vous l’avoir mis en garde face à ce pouvoir qui semblait lui échapper ?
Oui à chacune de nos rencontres, mais toujours en des termes diplomatiques et peut-être insuffisamment directs. Comme vous le savez, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas vous entendre, surtout qu’il avait l’oreille plus attentive pour son entourage direct. Plusieurs fois, je lui ai envoyé des signaux forts sur la gouvernance.
Mais vous étiez après l’Etat, le premier employeur au Sénégal. Vous aviez peut-être le devoir ou l’autorité pour lui ouvrir les yeux.
Oui. J’ai essayé, mais vers la fin je n’ai plus insisté…
Au juste, qu’est-ce qui clochait ? Qu’est-ce qui faisait que Wade ne pouvait pas comprendre que le pouvoir lui échappait ?
Le pouvoir isole et l’entourage accentue cet isolement. L’âge arrivant et la fatigue qui l’accompagne, ne lui permettaient plus de contrôler au quotidien l’application de ses instructions. Même un homme comme le président Wade, n’a pu échapper à ce risque du pouvoir. Souvent, on se contente des paroles rassurantes de ceux qui nous entourent.

Il se dit que certains de vos projets n’avaient pas prospéré parce que le fils Karim Wade n’en voulait pas trop.
Peut-être, mais réellement je n’en sais rien et si ce n’était pas lui, c’était surement d’autres de la «mouvance».
Mais est-ce que vous l’aviez identifié comme un facteur bloquant ?
Aucun fait ne me permet de le confirmer. En revanche, j’ai subi des facteurs bloquants au niveau des ministères ; aussi bien sur le dossier de l’éthanol ou de l’électricité que sur bien d’autres. J’ai souvent eu le sentiment de ne pas être compris. Mes méthodes de travail et mon langage direct peuvent ne pas convenir à ceux qui attendent parfois autre chose d’un investisseur. Tout investissement dans l’intérêt de l’Etat et du pays se suffit à lui-même sans pour cela devoir donner des «avantages» à quelques décideurs. Cette franchise et cette règle ont toujours pesé dans l’avancement de mes dossiers ou la prise en compte de mes propositions.
En d’autres termes, vous n’avez pas accepté de donner des bakchichs ?
Je n’ai même pas eu à refuser des bakchichs car tout le monde sait que je ne suis pas sur ce terrain-là. Ce n’est vraiment pas ma façon de travailler. En fait, je ne sais pas ce qu’ils voulaient. Avaient-ils peut-être des propositions meilleures que les miennes qui justifiaient d’autres choix ? Mais hélas, je constate que rien n’a été fait et cela n’est pas acceptable.
Il faut admettre que c’est désolant que des projets aussi importants pour le pays ne puissent pas se concrétiser parce que des intérêts personnels les auront empêchés.
C’est une évidence et vous pouvez analyser les projets accordés à d’autres groupes pour d’importantes réalisations et remarquer que peu a été fait et quelques fois rien du tout ! Par exemple, nous savions que les phosphates de Matam devaient être exploités à grande échelle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Une centrale électrique à partir du charbon devait être installée. Où en est-on ? L’arrivée d’un troisième, voire d’un quatrième opérateur téléphonique, a été annoncée afin d’améliorer le service. Où sont-ils ? Combien de tentatives faut-il faire pour appeler le Sénégal de l’extérieur avant d’avoir son interlocuteur et ce, malgré tous les opérateurs déjà installés ? De multiples projets ont été annoncés sans résultat…
Par contre, si la qualité du sucre ou de la farine n’est pas au top, le groupe Mimran est immédiatement accusé de faire du mauvais sucre ou de la mauvaise farine. Il en est de même pour d’autres sociétés qui fabriquent des produits au Sénégal.
En revanche, jamais les mauvais services ne sont remis en cause ou subissent une quelconque critique ! Pourquoi cette discrimination ?

Voulez-vous dire que c’est parce que Mimran n’accepte pas de donner des cadeaux aux gens ?
Je n’ai jamais accepté de payer pour quoi que ce soit qui n’a pas à l’être.
Cet esprit d’investisseur qui refuse la corruption, pensez-vous que cela va prospérer dans nos pays ?
Oui. Les lois contre l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent prennent de plus en plus d’ampleur dans le monde et c’est tant mieux. Pour ceux qui utilisent ces mauvaises pratiques, il leur sera de plus en plus difficile de justifier les cadeaux reçus ou donnés. Cela me convient parfaitement car selon moi, il ne peut pas y avoir de développement sur la base de la corruption. Personne ne doit s’autoriser de bafouer les lois d’une République faites pour protéger tous les citoyens et faire qu’ils soient tous soient égaux devant la loi et la justice. En cas de corruption, il y a automatiquement inégalité.

Mais il y a une tradition qui veut que les hommes d’affaires soutiennent les gouvernants et même des partis politiques dans l’opposition pour mieux s’en sortir. Il se dit que vous aviez eu à soutenir Abdoulaye Wade du temps où il était dans l’opposition et même que vous continuez à soutenir des hommes politiques au Sénégal.
Non, je n’ai jamais suivi cette tradition ! Si j’aide quelqu’un, c’est forcément un membre de ma famille, un collaborateur ou un ami, mais pas pour faire de la politique. J’ai des amis politiciens qui ne font aucun business et ils ne doivent surtout pas en faire. Quant aux hommes d’affaires, eux ne devraient pas faire de politique et moi je n’en fais pas. Depuis que je suis installé au Sénégal, où je me sens bien, j’ai connu les mandats de 4 présidents de la République sans compter nombre de Premiers ministres ou de ministres. La politique est réservée uniquement aux citoyens qui votent ou qui se font élire et ce n’est pas mon cas.
Vous avez eu des projets importants que vous n’arrivez pas à réaliser. Est-ce que vous êtes aujourd’hui dans une logique de reprendre ces projets ou peut-être d’en discuter avec le gouvernement ?
Pourquoi pas ? J’ai de très bons rapports avec le Président Macky Sall et son gouvernement. De toute façon, mon but a toujours été de développer des affaires profitables pour le Sénégal mais également pour les actionnaires du Groupe. Pour qu’un business soit décrété bon, il doit satisfaire toutes les parties prenantes et plaire à tous ; donc faire que tout le monde soit heureux de sa réalisation. Pouvez-vous m’imaginer à mon âge, me voir faire des affaires qui ne me plairaient pas, et cela uniquement pour de l’argent ? Je n’ai pas envie de soucis supplémentaires et mon objectif est de réaliser des projets agréés par tous et jamais contre l’opinion, ou alors je m’abstiendrai.
A un moment, on avait le sentiment que vous vous retiriez des affaires au Sénégal, quand on vous a vu vendre une bonne part de vos actions à la Cbao ?
En fait, je n’ai jamais été banquier ; je suis plutôt un industriel et un paysan. L’aventure de la banque a démarré à l’époque de la faillite de la Biao. J’avais souhaité reprendre l’ensemble du réseau de la banque à Paris, avec toutes ses agences. Cela ne s’est pas fait. Malgré mes alertes sur une fin prévisible, la Biao s’est lentement acheminée vers la faillite alors qu’elle aurait pu bénéficier d’une confortable recapitalisation. Lorsque le Sénégal s’est trouvé à la tête de la succursale du Sénégal, j’ai été contacté, en particulier par la Banque centrale dont M. Ouattara était le Gouverneur, pour me proposer de reprendre cette affaire. En acceptant, c’était aussi une occasion de prendre une revanche et de montrer mes capacités également dans le domaine de la banque. Effectivement, après 12 ans de travail, la Cbao est devenue la première banque du pays. Ensuite, un groupe m’a offert son rachat, à mes conditions. Tout le bénéfice de la vente a été réinvesti à la Css. Je ne me suis donc pas retiré.
Vous êtes un homme d’affaires français. En France, les transactions autour des grandes entités comme les banques, sont publiques, en tout cas, les tenants et les aboutissants sont connus du grand public. Par contre, la transaction entre Attijari et la Cbao est des plus secrètes. Pourquoi ?
Ce n’est pas un secret. Tous les actionnaires de la banque ont été tenus informés et je précise que cette banque n’est pas une société publique mais une société privée.
Est-ce que vous pouvez nous parler aujourd’hui des termes de cette transaction avec Attijari ? Quelles sont les parts que Mimran a vendues et à quel prix ?
Il est difficile d’en donner le prix sans l’avis de l’acheteur mais je vous confirme à nouveau que tout a été réinvesti au Sénégal.
Pourquoi vous êtes-vous retiré du circuit bancaire ?
Je ne suis pas banquier et mon réel plaisir dans le travail, c’est l’agriculture et l’industrie…
Votre business en Côte d’Ivoire, aux Etats-Unis, en Suisse il y a de la banque aussi ?
