Reportage à SOUMBEDIOUNE: Artisans et poissonniers broient du noir

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Le temps n’est pas rose pour les vendeuses de poissons, les artisans et les pêcheurs de Soumbédioune. Sur ce site en bordure de mer, les activités, jadis lucratives, sont aujourd’hui menacées par la pollution et l’enclavement partiel dû à la construction du tunnel. Ils continuent de se battre en espérant une amélioration de leur cadre de travail.

La baie de Soumbédioune. Le nom renvoie à la fois au Village artisanal et au marché de poissons et fruits de mer jouxtant l’agglomération des pêcheurs.

Des pirogues sont alignées sur le rivage. D’autres tanguent amarrées dans l’eau non loin de la plage. Tout indique que c’est une zone de pêche. Si certains retapent leurs pirogues, d’autres raccommodent les filets. Ici, personne ne se tourne les pouces en fait.   Les enfants, pieds nus, cherchent des coquillages.

Morceaux de filets, de tissus, bouteilles cassées, morceaux de pain, paillasses, poissons pourris jonchent le sol noirci par les détritus. Ce décor contraste avec le marché où sont étalés poissons frais et fruits de mer sur des tables en ciment.

Les vendeurs s’y déplacent sur des flaques d’eaux.   L’odeur du poisson s’y mêle à celle du canal déversant les eaux usées. Des vendeurs de sachets circulent de gauche à droite pour écouler leurs produits.

Les femmes, bassines ou paniers à la main, attendent patiemment l’arrivée des pêcheurs. Des pirogues accostent. Elles se bousculent pour sélectionner le bon poisson. Leur frénésie cache mal une certaine inquiétude.  Le marché, disent-elles, n’est plus aussi fréquenté qu’il l’était. La clientèle se fait de plus en plus rare.

Selon Ousmane Pam, un vendeur habitué des lieux, « les clients ne viennent plus. Parce que depuis le creusement du tunnel, l’accès est difficile et les acheteurs préfèrent partir dans les marchés plus accessibles comme celui de la Patte d’Oie. Il faut qu’on nous aide en construisant une passerelle pour permettre aux clients de circuler librement. Avec le tunnel, c’est impossible de traverser, c’est ce qui ralentit notre travail », dit-il.

Une idée soutenue par Awa Guèye, qui mange des beignets dans ses mains recouvertes d’écailles.

« Certains vendeurs ont quitté les lieux pour d’autres marchés. Ce n’est pas facile de se déplacer matin et soir avec les poches vides. Depuis la construction du tunnel, le marché a connu des problèmes. Les clients ne viennent plus. A cela s’ajoute la cherté du poisson. Les pêcheurs profitent de la situation pour nous vendre le poisson au double du prix. Nous vivons des périodes très difficiles. Je ne vois pas l’utilité de ce tunnel, il n’a apporté que des malheurs », peste-t-elle.

Par contre, l’un des pêcheurs, Oumar Diallo, se réjouit de l’existence du tunnel malgré l’espace qu’il occupe. «Il n’y a plus eu d’accident sur la Corniche. Les voitures roulent au ralenti et les piétons traversent comme d’habitude. Avant, c’était le contraire. Il y avait des accidents tous les jours. Je ne trouve pas de problèmes par rapport au tunnel », confesse M. Diallo.

Ce dernier d’ajouter : «c’est vrai, nous avons perdu un peu d’espace. Ce qui fait que nos pirogues sont entassées dans un espace réduit. Nous sommes obligés de les placer sur le tunnel quand la marrée est haute. Mais cela ne change rien dans notre travail. Le prix du poisson reste le même », conclut-il.

La mer ne nourrit plus son homme

Quelques heures plus tard, une pirogue accoste. Elle est remplie de plusieurs espèces de poissons. Nous citons pêle-mêle les truites de mer à 1.500 Fcfa le kilogramme, les chars blancs à 1.800, les badoches noirs à 2.000, ‘‘thiofs’’ – mérous – à 4.000.

Habillés en toile cirée, casque à la tête et foulards enroulés autour du cou, Souleymane Thiam, Mamadou Guissé et compagnies grelottent dans la fraîcheur du soir tombant. Les mendiants se trouvant sur les lieux les aident à transporter le poisson. Les charretiers en profitent pour se remplir les poches à 100 Fcfa le panier.

Pour ces pêcheurs, leur seul problème reste le canal. « Les eaux usées du canal ont tué les petits poissons qui vivaient à la surface de la mer. C’est notre problème majeur. L’eau de la mer est polluée et on n’arrive plus à en trouver », explique Demba Gaye.