Je suis dans de multiples business et nous faisons un peu de tout.
Vous vouliez vraiment quitter la banque ?
S’il le fallait, demain je pourrais être actionnaire d’une banque mais sans avoir à la gérer ou être un décisionnaire ; ce n’est pas mon métier préféré. La banque ne fabrique rien et ne crée pas. En intermédiaire professionnel, elle prête avec des risques de l’argent qu’on lui a prêté. Je préfère rester un industriel et un paysan.
C’est quoi le business de Mimran au Sénégal ?
C’est la farine, l’éthanol, l’aliment pour bétail et le sucre.
A part le Sénégal, vous êtes présent dans d’autres pays africains comme la Côte d’Ivoire. Qu’est-ce que vous faites là-bas ?
Précédemment, nous étions dans le bois, lorsqu’on possédait suffisamment de concessions forestières. Depuis quelque temps, nous nous étions limités à produire de la farine. Maintenant, nous allons également nous orienter vers la culture du riz et la production d’énergie. Mais ce sont des projets à concrétiser.
Vous avez tantôt dit que vous aviez des problèmes pour faire aboutir certains de vos projets au Sénégal. Or on sait que l’Etat français soutient les investisseurs français en Afrique. Etes-vous sorti du «parapluie» français ?
Si je considère qu’un investissement me con­vient et qu’il est bon pour le pays concerné, je laisse avancer le projet sans le pousser outre mesure, et jamais contre l’opinion des uns ou des autres. Le «parapluie» français pour accélérer un investissement qui ne serait pas accepté, ne m’est pas utile. Des fonctionnaires au Président, en passant par les ministres, si l’adhésion est générale, c’est parfait. Dans le cas contraire, je n’insiste pas ; il y a toujours d’autres moyens et d’autres endroits pour investir.
Ne pensez-vous pas que si vous continuez dans cette logique votre business en Afrique finira par battre de l’aile ?
Je ne pense pas. La nouvelle génération de dirigeants qui approchent le continent, est beaucoup plus moderne, tant du côté Occident que du côté Afrique. Leur réussite ne fait aucun doute.
Vous avez rencontré le Président Macky Sall. Quelles sont vos relations avec le nouveau Président du Sénégal ?
Elles sont bonnes et agréables.
Vous pensez trouver en lui du répondant pour que la relation puisse être approfondie dans le cadre de vos investissements ?
Vraisemblablement.
Depuis longtemps vous observez la situation économique du Sénégal. Au­jourd’hui, si vous aviez des conseils à donner, quels seraient-ils ?
Les mêmes que ceux donnés il y a 40 ans : Promouvoir le développement agricole, en particulier dans la vallée du fleuve qui a du soleil et de l’eau. C’est triste de voir chaque jour toute cette masse d’eau douce mourir dans l’océan Atlantique !
Tout à l’heure vous avez abordé le dossier des phosphates de Matam. Est-ce que c’est une opportunité d’affaires pour Jean-Claude Mimran ?
Oui ! Je pense que c’est une excellente affaire, mais qui nécessite d’importants investissements. Quand l’Etat accorde une concession minière, il doit l’assortir de l’obligation de ré­sultats dûment chiffrés et veiller à ce que les engagements soient tenus. A contrario, comme dans tous les pays du monde, on retire la con­cession pour la réattribuer à des investisseurs capables de respecter le contrat. Pour les phos­phates de Matam, il y a «mille» sociétés au mon­de intéressées dans l’exploitation d’une mi­ne, particulièrement une mine de phosphate. Notre groupe est intéressé comme beaucoup d’autres, qui sont prêts à offrir encore plus d’avantages au gouvernement. Encore faut-il que le gouvernement ouvre son offre et élargisse sa demande. Mais attention ! Que les sélec­tion­nés respectent leurs engagements au-delà des promesses trop souvent non tenues. Quant à moi, je ne cherche à prendre la place de personne.
De plus en plus au Sénégal, il y a le souci de protéger l’entreprise nationale, c’est-à-dire éviter que l’économie ou l’investissement soient entre les mains d’étrangers.
L’industrie nationale doit-être protégée et c’est bien ; mais les nationaux doivent être proactifs et eux aussi, devenir de grands investisseurs. L’industrie nationale est d’abord de droit sénégalais avant même la nationalité de ses dirigeants. L’intérêt de l’Etat, c’est d’avoir sur son territoire, des entreprises qui fonctionnent, qui créent des emplois et payent des impôts quel que soit l’actionnaire.
Dans le cadre de vos activités au Sénégal, certains vous re­prochent depuis plus de 30 ans de promettre l’autosuffisance en sucre alors que vous n’y arrivez toujours pas
Non, ce n’est pas exact et c’est une analyse injuste. A sa création dans les années 70, la compagnie sucrière a été calibrée pour produire annuellement 60 000 tonnes de sucre. La production a été portée à 110 000 tonnes, alors qu’en période où le cours mondial était anormalement très bas, la fraude battait son plein et suivant les années, la Css ne vendait que 60 à 80 000 tonnes de sucre. Le reste de la consommation provenait de la contrebande. Maintenant, cette fraude n’est plus aussi rentable, car le prix du sucre sur le marché mondial s’est enfin normalisé et a tendance à se rapprocher des prix pratiqués au Sénégal. L’année dernière, le cours mondial a même dépassé celui de la Css et subitement le sucre s’exportait frauduleusement vers les pays voisins. De plus, les industriels qui, à l’époque, exigeaient absolument une liberté d’importer pour ne pas payer tous les droits de douanes, ont modifié leurs comportements et utilisent maintenant le sucre produit au Sénégal. Si tout le marché se reporte sur la Css, nous devons constamment accroître la capacité de l’usine. Normalement, le marché des con­sommateurs du pays, hors industriels, représente 120 000 tonnes. C’est quasiment ma capacité actuelle. Je me propose de faire 150 000 tonnes voire au-delà, ce qui nécessite des investissements énormes. Que peut-on me reprocher ?
Quelles sont les échéances que vous vous donnez pour cet investissement ?
Nous avons déjà un an de retard, suite aux tergiversations de certains membres du précédent gouvernement, pour l’attribution de terres destinées aux nouvelles parcelles de culture. Certains politiciens ont vou­lu faire croire que je voulais chasser des villageois contre leur gré. J’ai trop le respect de la personne humaine pour forcer des familles à déguerpir. Ceux qui sont là et qui veulent rester, resteront dans leur village. Il y a suffisamment de terres ailleurs pour qu’elles nous soient affectées sans que j’aie à chasser des villageois. Par contre, si la zone s’avère majeure pour les cultures, nous la leur demanderons en respectant leur choix, mais toujours en leur proposant des dédommagements et un relogement sur un site à leur convenance. S’ils acceptent, c’est bien, s’ils refusent, ils resteront là où ils sont…
Quelles propositions avez-vous faites aux populations qui occupent les zones qui vous ont été affectées ?
Pour l’instant aucune zone ne nous a été affectée, mais nous avons anticipé en leur proposant de les reloger. Certains ont déjà dit oui, deux ou trois refusent, ils resteront là où ils sont. Cette affaire a été largement et inutilement politisée et amplifiée par un élu régional, hors de toute raison.
Qui est cet élu local ?
Oh, il s’agit de Diack, que vous connaissez (Ndlr : Ex-président du Conseil rural de Mbane), qui porte des attaques directes dans ce dossier. Je crois qu’il se trompe vraiment.
Vous passez pour être trop proche des dirigeants du Séné­gal alors que vous semblez dire le contraire. En tout cas, les gens de l’Unacois disaient que vous bénéficiez de protections.
Rappelez-moi, qu’est-ce qu’est l’Unacois ? Combien d’emplois gère-t-elle ? C’est combien d’impôts sur les bénéfices ou sur les revenus ? Qu’elle nous informe sur son apport dans les caisses de l’Etat du Sénégal ? Il sera de plus en plus difficile de tromper les Sénégalais et la seule solution est de créer des emplois pour le Sénégal.
Il faut qu’on parle aussi de la farine produite par les Grands moulins de Dakar, qui constituent la plus grande industrie meunière du Sénégal. Le prix du pain pose problème, il y a une tension sur ce prix ?
Le prix de la farine est constitué à 80% par le prix du blé. Ce blé est importé et fait l’objet d’une cotation mondiale en bourse dans les salles de marché. La récente sécheresse aux Etats-Unis, en Ukraine et en Russie a fortement compromis les récoltes de maïs et de blé, et plus particulièrement aux Etats-Unis. En conséquence, le prix du blé a augmenté de 50% ces deux derniers mois, en se répercutant sur le prix de la farine. Rappelez-vous, 80% du prix de la farine sont composés de celui du blé et ce plancher est incontournable.
Quelles sont les perspectives pour l’industrie meunière au Sénégal ?
Normalement la consommation devrait croître, sauf si l’augmentation du prix la déséquilibre en im­pactant les volumes à la baisse.
Pour le sucre, vous avez pensé à la matière première, la canne à sucre. Pour la farine, vous ne pensez pas faire quel­que chose en ce sens ?
Pour les céréales, la surface nécessaire serait de 20 000 hectares. Le blé n’est pas une culture de pays chaud, à l’exception du blé dur, mais qui n’est pas approprié pour faire du pain. Hélas, le blé tendre pour la farine n’est pas cultivable sous ce climat, et nécessite beaucoup d’eau avec une irrigation très couteuse.
Il y a peut-être d’autres produits de substitution. Vous n’avez pas pensé explorer d’autres types de céréales ?
Toutes les céréales nécessitent de l’irrigation. Il y a bien une céréale, appelée pamiblé qui, à la demande du président Diouf, a été essayée pour être rajoutée au mil. Ce n’était pas au goût du consommateur et ce fut un échec.
Pour revenir aux péripéties de la Cbao, vous avez eu à collaborer avec l’actuel Premier mi­nistre Abdoul Mbaye. Vous vous êtes séparés de façon plus ou moins tumultueuse.
Absolument pas, ce n’est qu’une fausse rumeur. Abdoul Mbaye a voulu s’essayer à autre chose. C’était sa décision et sans l’ombre d’un quelconque nuage dans nos relations. Il a quitté la banque dans de bonnes conditions.

Comment vous voyez l’homme, vous le croyez capable de réussir la mission de Premier ministre ?
Je ne connais pas assez la fonction de Premier ministre, pour connaître les qualités requises mais je lui souhaite de réussir dans l’intérêt du Sénégal.
En fait, ce qui étonne c’est qu’un banquier privé gère des affaires publiques. Ce n’est pas courant ?
Il doit arrêter de gérer des affaires privées s’il est dans les affaires publiques, comme dans tous les pays du monde.
Vous semblez vous tourner vers la Côte d’Ivoire au détriment du Sénégal, vous semblez développer plus de projets en Côte d’Ivoire qu’au Sénégal ?
Cette dernière année, le gouvernement du Président Ouattara était plus attentif aux nouveaux investisseurs que celui du Sénégal, mais depuis peu, j’observe un changement notable avec le nouveau Président.
Une fois encore, après la fin des travaux pour près de 90 milliards de francs Cfa d’investissements à la Compagnie sucrière, ce qui n’est pas rien, nous pourrons envisager d’autres projets.
Vous semblez personnellement vous intéresser à l’Afri­que est-ce que c’est le cas pour vos enfants ?
Deux de mes fils aînés m’accompagnent dans les affaires et l’un d’eux a même défilé avec les athlètes sénégalais aux Jo de Londres (Ndlr : Nach­son Mimran). C’est un garçon qui s’implique aussi dans le développement du sport au Sénégal.
Vous passez pour être quelqu’un de sobre et discret. Quel est le style Jean Claude Mim­ran ?
J’ai toujours essayé de faire les choses bien et je n’ai pas besoin de le clamer partout. Si ce que je réalise me convient, cela me suffit. Le matin, au réveil devant la glace, si vous êtes content de vous, de ne pas avoir fait de compromissions, de ne pas trahir, d’avancer droitement, c’est satisfaisant. Pour moi le reste est superfétatoire. Une bonne opinion de vous-même et savoir que ce que vous réalisez, vous le faites correctement et pour le bien, cela m’ho­nore et me rend heureux.
Pas de place au bling-bling ?
Non ça ne m’intéresse pas. Com­me dit le bon vieux dicton : «Pour vivre heureux, vivons ca­chés» ; les affaires ont horreur du bruit.
Vous n’êtes pas très connu pour des œuvres sociales. Est-ce que c’est parce que vous êtes très discret comme vous le dites ?
Trop discret, certainement. Mais demandez donc aux services fiscaux le montant de mon redressement fiscal, pour avoir fait beaucoup en faveur des aides sociales !
Combien vous chiffrez vos contributions fiscales annuellement au Sénégal ?
En contributions directes, cela s’exprime tous les ans en dizaines de milliards de francs, sans compter le rôle de collecteur de Tva.
C’est une goutte d’eau dans la mer si on le compare à la 30e fortune de France ?
Non, je ne partage pas cette opinion. C’est l’impôt normal que toute société doit payer sur ses bénéfices. Je respecte cette loi et je paye conformément à la règle, ni plus ni moins. Beaucoup d’autres ne peuvent pas en dire autant ! Je paye des impôts aussi ailleurs, dans d’autres pays où je suis implanté.
Beaucoup de gens, vous pensez à vos amis de l’Unacois ?
Non, ils ne me préoccupent pas et mon temps n’est pas consacré à cela. Je pensais seulement qu’en règle générale, beaucoup de ceux qui doivent payer, ne payent pas.
Quel message lancez-vous au Sénégal, à l’Afrique ?
Le message à l’Afrique est différent de celui à donner aux Sénégalais. L’Afrique est un continent où tous les pays ne se comparent pas. C’est comme si vous imaginiez une comparaison entre un Français et un Suédois. Ils sont tous deux Euro­péens mais n’ont pas grand-chose en commun ! Le Sénégal est un pays par­ticulier ; c’est le premier pays réel­lement démocratique du conti­nent africain. Un pays qui l’a prouvé avec la première alternance, qui vient de le prouver encore, avec l’élection de Macky Sall. Que les Sé­négalais aient cette maturité démocratique, c’est très important. Dès le départ au Sénégal j’ai été séduit par cela. Senghor a été le premier président sur le continent africain à proposer l’opposition à l’Assemblée na­tionale, la pluralité des partis. C’était extraordinaire à son époque. En tant que républicain j’ai fortement apprécié cette attitude et je leur conseille de toujours conserver ce cap.
Jean-Claude Mimran pourrait-il demander à être maire de Richard Toll ?
Non. Encore une fois, je ne fais pas de politique. Je suis bien trop occupé par mes affaires et n’ai jamais mélangé les deux. En revanche, je souhaite, pour Richard Toll, un bon maire qui puisse développer la ville pour le bien de sa population, en rappelant que la grande partie de celle-ci travaille à la Css. Si les travailleurs sont bien quand ils rentrent chez eux, alors ils seront aussi bien quand ils reviendront travailler le lendemain. La Com­pagnie paye des impôts à Richard Toll et je voudrais que ces impôts soient bien utilisés et affectés entre autres, aux services de la voirie, aux centres de santé, aux services de nettoyage de la ville etc. C’est un message fort que je souhaite faire passer au maire de Richard Toll et à son Conseil.
Comment appréciez-vous l’évolution du Sénégal ces dernières années ?
Les premières années du mandat du Président Wade, j’ai observé de nombreux changements. Pas mal de choses ont bougé. Un nouveau style de gouvernement était né et le président Wade avait vraiment à cœur de développer le Sénégal. Tout ne s’est pas fait aussi vite qu’il le souhaitait sans doute, ni que je l’aurais souhaité. Cependant, tous ces importants projets étaient faits de travaux financés par l’Etat. Hélas, trop peu de grandes entreprises privées sont venues s’installer pour compléter et accompagner ce développement.
Dans le même temps aussi, la clameur publique voit le Séné­gal comme l’un des pays les plus corrompus. Ça ne vous gêne pas en tant que homme d’affaires ?
Oui beaucoup, mais pas en tant qu’homme d’affaires ! C’est ma sensibilité de républicain qui est gênée, parce que comme je l’ai dit précédemment, il ne peut y avoir de développement sous l’empire de la corruption. Ce n’est pas compatible et les règles du jeu sont faussées. Par exemple : si vous souhaitez investir dans la production de l’électricité au Sénégal et si je veux également le faire mais en distribuant aux uns et aux autres des «cadeaux» que vous vous refuserez de faire, je gagnerai le marché et produirai de l’électricité. Mais pour compenser les «cadeaux», je produirai à des coûts bien plus supérieurs que vous ne l’auriez fait. En fin de compte, c’est le consommateur et donc le Peuple qui assume la différence pour payer la corruption. Ceci est vrai dans tous les cas de figure, pour tous les marchés et pas seulement pour le coût de l’électricité.
Pourquoi ne devenez-vous pas Sénégalais ?
Pourquoi pas ? Je ne suis pas op­posé à cette éventualité. Je pourrais le devenir dès demain car mon cœur est au Sénégal. Comme mes enfants, je me sens très à l’aise dans ce pays où je possède deux maisons, une à Dakar et l’autre à Richard Toll. D’ailleurs, tous ceux qui me connaissent, savent que c’est à Richard Toll que je préfère vivre.