Des frigos éventrés jonchent la rive. Les vagues s’écrasent sur le rivage en mouvements ondulatoires qui ravissent le promeneur. Des oiseaux blancs plongent pour ramasser les restes de petits poissons.

Un peu plus loin, nous entrons au Village artisanal. Un silence intense y accueille les visiteurs.   Calés dans leurs sièges, les marchands répondent à peine aux salutations.  Les uns sont endormis sur leurs chaises, les autres guettent désespérément la clientèle. Statues, masques, habits exotiques, bijoux, bracelets sont exposés aux devantures des cases.

Allongé sur un banc un peu long, Cheikh Samb ne voit pas arriver les acheteurs.  Il préfère faire sa sieste plutôt que de déambuler dans les allées du Village à la recherche de clients. A quelques mètres de là, l’artisan Aly Mbow range dans son atelier des figurines de singe, d’hippopotame, d’éléphant, etc.

Des œuvres d’art meublent la case.  Selon Aly, le calme ambiant montre que dans le Village, les affaires ne marchent plus. La clientèle est devenue rare. Les vendeurs ainsi que les artisans travaillent à peine, parce que n’arrivant pas à vendre leurs produits.  Pour lui cette morosité est due au tunnel.

Village enclavé

« Depuis deux bonnes années, le Village est mort. Certaines personnes croient qu’il n’existe plus. Les rares clients y accèdent difficilement. C’est un véritable combat pour arriver au Village. Le tunnel est à l’origine de toutes les difficultés que nous rencontrons. Nous vivons des périodes dures. Nous restons parfois toute une semaine voire deux sans vendre un seul article. Nous avons dû nous déplacer durant les 6 jours du Forum social mondial à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Là-bas, nous avons pu doubler notre chiffre d’affaires », déplore Aly Mbow.

Boubacar Sow, un autre artisan, va plus loin : « les touristes ne connaissent plus le Village. La communication ne marche pas. Le Village est enclavé. Quand ils arrivent au Sénégal, ils font le tour des marchés à la recherche d’objets d’art. Ce n’est pas normal, alors que nous faisons la fierté de notre pays. Nous sommes des pères de famille. C’est inadmissible de quitter chez soi tous les matins et de rentrer le soir les mains vides. Certains d’entre nous doivent payer le loyer. Où est-ce qu’ils trouveront l’argent à la fin du mois pour payer 10 à 15.000 Fcfa ? », se demande-t-il.

Dans la même lancée, il ajoute : « ce tunnel ne nous apporte que des bouleversements.  Nous vendons nos articles à bas prix pour donner la dépense quotidienne. Alors que nous fabriquons des œuvres de qualité. Nous ne devions pas nous déplacer lors du Forum social mondial. Mais pour monter que nous sommes là, nous avons été obligés de le faire. Parfois ce sont les taximen même qui disent aux touristes que le Village est mort. Ils n’ont pas tort. Il n’y a rien qui montre que le Village existe», peste-t-il.

Avant de poursuivre : « le forum nous a beaucoup rapporté. Nous souhaitons que ce genre d’activités soit organisé toutes les années».

Chez les artisans, c’est le même credo, comme quoi, « le tunnel a freiné les activités ». Pourtant, une fois à l’intérieur du Village, c’est un réel ravissement de voir toutes ces belles cabanes richement ornées de l’extérieur, comme à l’intérieur.

Mohamed Ndiaye pointe le même doigt accusateur : «nous sommes en pleine saison, mais rien ne bouge. Le Village est désert. Nous n’avons rien. C’est pitoyable. Nous étions obligés de quitter le Village pour exposer nos produits à l’université. Dès la fin du forum, le jour même, nous avons décampé. Ce n’est pas normal du tout. Nous sommes là pour travailler. Le tunnel ne nous arrange pas du tout », martèle Mohamed.

Chose rare, un groupe de touristes arrive, installant la concurrence, chacun cherchant à les attirer de son côté.

Devant ce harcèlement, ces clients potentiels se hâtent de quitter les lieux. Derrière les galeries d’art, tout à fait au fond du Village, avant les cases des cordonniers, coutelas à la main, les artisans sculpteurs ne cessent de couper dans le bois. Le ronronnement des machines est ininterrompu. Les uns coupent le bois, les autres façonnent les articles à la main. La poussière et la sciure couvrent les visages. D’aucuns entonnent des chansons, comme les laboureurs dans les plantations. Ils disent travailler davantage avec le bois d’ébène, le bois rouge et le tek.

« Ça ne marche pas du tout. Nous manquons de publicité. La communication pose problème. Et la crise économique aggrave la situation. Et partout, il y a aujourd’hui des galeries d’art dont les propriétaires ne sont pas des artisans. Ce n’est pas normal. Il faut que l’Etat commence d’abord par éliminer tout cela avant de régler le problème du tunnel », fustige Coly Kandé, artisan sculpteur.