M. Mimran, vous travaillez au mois d’août ?
Même si je souhaitais ne pas le faire, le travail me rattrape toujours.
Vous êtes entre deux rendez-vous, entre Monaco et la Suisse ?
Oui, en cette période, où que je sois, je travaille et les vacances ne se prennent qu’à temps partiel…

Pourtant, cette idée est largement répandue : les mil­liardaires seraient à Cannes pendant le Festival, à Saint-Tropez en juillet, sur les côtes corses, italiennes et croates au mois d’août et en hiver dans les Caraïbes…
(Rires) Non. Ce sont des clichés. Ceux qui sont riches par leur travail et réellement responsables, se doivent de conserver un contact quotidien avec leurs entreprises. Tous les jours, des arbitrages sont nécessaires pour résoudre les difficultés qui se présentent à chaque instant. Peut-être que certains rentiers ne font rien, mais je ne suis pas de ceux-là. Pour ma part, je garde le contact et je reste aux commandes.
J’avais pensé que vous aviez une vie sur un yacht ?
Effectivement, j’en possède un, et lorsque je m’y trouve je suis en liaison permanente par e-mail, par fax ou par téléphone satellitaire avec toutes les sociétés, pour résoudre les problèmes ponctuels et décider, recevoir les statistiques hebdomadaires de vente ou de production, analyser les bilans mensuels et demander des explications sur tous les chiffres surprenants ou anormaux, etc.
Pour l’exemple, ce dernier ven­dredi (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 10 août 2012), toute la journée a été consacrée à la recherche de solutions pour une cargaison de farine, bloquée dès l’entrée en Guinée. C’était une vente entre pays de la Cedeao, à partir de Dakar, avec des droits de douanes spécifiques aux accords de la sous-région. Subitement, à l’arrivée en Gui­née, les droits de doua­nes préférentiels de la Com­munauté des Etats ont été ignorés et une taxe de 33% a été exigée. Malgré les contacts avec le président guinéen et son directeur des Douanes, la situation n’a pu se décanter et la marchandise a dû être retournée sur Dakar ! Voilà un cas de péripéties graves qui arrive en plein milieu de l’été et pour ne parler que de l’Afrique…
Dernièrement le magazine Chal­lenge vous a classé par­mi les 30 hommes d’affaires les plus ri­ches de France… Quels sont vos commentaires?
C’est leur opinion et leur classement, mais je m’interroge. Je suis effectivement Français mais n’ai jamais habité ou vécu en France. De plus je ne possède aucune affaire dans ce pays.
C’est bien curieux. Alors vous êtes un émigré fiscal en Suisse ?
Je ne peux pas être un émigré fiscal puisque je n’ai jamais été domicilié en France et pour la quitter, il m’aurait d’abord fallu y vivre.
Qu’est-ce qui fait que vous n’ayez jamais habité la France ?
En premier lieu, je suis né au Maroc où mes parents étaient installés. Plus tard, toute la famille a quitté le Maroc pour Monaco et ensuite pour la Suisse au début des années 60. Même mes parents n’ont jamais habité en France bien que nous ayons le passeport français.
Vous ne souhaitez pas avoir le passeport sénégalais ? L’avez-vous demandé ?
Pourquoi pas, je me sens également Séné­galais, car une partie de ma vie s’est déroulée au Sénégal et c’est là que mon cœur se trouve. De plus, je partage une grande partie de mon temps avec des Sénégalais dans leur pays ou ailleurs, alors que je ne suis qu’à titre exceptionnel en France.
Mais justement, comment votre famille s’est-elle installée au Sénégal ?
C’est une longue histoire. Dès le début de la deuxième guerre mondiale, en 1939, alors que toute l’Afrique de l’Ouest était encore une colonie, mon père, Jacques Mimran, était un ardent défenseur de l’industrialisation de l’Afrique. Il avait noué beaucoup de contacts et s’était pris d’amitié avec le futur président Senghor.
Il avait déjà en vue de commencer l’industrialisation par le Sé­négal et s’était lancé dans la construction des Grands Moulins de Dakar qui, dès la fin de la guerre, étaient en état de fonctionner avec un personnel déjà prêt. Hélas, si mes souvenirs sont exacts, pendant pratiquement deux ans, un lobbying de meuniers français a empêché ces moulins de tourner et d’avoir les quotas nécessaires pour s’approvisionner en blé. A cette époque, le Sénégal était parmi les colonies françaises qui avaient 30 ou 40 députés à l’Assemblée nationale française, au sein desquels on comptait les futurs présidents Sen­ghor et Houphouët Boigny. Ces députés, sous la houlette de Senghor, votaient contre le gouvernement de France, pour réclamer l’autorisation de mettre en œuvre la première grande industrie africaine. L’autorisation a été obtenue vers les années 1952 ou 1953. Cette «bataille» gagnée, a rapproché le président Senghor de mon père ; il en fut de même avec le Président Hou­phouët Boigny car en 1958, bien avant l’indépendance, les Grands Moulins d’Abid­­jan ont aussi pu être construits.
Plus tard, au début des années 70, mon père est tombé malade et le Sénégal voulait se doter d’une industrie sucrière à base de plantations de canne à sucre. Une société française avait lancé l’installation d’une petite industrie, mais le président Senghor doutait qu’elle ait la volonté d’aller jusqu’à la plantation de la canne à sucre et à la construction d’une sucrerie.
Alors, le Président Senghor décida de lancer ce projet par le biais de l’Etat et envoya son ministre du Plan de l’époque (qui deviendra le Pré­sident Abdou Diouf) à Bruxelles pour solliciter une aide de l’Europe en faveur du Sénégal. De Bruxelles, Abdou Diouf a téléphoné au Pré­sident Senghor pour l’informer de leur refus. Im­médiatement, le président saisit l’opportunité de la présence de Abdou Diouf en Europe, pour le dépêcher en Suisse à la rencontre de son ami Jacques Mimran afin de lui présenter ce projet. A la fin de cette entrevue, mon père a téléphoné au président Senghor pour lui dire entre autres : «…Sans avoir été au Séné­gal dans la région de Richard Toll, j’accepte tout de même de créer ta sucrerie…». Ensuite, il m’a envoyé dans le Walo dès l’année 72 et c’était le début de l’aventure sucrière sénégalaise…
Vous deviez être bien jeune à l’époque !
J’avais 27 ans !
Qu’est-ce que cela vous faisait de venir mettre la main à la pâte à cet âge ?
Démarrer ce projet de zéro m’a procuré un immense plaisir et Richard Toll n’était qu’un tout petit village, avec 1 500 ou 2 000 habitants. Avec un seul téléphone à la poste c’était, en 1972, un peu le bout du monde ! Se lancer à cette époque, aux portes du désert et découvrir aujourd’hui l’évolution de la ville, des bourgades environnantes, notre propre transformation dans la sucrerie, c’est une merveilleuse aventure. Mais par-dessus tout, ce qui me satisfait le plus c’est, dès ces années-là et sans rien rajouter, d’avoir repris les enseignements de mon père pour devenir comme lui, un partisan acharné de l’industrialisation de l’Afrique et de la promotion de son développement rural. Quarante ans après, ce sujet est toujours à l’ordre du jour en occident. Pour s’en persuader, il suffit d’écouter Arnaud Montebourg ou le Président Hollande ainsi que les responsables de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international.
Le Peuple africain est d’essence rurale et attaché aux valeurs de la terre. Ces masses d’émigration du monde agricole vers des villes sans suffisamment d’emplois, sont néfastes. Les populations devaient et doivent être fixées, encouragées et formées pour cultiver leurs produits de première nécessité. En d’autres mots, «l’autosuffisance alimentaire». Ce n’était pas l’avis de certains membres d’institutions internationales, voire de gouvernements étrangers, qui préféraient vendre à bon compte, aux pays d’Afrique, leurs surplus agricoles subventionnés au profit de leurs propres producteurs.
Aujourd’hui tout change ; les surplus se font rares et les pénuries de denrées alimentaires menacent le monde. Les gouvernants s’inquiètent et réagissent avec difficulté. Ils ont en charge un développement industriel ou agro-industriel dont les projets essentiellement étatiques, au Sénégal ou ailleurs, réussissent rarement. Alors, ce développement doit être soutenu par les Etats mais naître des initiatives privées ; ces privés qui trop souvent, recherchent des retours sur investissements plus rapides que ceux obtenus dans l’agriculture. En effet, les engagements agro-industriels sont lourds et le retour sur investissement est lent.
Personnellement, je me suis toujours ac­commodé de cela et avec ténacité, j’investis volontiers et continuerai à le faire. Coûte que coûte, nous nous devons de développer l’industrie et l’agriculture au Sénégal, en Côte d’Ivoire et partout ailleurs. Tous ces pays qui importent du riz, du maïs, etc. doivent les produire eux-mêmes, pour devenir autosuffisants.
Comment le vieux Jacques avait perçu le projet que vous avez réussi ? Il n’a, peut-être pas eu trop le temps de le voir mûrir…
Malheureusement non, car au mois de mai 1975, l’usine tout juste en marche, mon père est décédé à Dakar, après avoir vu les premières plantations de canne qui venaient de démarrer. L’essentiel était fait et je n’ai eu qu’à prendre la suite.
Mais depuis ce temps, vous avez bien fait croître l’empire Mim­ran !
Oui, et le Groupe Mimran continue de s’accroître avec l’engagement d’un programme d’autosuffisance en sucre pour le Sénégal, qui a nécessité près de 90 milliards de francs Cfa.
Quand avez vous lancé ce nouveau programme ?
Il y a trois ans.
L’investissement a-t-il été soutenu par l’Apix ?
Absolument pas, cette possibilité n’a pas été retenue car nous autofinançons ce projet avec le soutien des banques locales.
Vos industries passent pour avoir des activités qui n’ont pas bénéficié d’exonérations comme la plupart des nouveaux investisseurs au Sénégal.
En fait, le Groupe a bénéficié du soutien de l’Etat grâce à un protocole d’agrément pour la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) qui accordait des facilités, sur plusieurs années. Hélas, ce protocole n’a pas pu être activé sur sa période de couverture. En revanche, la compagnie a obtenu d’autres facilités sur les matériels nécessaires au développement. A ce sujet, je considère que sous bon contrôle de l’Etat, cela doit être le cas pour tout investissement dans l’agriculture ; aussi bien sur le matériel utile à la préparation des terres que celui indispensable pour cultiver, ainsi que pour les engrais ou les produits herbicides, avec pour finalité, rendre les paysans compétitifs.
Le groupe Mimran passe au Sénégal, du moins aux yeux de certains responsables de l’administration fiscale, pour être un groupe «fiscalement civique», excusez-moi l’expression. Pourquoi tenez-vous à payer vos impôts … ?
Je suis un républicain et j’aime la liberté que la République apporte. Par contre, celle-ci ne peut être portée que par des lois appliquées à tous et consolidée par un Etat qui lui, ne fonctionne qu’avec les impôts collectés. En payant mes impôts, je participe à cet équilibre et depuis toujours, je mène bataille au Sénégal pour que ses lois soient respectées de tous. Hélas, certains acteurs économiques, peu citoyens, ne respectent rien en cherchant constamment des passe-droits! D’ailleurs, si ces fraudeurs sont pris, ils doivent payer lourdement leurs fautes et ne pas continuer à faire librement leurs affaires sous prétexte de leur «grade».
Par contre, si un citoyen vole une poule pour nourrir sa famille, il finira en prison ! Alors, je ne trouve pas normal que de grands fraudeurs détournent par centaines de millions de francs, des sommes dues à l’Etat, et que eux restent libres de se promener au vu et au su de tous !
Vous avez transformé la zone de Richard Toll, en un pôle économique. Qu’est-ce qui vous empêcherait de penser à d’autres régions du Sénégal, ou n’avez-vous pas une telle ambition ?
Notre premier objectif est de finaliser nos investissements pour atteindre l’autosuffisance en sucre au Sénégal. Une fois cet engagement terminé, d’ici un à deux ans, nous pourrons nous orienter vers d’autres projets. Notre présence à Richard Toll, me rend la tâche plus facile pour développer d’autres activités le long du fleuve Sénégal. Excepté la Casa­mance, la vallée du nord avec son potentiel hydrique, est l’endroit idéal pour planter du riz ou développer d’autres cultures. Je le ferai sans crainte dès que la décision sera prise, mais à chaque chose sa priorité, on ne peut pas tout faire en même temps.
Vous pensez à l’autosuffisance en sucre du Sénégal. Mais on voit aussi que la Compagnie Sucrière sénégalaise développe l’exploitation de l’éthanol ?
En effet, depuis plusieurs années, l’usine est opérationnelle pour produire de l’éthanol et faire que le Sénégal soit le premier pays d’Afrique de l’Ouest à utiliser dans ses véhicules, un mélange de carburant à base d’éthanol. A l’époque, les discussions avec le ministère de l’Energie n’ont pas abouti et après de longs mois de tractations inutiles, j’ai transformé la distillerie d’éthanol en une unité de production d’alcool, distribué sur le marché sénégalais.Cet alcool, essentiellement vendu aux producteurs de parfums, est également utilisé par la parapharmacie. Le reste est destiné aux sociétés de transformation en alcool de bouche, notamment à l’exportation vers la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Burkina Faso.
Il semble que vous gagnez pas mal d’argent avec cela ?
Pas autant qu’on le dit, et notre objectif principal reste la production de sucre plutôt que celle de l’éthanol.
Justement on vous reproche de négliger la production de sucre au profit de l’éthanol.
Je me demande comment ? A Richard Toll, l’éthanol est obtenu à partir des sous-produits du sucre. Donc pour distiller de l’éthanol, il faut d’abord produire du sucre.
Donc plus vous faites du sucre, plus vous faites de l’éthanol ?
Oui et non, car l’amélioration des performances de l’usine, diminue le volume des sous-produits utilisés par la distillerie d’éthanol.
En Côte d’Ivoire, vous vous impliquez dans le riz, pourquoi pas au Sénégal ?
Encore une fois, tout ne peut se faire en même temps. L’augmentation de la capacité de production en sucre au Sénégal d’abord. Et quand j’aurai fini l’investissement des 90 milliards de francs, je m’orienterai vers d’autres activités dans ce pays. Bien entendu, cela se fera en accord avec le gouvernement, dans un climat de franche collaboration. Des préalables seront nécessaires, car les investisseurs sont toujours un peu frileux, même si je le suis moins que les autres.
En revanche en Côte d’Ivoire, la possibilité de faire du riz est plus simple. C’est un pays humide où il pleut souvent et comme le Président Macky Sall, le Président Ouattara est déterminé pour accroître le développement d’une production de cultures vivrières. Des bases d’accord ont rapidement été trouvées mais rien n’est encore concrétisé ; cela se fera avant la fin de l’année, je pense.
En Côte d’Ivoire non seulement vous faites du riz, mais vous êtes aussi engagé dans l’énergie ?
Nous travaillons avec les services ivoiriens sur un programme de l’Etat. En effet, le Président Ouattara m’a demandé de m’intéresser aux problèmes d’énergie en Côte d’Ivoire et nous sommes en cours d’étude pour une centrale de 400 mégawatts.
Ne pensez-vous pas que les Séné­galais se sentiraient frustrés d’apprendre que Jean-Claude Mimran est en train de faire de l’énergie en Côte d’Ivoire alors que l’électricité reste la première difficulté du Sénégal ?
Il faut que l’on garde un niveau de vraisemblance. Il y a cinq ou six ans, pour cette question de l’électricité au Sénégal, je me suis investi à la demande du Président Wade. J’ai perdu beaucoup de temps et d’argent avec un résultat nul, car j’ai dû régler tous les frais d’experts qui sont venus pour rien.
Pourquoi ?
Sans doute, d’autres propositions étaient plus intéressantes que les nôtres et on a pu constater le résultat ! Notre Groupe n’était peut-être pas souhaité dans le secteur de la production d’électricité.
Comment ne pourrait-on pas avoir besoin de vous dans la mesure où la production d’électricité est en déficit ?
Cette réponse, il vous faudra la demander aux responsables de l’époque qui m’ont envoyé de services en bureaux ou de directions en commissions sans qu’une décision soit prise. Très vite, vous détectez si les décideurs concernés adhèrent ou pas à votre projet et là, j’ai eu le sentiment que l’on traînait un peu trop. Je suis profondément désolé que rien n’ait été fait car il semblait que des groupes et investisseurs intéressés étaient légion.
Vous sembliez avoir des atomes crochus plus avec Senghor et Abdou Diouf qu’avec Abdoulaye Wade.
J’ai beaucoup de respect pour le Président Wade, parce qu’il a été l’architecte de l’alternance et que c’est un homme d’un certain âge. Beaucoup de Sénégalais ont découvert avec son élection, la valeur de leur bulletin de vote, que la démocratie était le fruit de leur acte citoyen. Lors de son premier mandat, il a été un chef d’Etat riche en idées et les avancées ont été nombreuses. Plus tard, le cap de la gouvernance n’était plus tenu avec la même vigilance. L’autorité du chef de l’Etat diminuait et certains collaborateurs ne lui rendaient plus compte avec la même intégrité. Mais j’ai gardé de bons rapports avec le Président Wade.