Selon le directeur de la Chambre des métiers de Dakar, M. Maguette Mbow : « les villageois sont très fatigués, ils rencontrent d’énormes difficultés. Il faut qu’on enlève les pots de fleurs qui se trouvent sur le tunnel pour que nous ayons au moins un parking. Avec le président de la République, Me Abdoulaye Wade, nous avons décidé d’aménager le Village artisanal. Le plan est déjà établi, mais nous sommes bloqués par des problèmes financiers. Nous avons planifié de construire des banques, des centres de formation et des restaurants dans le Village. Mais tout ce que nous avons prévu reste en rade. Le plus gros problème du Village est la floraison des galeries dans les hôtels. Ce n’est pas normal du tout ».

A la mairie de la Médina, les soucis des vendeuses de poissons, des artisans et des pêcheurs de Soumbédioune ne laisse personne insensible.  Le tunnel constitue toujours un blocage pour les habitants des quartiers Médina et Gueule-Tapée.

Trouvé dans son bureau, Bamba Fall, adjoint au maire, chargé  de l’administration et des finances peste : « le tunnel ne sert à rien. Les voies ne sont pas perpendiculaires et il n’y en a que trois d’ailleurs. La troisième voie mène à la mer et ne nous intéresse pas. Toutes les rues de la Médina sont fermées. Pour aller au cimetière aussi, nous sommes obligés de passer par le boulevard de la Gueule-Tapée. Le « Soumbé-Kilimandjaro » est fermé. Le tunnel n’a rien apporté du point de vue économique. Nous préférons un feu rouge à la place. La deuxième partie de la Médina est enclavée».

Pour Bamba Fall toujours : « il faut des passerelles au niveau supérieur du tunnel pour les piétons. Nous ne pouvons rien contre la décision de l’Etat », termine-t-il.

A l’en croire, toutes les activités qui se déroulent à la Médina sont freinées par le tunnel. Pêcheurs, vendeurs et artisans souffrent des mêmes maux et leur seule solution c’est l’Etat.

Les riverains confrontés à la pollution de la baie

Les mêmes refrains reviennent partout.  Les artisans demandent l’aide de l’Etat. Ils réclament des panneaux publicitaires vantant les visites au Village, à l’entrée et à la sortie du tunnel, mais aussi dans les hôtels et aéroports. De même, ils déplorent la floraison des galeries dans les marchés. Mais si pour les vendeurs le tunnel constitue leur principal souci, les habitants se plaignent du mauvais usage du canal.

L’odeur nauséabonde que dégage le canal hante le sommeil des riverains.  Dans sa maison à la Gueule-Tapée, Seynabou Lô, teint clair, taille moyenne est assise sur une chaise en face d’une vaisselle dispersée sur la véranda.

Foulard sur la tête, Seynabou désapprouve : « nous avons du mal à respirer. L’odeur que dégage le canal est insupportable. C’est un danger pour nous et surtout pour nos enfants. Dans le voisinage, certains font ce qu’ils veulent. Le canal n’est pas un dépotoir de déchets. Des personnes irresponsables attendent la nuit pour y verser des débris. Des cadavres de moutons, des chats, des chiens, tout est dedans ».   Dieynaba Seydi pointe du doigt les vendeurs de poissons. « Je vois tous les jours les vendeurs jeter les poissons pourris ou les restes dans le canal. C’est regrettable. Parfois certains habitants n’attendent pas les camions de ramassage des ordures. Ils préfèrent s’en débarrasser. Alors que le canal est fait pour l’écoulement des eaux », précise-t-elle.  Les camions ne viennent plus, parce qu’il n’y a plus d’espace pour stationner. Le tunnel a tout occupé.  Il faut que ces gens arrêtent de mettre des déchets dans le canal. Cela peut causer beaucoup de maladies », informe François Sène.

Les riverains déplorent aussi le mauvais entretient du canal. Ils demandent aux voisins et pêcheurs de faire un effort et d’être plus responsables.

Le Soleil

1 COMMENTAIRE

  1. « Quelques heures plus tard, une pirogue accoste. Elle est remplie de plusieurs espèces de poissons. Nous citons pêle-mêle les truites de mer à 1.500 Fcfa le kilogramme, les chars blancs à 1.800, les badoches noirs à 2.000, ‘‘thiofs’’ – mérous – à 4.000.« 
    De nouvelles espèces de poissons ont fait leur apparition???? CHARS BLANCS ET BADOCHES NOIRS!!!! C’est peut etre à cause de la pollution………

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