Mais estimez-vous l’avoir mis en garde face à ce pouvoir qui semblait lui échapper ?
Oui à chacune de nos rencontres, mais toujours en des termes diplomatiques et peut-être insuffisamment directs. Comme vous le savez, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas vous entendre, surtout qu’il avait l’oreille plus attentive pour son entourage direct. Plusieurs fois, je lui ai envoyé des signaux forts sur la gouvernance.
Mais vous étiez après l’Etat, le premier employeur au Sénégal. Vous aviez peut-être le devoir ou l’autorité pour lui ouvrir les yeux.
Oui. J’ai essayé, mais vers la fin je n’ai plus insisté…
Au juste, qu’est-ce qui clochait ? Qu’est-ce qui faisait que Wade ne pouvait pas comprendre que le pouvoir lui échappait ?
Le pouvoir isole et l’entourage accentue cet isolement. L’âge arrivant et la fatigue qui l’accompagne, ne lui permettaient plus de contrôler au quotidien l’application de ses instructions. Même un homme comme le président Wade, n’a pu échapper à ce risque du pouvoir. Souvent, on se contente des paroles rassurantes de ceux qui nous entourent.
Il se dit que certains de vos projets n’avaient pas prospéré parce que le fils Karim Wade n’en voulait pas trop.
Peut-être, mais réellement je n’en sais rien et si ce n’était pas lui, c’était surement d’autres de la «mouvance».
Mais est-ce que vous l’aviez identifié comme un facteur bloquant ?
Aucun fait ne me permet de le confirmer. En revanche, j’ai subi des facteurs bloquants au niveau des ministères ; aussi bien sur le dossier de l’éthanol ou de l’électricité que sur bien d’autres. J’ai souvent eu le sentiment de ne pas être compris. Mes méthodes de travail et mon langage direct peuvent ne pas convenir à ceux qui attendent parfois autre chose d’un investisseur. Tout investissement dans l’intérêt de l’Etat et du pays se suffit à lui-même sans pour cela devoir donner des «avantages» à quelques décideurs. Cette franchise et cette règle ont toujours pesé dans l’avancement de mes dossiers ou la prise en compte de mes propositions.
En d’autres termes, vous n’avez pas accepté de donner des bakchichs ?
Je n’ai même pas eu à refuser des bakchichs car tout le monde sait que je ne suis pas sur ce terrain-là. Ce n’est vraiment pas ma façon de travailler. En fait, je ne sais pas ce qu’ils voulaient. Avaient-ils peut-être des propositions meilleures que les miennes qui justifiaient d’autres choix ? Mais hélas, je constate que rien n’a été fait et cela n’est pas acceptable.
Il faut admettre que c’est désolant que des projets aussi importants pour le pays ne puissent pas se concrétiser parce que des intérêts personnels les auront empêchés.
C’est une évidence et vous pouvez analyser les projets accordés à d’autres groupes pour d’importantes réalisations et remarquer que peu a été fait et quelques fois rien du tout ! Par exemple, nous savions que les phosphates de Matam devaient être exploités à grande échelle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Une centrale électrique à partir du charbon devait être installée. Où en est-on ? L’arrivée d’un troisième, voire d’un quatrième opérateur téléphonique, a été annoncée afin d’améliorer le service. Où sont-ils ? Combien de tentatives faut-il faire pour appeler le Sénégal de l’extérieur avant d’avoir son interlocuteur et ce, malgré tous les opérateurs déjà installés ? De multiples projets ont été annoncés sans résultat…
Par contre, si la qualité du sucre ou de la farine n’est pas au top, le groupe Mimran est immédiatement accusé de faire du mauvais sucre ou de la mauvaise farine. Il en est de même pour d’autres sociétés qui fabriquent des produits au Sénégal.
En revanche, jamais les mauvais services ne sont remis en cause ou subissent une quelconque critique ! Pourquoi cette discrimination ?
Voulez-vous dire que c’est parce que Mimran n’accepte pas de donner des cadeaux aux gens ?
Je n’ai jamais accepté de payer pour quoi que ce soit qui n’a pas à l’être.
Cet esprit d’investisseur qui refuse la corruption, pensez-vous que cela va prospérer dans nos pays ?
Oui. Les lois contre l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent prennent de plus en plus d’ampleur dans le monde et c’est tant mieux. Pour ceux qui utilisent ces mauvaises pratiques, il leur sera de plus en plus difficile de justifier les cadeaux reçus ou donnés. Cela me convient parfaitement car selon moi, il ne peut pas y avoir de développement sur la base de la corruption. Personne ne doit s’autoriser de bafouer les lois d’une République faites pour protéger tous les citoyens et faire qu’ils soient tous soient égaux devant la loi et la justice. En cas de corruption, il y a automatiquement inégalité.
Mais il y a une tradition qui veut que les hommes d’affaires soutiennent les gouvernants et même des partis politiques dans l’opposition pour mieux s’en sortir. Il se dit que vous aviez eu à soutenir Abdoulaye Wade du temps où il était dans l’opposition et même que vous continuez à soutenir des hommes politiques au Sénégal.
Non, je n’ai jamais suivi cette tradition ! Si j’aide quelqu’un, c’est forcément un membre de ma famille, un collaborateur ou un ami, mais pas pour faire de la politique. J’ai des amis politiciens qui ne font aucun business et ils ne doivent surtout pas en faire. Quant aux hommes d’affaires, eux ne devraient pas faire de politique et moi je n’en fais pas. Depuis que je suis installé au Sénégal, où je me sens bien, j’ai connu les mandats de 4 présidents de la République sans compter nombre de Premiers ministres ou de ministres. La politique est réservée uniquement aux citoyens qui votent ou qui se font élire et ce n’est pas mon cas.
Vous avez eu des projets importants que vous n’arrivez pas à réaliser. Est-ce que vous êtes aujourd’hui dans une logique de reprendre ces projets ou peut-être d’en discuter avec le gouvernement ?
Pourquoi pas ? J’ai de très bons rapports avec le Président Macky Sall et son gouvernement. De toute façon, mon but a toujours été de développer des affaires profitables pour le Sénégal mais également pour les actionnaires du Groupe. Pour qu’un business soit décrété bon, il doit satisfaire toutes les parties prenantes et plaire à tous ; donc faire que tout le monde soit heureux de sa réalisation. Pouvez-vous m’imaginer à mon âge, me voir faire des affaires qui ne me plairaient pas, et cela uniquement pour de l’argent ? Je n’ai pas envie de soucis supplémentaires et mon objectif est de réaliser des projets agréés par tous et jamais contre l’opinion, ou alors je m’abstiendrai.
A un moment, on avait le sentiment que vous vous retiriez des affaires au Sénégal, quand on vous a vu vendre une bonne part de vos actions à la Cbao ?
En fait, je n’ai jamais été banquier ; je suis plutôt un industriel et un paysan. L’aventure de la banque a démarré à l’époque de la faillite de la Biao. J’avais souhaité reprendre l’ensemble du réseau de la banque à Paris, avec toutes ses agences. Cela ne s’est pas fait. Malgré mes alertes sur une fin prévisible, la Biao s’est lentement acheminée vers la faillite alors qu’elle aurait pu bénéficier d’une confortable recapitalisation. Lorsque le Sénégal s’est trouvé à la tête de la succursale du Sénégal, j’ai été contacté, en particulier par la Banque centrale dont M. Ouattara était le Gouverneur, pour me proposer de reprendre cette affaire. En acceptant, c’était aussi une occasion de prendre une revanche et de montrer mes capacités également dans le domaine de la banque. Effectivement, après 12 ans de travail, la Cbao est devenue la première banque du pays. Ensuite, un groupe m’a offert son rachat, à mes conditions. Tout le bénéfice de la vente a été réinvesti à la Css. Je ne me suis donc pas retiré.
Vous êtes un homme d’affaires français. En France, les transactions autour des grandes entités comme les banques, sont publiques, en tout cas, les tenants et les aboutissants sont connus du grand public. Par contre, la transaction entre Attijari et la Cbao est des plus secrètes. Pourquoi ?
Ce n’est pas un secret. Tous les actionnaires de la banque ont été tenus informés et je précise que cette banque n’est pas une société publique mais une société privée.

Est-ce que vous pouvez nous parler aujourd’hui des termes de cette transaction avec Attijari ? Quelles sont les parts que Mimran a vendues et à quel prix ?
Il est difficile d’en donner le prix sans l’avis de l’acheteur mais je vous confirme à nouveau que tout a été réinvesti au Sénégal.
Pourquoi vous êtes-vous retiré du circuit bancaire ?
Je ne suis pas banquier et mon réel plaisir dans le travail, c’est l’agriculture et l’industrie…
Votre business en Côte d’Ivoire, aux Etats-Unis, en Suisse il y a de la banque aussi ?
Je suis dans de multiples business et nous faisons un peu de tout.
Vous vouliez vraiment quitter la banque ?
S’il le fallait, demain je pourrais être actionnaire d’une banque mais sans avoir à la gérer ou être un décisionnaire ; ce n’est pas mon métier préféré. La banque ne fabrique rien et ne crée pas. En intermédiaire professionnel, elle prête avec des risques de l’argent qu’on lui a prêté. Je préfère rester un industriel et un paysan.
C’est quoi le business de Mimran au Sénégal ?
C’est la farine, l’éthanol, l’aliment pour bétail et le sucre.
A part le Sénégal, vous êtes présent dans d’autres pays africains comme la Côte d’Ivoire. Qu’est-ce que vous faites là-bas ?
Précédemment, nous étions dans le bois, lorsqu’on possédait suffisamment de concessions forestières. Depuis quelque temps, nous nous étions limités à produire de la farine. Maintenant, nous allons également nous orienter vers la culture du riz et la production d’énergie. Mais ce sont des projets à concrétiser.
Vous avez tantôt dit que vous aviez des problèmes pour faire aboutir certains de vos projets au Sénégal. Or on sait que l’Etat français soutient les investisseurs français en Afrique. Etes-vous sorti du «parapluie» français ?
Si je considère qu’un investissement me con­vient et qu’il est bon pour le pays concerné, je laisse avancer le projet sans le pousser outre mesure, et jamais contre l’opinion des uns ou des autres. Le «parapluie» français pour accélérer un investissement qui ne serait pas accepté, ne m’est pas utile. Des fonctionnaires au Président, en passant par les ministres, si l’adhésion est générale, c’est parfait. Dans le cas contraire, je n’insiste pas ; il y a toujours d’autres moyens et d’autres endroits pour investir.
Ne pensez-vous pas que si vous continuez dans cette logique votre business en Afrique finira par battre de l’aile ?
Je ne pense pas. La nouvelle génération de dirigeants qui approchent le continent, est beaucoup plus moderne, tant du côté Occident que du côté Afrique. Leur réussite ne fait aucun doute.
Vous avez rencontré le Président Macky Sall. Quelles sont vos relations avec le nouveau Président du Sénégal ?
Elles sont bonnes et agréables.
Vous pensez trouver en lui du répondant pour que la relation puisse être approfondie dans le cadre de vos investissements ?
Vraisemblablement.
Depuis longtemps vous observez la situation économique du Sénégal. Au­jourd’hui, si vous aviez des conseils à donner, quels seraient-ils ?
Les mêmes que ceux donnés il y a 40 ans : Promouvoir le développement agricole, en particulier dans la vallée du fleuve qui a du soleil et de l’eau. C’est triste de voir chaque jour toute cette masse d’eau douce mourir dans l’océan Atlantique !
Tout à l’heure vous avez abordé le dossier des phosphates de Matam. Est-ce que c’est une opportunité d’affaires pour Jean-Claude Mimran ?
Oui ! Je pense que c’est une excellente affaire, mais qui nécessite d’importants investissements. Quand l’Etat accorde une concession minière, il doit l’assortir de l’obligation de ré­sultats dûment chiffrés et veiller à ce que les engagements soient tenus. A contrario, comme dans tous les pays du monde, on retire la con­cession pour la réattribuer à des investisseurs capables de respecter le contrat. Pour les phos­phates de Matam, il y a «mille» sociétés au mon­de intéressées dans l’exploitation d’une mi­ne, particulièrement une mine de phosphate. Notre groupe est intéressé comme beaucoup d’autres, qui sont prêts à offrir encore plus d’avantages au gouvernement. Encore faut-il que le gouvernement ouvre son offre et élargisse sa demande. Mais attention ! Que les sélec­tion­nés respectent leurs engagements au-delà des promesses trop souvent non tenues. Quant à moi, je ne cherche à prendre la place de personne.
De plus en plus au Sénégal, il y a le souci de protéger l’entreprise nationale, c’est-à-dire éviter que l’économie ou l’investissement soient entre les mains d’étrangers.
L’industrie nationale doit-être protégée et c’est bien ; mais les nationaux doivent être proactifs et eux aussi, devenir de grands investisseurs. L’industrie nationale est d’abord de droit sénégalais avant même la nationalité de ses dirigeants. L’intérêt de l’Etat, c’est d’avoir sur son territoire, des entreprises qui fonctionnent, qui créent des emplois et payent des impôts quel que soit l’actionnaire.
Dans le cadre de vos activités au Sénégal, certains vous re­prochent depuis plus de 30 ans de promettre l’autosuffisance en sucre alors que vous n’y arrivez toujours pas
Non, ce n’est pas exact et c’est une analyse injuste. A sa création dans les années 70, la compagnie sucrière a été calibrée pour produire annuellement 60 000 tonnes de sucre. La production a été portée à 110 000 tonnes, alors qu’en période où le cours mondial était anormalement très bas, la fraude battait son plein et suivant les années, la Css ne vendait que 60 à 80 000 tonnes de sucre. Le reste de la consommation provenait de la contrebande. Maintenant, cette fraude n’est plus aussi rentable, car le prix du sucre sur le marché mondial s’est enfin normalisé et a tendance à se rapprocher des prix pratiqués au Sénégal. L’année dernière, le cours mondial a même dépassé celui de la Css et subitement le sucre s’exportait frauduleusement vers les pays voisins. De plus, les industriels qui, à l’époque, exigeaient absolument une liberté d’importer pour ne pas payer tous les droits de douanes, ont modifié leurs comportements et utilisent maintenant le sucre produit au Sénégal. Si tout le marché se reporte sur la Css, nous devons constamment accroître la capacité de l’usine. Normalement, le marché des con­sommateurs du pays, hors industriels, représente 120 000 tonnes. C’est quasiment ma capacité actuelle. Je me propose de faire 150 000 tonnes voire au-delà, ce qui nécessite des investissements énormes. Que peut-on me reprocher ?
Quelles sont les échéances que vous vous donnez pour cet investissement ?
Nous avons déjà un an de retard, suite aux tergiversations de certains membres du précédent gouvernement, pour l’attribution de terres destinées aux nouvelles parcelles de culture. Certains politiciens ont vou­lu faire croire que je voulais chasser des villageois contre leur gré. J’ai trop le respect de la personne humaine pour forcer des familles à déguerpir. Ceux qui sont là et qui veulent rester, resteront dans leur village. Il y a suffisamment de terres ailleurs pour qu’elles nous soient affectées sans que j’aie à chasser des villageois. Par contre, si la zone s’avère majeure pour les cultures, nous la leur demanderons en respectant leur choix, mais toujours en leur proposant des dédommagements et un relogement sur un site à leur convenance. S’ils acceptent, c’est bien, s’ils refusent, ils resteront là où ils sont…
Quelles propositions avez-vous faites aux populations qui occupent les zones qui vous ont été affectées ?
Pour l’instant aucune zone ne nous a été affectée, mais nous avons anticipé en leur proposant de les reloger. Certains ont déjà dit oui, deux ou trois refusent, ils resteront là où ils sont. Cette affaire a été largement et inutilement politisée et amplifiée par un élu régional, hors de toute raison.
Qui est cet élu local ?
Oh, il s’agit de Diack, que vous connaissez (Ndlr : Ex-président du Conseil rural de Mbane), qui porte des attaques directes dans ce dossier. Je crois qu’il se trompe vraiment.
Vous passez pour être trop proche des dirigeants du Séné­gal alors que vous semblez dire le contraire. En tout cas, les gens de l’Unacois disaient que vous bénéficiez de protections.
Rappelez-moi, qu’est-ce qu’est l’Unacois ? Combien d’emplois gère-t-elle ? C’est combien d’impôts sur les bénéfices ou sur les revenus ? Qu’elle nous informe sur son apport dans les caisses de l’Etat du Sénégal ? Il sera de plus en plus difficile de tromper les Sénégalais et la seule solution est de créer des emplois pour le Sénégal.
Il faut qu’on parle aussi de la farine produite par les Grands moulins de Dakar, qui constituent la plus grande industrie meunière du Sénégal. Le prix du pain pose problème, il y a une tension sur ce prix ?
Le prix de la farine est constitué à 80% par le prix du blé. Ce blé est importé et fait l’objet d’une cotation mondiale en bourse dans les salles de marché. La récente sécheresse aux Etats-Unis, en Ukraine et en Russie a fortement compromis les récoltes de maïs et de blé, et plus particulièrement aux Etats-Unis. En conséquence, le prix du blé a augmenté de 50% ces deux derniers mois, en se répercutant sur le prix de la farine. Rappelez-vous, 80% du prix de la farine sont composés de celui du blé et ce plancher est incontournable.
Quelles sont les perspectives pour l’industrie meunière au Sénégal ?
Normalement la consommation devrait croître, sauf si l’augmentation du prix la déséquilibre en im­pactant les volumes à la baisse.
Pour le sucre, vous avez pensé à la matière première, la canne à sucre. Pour la farine, vous ne pensez pas faire quel­que chose en ce sens ?
Pour les céréales, la surface nécessaire serait de 20 000 hectares. Le blé n’est pas une culture de pays chaud, à l’exception du blé dur, mais qui n’est pas approprié pour faire du pain. Hélas, le blé tendre pour la farine n’est pas cultivable sous ce climat, et nécessite beaucoup d’eau avec une irrigation très couteuse.
Il y a peut-être d’autres produits de substitution. Vous n’avez pas pensé explorer d’autres types de céréales ?
Toutes les céréales nécessitent de l’irrigation. Il y a bien une céréale, appelée pamiblé qui, à la demande du président Diouf, a été essayée pour être rajoutée au mil. Ce n’était pas au goût du consommateur et ce fut un échec.
Pour revenir aux péripéties de la Cbao, vous avez eu à collaborer avec l’actuel Premier mi­nistre Abdoul Mbaye. Vous vous êtes séparés de façon plus ou moins tumultueuse.
Absolument pas, ce n’est qu’une fausse rumeur. Abdoul Mbaye a voulu s’essayer à autre chose. C’était sa décision et sans l’ombre d’un quelconque nuage dans nos relations. Il a quitté la banque dans de bonnes conditions.
Comment vous voyez l’homme, vous le croyez capable de réussir la mission de Premier ministre ?
Je ne connais pas assez la fonction de Premier ministre, pour connaître les qualités requises mais je lui souhaite de réussir dans l’intérêt du Sénégal.
En fait, ce qui étonne c’est qu’un banquier privé gère des affaires publiques. Ce n’est pas courant ?
Il doit arrêter de gérer des affaires privées s’il est dans les affaires publiques, comme dans tous les pays du monde.

Vous semblez vous tourner vers la Côte d’Ivoire au détriment du Sénégal, vous semblez développer plus de projets en Côte d’Ivoire qu’au Sénégal ?
Cette dernière année, le gouvernement du Président Ouattara était plus attentif aux nouveaux investisseurs que celui du Sénégal, mais depuis peu, j’observe un changement notable avec le nouveau Président.
Une fois encore, après la fin des travaux pour près de 90 milliards de francs Cfa d’investissements à la Compagnie sucrière, ce qui n’est pas rien, nous pourrons envisager d’autres projets.

Vous semblez personnellement vous intéresser à l’Afri­que est-ce que c’est le cas pour vos enfants ?
Deux de mes fils aînés m’accompagnent dans les affaires et l’un d’eux a même défilé avec les athlètes sénégalais aux Jo de Londres (Ndlr : Nach­son Mimran). C’est un garçon qui s’implique aussi dans le développement du sport au Sénégal.
Vous passez pour être quelqu’un de sobre et discret. Quel est le style Jean Claude Mim­ran ?
J’ai toujours essayé de faire les choses bien et je n’ai pas besoin de le clamer partout. Si ce que je réalise me convient, cela me suffit. Le matin, au réveil devant la glace, si vous êtes content de vous, de ne pas avoir fait de compromissions, de ne pas trahir, d’avancer droitement, c’est satisfaisant. Pour moi le reste est superfétatoire. Une bonne opinion de vous-même et savoir que ce que vous réalisez, vous le faites correctement et pour le bien, cela m’ho­nore et me rend heureux.
Pas de place au bling-bling ?
Non ça ne m’intéresse pas. Com­me dit le bon vieux dicton : «Pour vivre heureux, vivons ca­chés» ; les affaires ont horreur du bruit.
Vous n’êtes pas très connu pour des œuvres sociales. Est-ce que c’est parce que vous êtes très discret comme vous le dites ?
Trop discret, certainement. Mais demandez donc aux services fiscaux le montant de mon redressement fiscal, pour avoir fait beaucoup en faveur des aides sociales !
Combien vous chiffrez vos contributions fiscales annuellement au Sénégal ?
En contributions directes, cela s’exprime tous les ans en dizaines de milliards de francs, sans compter le rôle de collecteur de Tva.
C’est une goutte d’eau dans la mer si on le compare à la 30e fortune de France ?
Non, je ne partage pas cette opinion. C’est l’impôt normal que toute société doit payer sur ses bénéfices. Je respecte cette loi et je paye conformément à la règle, ni plus ni moins. Beaucoup d’autres ne peuvent pas en dire autant ! Je paye des impôts aussi ailleurs, dans d’autres pays où je suis implanté.
Beaucoup de gens, vous pensez à vos amis de l’Unacois ?
Non, ils ne me préoccupent pas et mon temps n’est pas consacré à cela. Je pensais seulement qu’en règle générale, beaucoup de ceux qui doivent payer, ne payent pas.
Quel message lancez-vous au Sénégal, à l’Afrique ?
Le message à l’Afrique est différent de celui à donner aux Sénégalais. L’Afrique est un continent où tous les pays ne se comparent pas. C’est comme si vous imaginiez une comparaison entre un Français et un Suédois. Ils sont tous deux Euro­péens mais n’ont pas grand-chose en commun ! Le Sénégal est un pays par­ticulier ; c’est le premier pays réel­lement démocratique du conti­nent africain. Un pays qui l’a prouvé avec la première alternance, qui vient de le prouver encore, avec l’élection de Macky Sall. Que les Sé­négalais aient cette maturité démocratique, c’est très important. Dès le départ au Sénégal j’ai été séduit par cela. Senghor a été le premier président sur le continent africain à proposer l’opposition à l’Assemblée na­tionale, la pluralité des partis. C’était extraordinaire à son époque. En tant que républicain j’ai fortement apprécié cette attitude et je leur conseille de toujours conserver ce cap.
Jean-Claude Mimran pourrait-il demander à être maire de Richard Toll ?
Non. Encore une fois, je ne fais pas de politique. Je suis bien trop occupé par mes affaires et n’ai jamais mélangé les deux. En revanche, je souhaite, pour Richard Toll, un bon maire qui puisse développer la ville pour le bien de sa population, en rappelant que la grande partie de celle-ci travaille à la Css. Si les travailleurs sont bien quand ils rentrent chez eux, alors ils seront aussi bien quand ils reviendront travailler le lendemain. La Com­pagnie paye des impôts à Richard Toll et je voudrais que ces impôts soient bien utilisés et affectés entre autres, aux services de la voirie, aux centres de santé, aux services de nettoyage de la ville etc. C’est un message fort que je souhaite faire passer au maire de Richard Toll et à son Conseil.
Comment appréciez-vous l’évolution du Sénégal ces dernières années ?
Les premières années du mandat du Président Wade, j’ai observé de nombreux changements. Pas mal de choses ont bougé. Un nouveau style de gouvernement était né et le président Wade avait vraiment à cœur de développer le Sénégal. Tout ne s’est pas fait aussi vite qu’il le souhaitait sans doute, ni que je l’aurais souhaité. Cependant, tous ces importants projets étaient faits de travaux financés par l’Etat. Hélas, trop peu de grandes entreprises privées sont venues s’installer pour compléter et accompagner ce développement.
Dans le même temps aussi, la clameur publique voit le Séné­gal comme l’un des pays les plus corrompus. Ça ne vous gêne pas en tant que homme d’affaires ?
Oui beaucoup, mais pas en tant qu’homme d’affaires ! C’est ma sensibilité de républicain qui est gênée, parce que comme je l’ai dit précédemment, il ne peut y avoir de développement sous l’empire de la corruption. Ce n’est pas compatible et les règles du jeu sont faussées. Par exemple : si vous souhaitez investir dans la production de l’électricité au Sénégal et si je veux également le faire mais en distribuant aux uns et aux autres des «cadeaux» que vous vous refuserez de faire, je gagnerai le marché et produirai de l’électricité. Mais pour compenser les «cadeaux», je produirai à des coûts bien plus supérieurs que vous ne l’auriez fait. En fin de compte, c’est le consommateur et donc le Peuple qui assume la différence pour payer la corruption. Ceci est vrai dans tous les cas de figure, pour tous les marchés et pas seulement pour le coût de l’électricité.
Pourquoi ne devenez-vous pas Sénégalais ?
Pourquoi pas ? Je ne suis pas op­posé à cette éventualité. Je pourrais le devenir dès demain car mon cœur est au Sénégal. Comme mes enfants, je me sens très à l’aise dans ce pays où je possède deux maisons, une à Dakar et l’autre à Richard Toll. D’ailleurs, tous ceux qui me connaissent, savent que c’est à Richard Toll que je préfère vivre.

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